Pierre Stambul : « Les grandes lignes de mon témoignage au procès intenté contre Olivia Zémor (Lyon, 16 mars 2021) »

Un témoignage est toujours oral et sans note. Ce qui suit n’est donc pas exactement ce que j’ai déclaré sous serment, mais les grandes lignes y sont.

Je me présente : Pierre Stambul, 70 ans, professeur de mathématiques retraité.

Je suis juif, issu côté mère et père de lignées juives de Bessarabie, et j’appartiens à l’UJFP (Union Juive Française pour la Paix).

Mes parents ont été des résistants au nazisme pendant la Deuxième Guerre Mondiale. Ma mère a été la seule rescapée d’une famille exterminée en Europe Orientale. Mon père, Yakov Stambul, a fait partie du Groupe Manouchian (l’Affiche Rouge) dans le triangle Boczor-Glasz-Stambul. Boczor et Glasz ont été fusillés au Mont Valérien. Mon père a été déporté à Buchenwald, mais il est revenu.

Un des points en jeu dans ce procès est la question du boycott.

Il y a plus de 70 ans, les Palestiniens ont été expulsés de leur propre pays de façon préméditée de son propre pays. Les vainqueurs leur ont interdit de rentrer chez eux, ont détruit leurs villages, ont nié leur existence et ont tenté d’effacer leurs traces.

Ce que les Palestiniens subissent depuis cette période a pour nom occupation, colonisation, crimes de guerre, vols de terre, enfermement de deux millions de personnes à Gaza, démolitions de maisons, torture légalisée, enfants emprisonnés, apartheid…

Si une telle situation dure depuis si longtemps, c’est à cause de l’impunité d’Israël contre qui aucune mesure n’a été prise, malgré les violations avérées du droit international.

En 2005, 172 associations de la société civile palestinienne ont lancé un appel mondial au BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) contre l’Etat d’Israël. Les revendications n’ont rien d’extravagant. Les Palestiniens demandent que tout ce qui figure dans la déclaration universelle des Droits de l’Homme (liberté, égalité, justice), leur soit appliqué. Ils demandent la fin de l’occupation, de la colonisation, du blocus de Gaza, la libération des prisonniers politiques, la destruction du Mur, l’égalité des droits entre Palestiniens et Israéliens, le droit au retour des réfugiés conformément à la résolution 194 de l’ONU votée en décembre 1948.

Le boycott, c’est l’arme légitime des faibles contre les puissants.

Il est né en Irlande contre un régisseur anglais impitoyable nommé Boycott. Il a été utilisé en Inde par Gandhi contre le colonialisme britannique et en Afrique du Sud contre l’apartheid. Nelson Mandela a déclaré que la liberté de l’Afrique du Sud serait incomplète tant que la Palestine ne serait pas libre.

Le boycott est une forme légitime de résistance. Le droit international dit explicitement que résister à l’oppression, ce n’est pas seulement un droit, c’est un devoir. L’arrêt de la CEDH (Cour Européenne des Droits de l’Homme) condamnant l’Etat Français pour avoir poursuivi des militants du BDS à Mulhouse le rappelle.

Un autre point dans ce procès est la question : le boycott est-il discriminatoire voire antisémite ?

Je vais répondre au nom de mon identité juive. Le crime au Proche-Orient se fait en mon nom, en ce sens qu’il est commis par un Etat qui se dit « juif », qui a installé des colonies « juives » et prétend parler au nom des Juifs. Mon association est engagée dans le BDS. Pas parce que nous serions des Juifs honteux ou ayant la haine de soi. Nous sommes les héritiers d’une tradition où les Juifs considéraient que leur émancipation comme minorité opprimée passait par celle de l’humanité. Les leçons du génocide nazi nous poussent à traquer partout le racisme, la négation de l’autre, le colonialisme, les crimes de guerre, le suprématisme. Que CELA n’arrive plus jamais, en Europe comme au Proche-Orient.

En France, les Juifs sont nombreux dans le mouvement BDS. Aux Etats-Unis, le mouvement JVP (Jewish Voice for Peace = voix juives pour la paix) est un mouvement de masse. Il a contribué au fait que de nombreuses universités boycottent Israël.

En Israël, il y a un mouvement qui s’appelle « Boycott de l’Intérieur » qui appelle au boycott de leur pays parce que trop de mécanismes protègent la violence exercée contre les Palestiniens. Des anticolonialistes israéliens recensent les entreprises qui profitent de la colonisation.

Tous ces Juifs (dont je suis) considèrent que la politique israélienne n’est pas seulement criminelle contre les Palestiniens, elle est aussi suicidaire et met en danger sciemment les Juifs du monde entier.

Tous ces Juifs (dont je suis) considèrent que l’instrumentalisation de l’antisémitisme pour essayer de faire taire la critique d’Israël est une injure à notre histoire, notre mémoire, notre identité. Ils sont particulièrement indignés des amitiés de nombreux dirigeants israéliens avec des antisémites comme Steve Bannon, les Chrétiens évangéliques ou Viktor Orban. Ils sont scandalisés quand Nétanyahou déclare qu’Hitler ne voulait pas tuer les Juifs et que c’est le Mufti de Jérusalem qui lui a soufflé l’idée.

Et Téva ?

C’est une des entreprises israéliennes emblématiques. Et c’est la plus grande en ce qui concerne les médicaments Il faut dire quelques mots de la situation sanitaire en Palestine. La Cisjordanie et Gaza sont des marchés captifs. L’économie a été détruite. Les Palestiniens sont obligés de consommer un grand nombre de produits israéliens, en particulier les médicaments.

Savez-vous que l’hôpital al-Wafa de Gaza a été rasé en 2014 ? Que les médicaments anticancéreux sont interdits d’entrée à Gaza ? Alors qu’Israël affirme avoir vacciné la majorité de sa population, les Palestiniens des Territoires occupés, dans leur immense majorité, n’ont pas reçu de vaccin. Cet apartheid vaccinal est indigne.

Nous avons boycotté les oranges Outspan en Afrique du Sud. Nous boycottons Téva. Ca n’a rien de « discriminatoire », c’est pour imposer le droit international.

B’Tselem et l’apartheid.

B’Tselem, qui est la plus grande association des droits de l’homme en Israël, existe depuis 1989. Elle a reçu des prix des droits de l’homme. Son dirigeant, Hagaï el-Ad a pu parler à l’ONU.

Son rapport publié en janvier dernier établit clairement qu’Israël est un Etat d’apartheid et de suprématie juive. Il montre comment la Palestine a été fragmentée en une multitude de statuts de domination.

Israël s’est créé en 1948 comme Etat Juif et pas comme Etat de tous ses citoyens. Les Palestiniens expulsés n’ont pas été autorisés à revenir. Leurs terres ont été confisquées, leurs villages détruits. Au contraire la « loi du retour » permettait à tout juif, étranger à l’histoire de la Palestine, d’immigrer et de devenir automatiquement citoyen israélien.

La loi « Israël-Etat Nation du peuple juif » (2018) officialise l’apartheid. Elle dit officiellement que les hommes ne naissent pas libres et égaux, que les non juifs israéliens sont des citoyens de seconde zone. L’arabe n’est plus langue officielle. La loi parle d’autodétermination … pour les Juifs. Les Palestiniens ne sont même pas cités. La loi affirme l’annexion de Jérusalem et encourage le développement de nouvelles colonies.

Ulcan

J’ai été victime le 9 juin 2015 d’une attaque particulièrement violente venue d’un hacker franco-israélien de la LDJ (Ligue de Défense Juive), Grégory Chelli, alias Ulcan. Il s’en est pris à Martine Aubry, à Jamel Debbouze, au PDG d’Orange, à des médias (Politis, Arrêt sur Image, Rue 89 et là, il est responsable de la mort du père d’un journaliste) et à des militants pour la Palestine. Il a piraté ma ligne téléphonique, a affirmé que j’avais tué ma femme et a provoqué une intervention très violente du RAID dans le lotissement où j’habite. Il y a plus de 100 plaintes contre lui et il jouit de l’impunité en Israël. L’Etat français a dû m’indemniser pour les violences subies et l’argent de cette indemnisation a été donné à la société civile de Gaza.

Pierre Stambul