Article publié sur le site du journal « Le Temps d’Algérie ».
Pierre Stambul, vice-président de l’Union juive française pour la paix (UJFP), évoque dans cet entretien la récente agression israélienne contre Ghaza, dénonce le silence observé par l’Occident et commente les propos du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, annonçant l’annexion «définitive» du Golan syrien occupé. Il parle également de la politique de l’Arabie saoudite au Moyen-Orient, classant cette monarchie dans «le camp» d’Israël.
Le Temps d’Algérie : Ghaza connaît une escalade caractérisée par des raids israéliens contre la population. Vous attendiez-vous à cette escalade ?
Pierre Stambul : Ghaza connaît des agressions régulières : 2009 (Plomb durci), 2012 (Piliers de la défense), 2014 (Bordure protectrice). Malgré des noms recherchés, ces agressions sont particulièrement meurtrières et dévastatrices. Ghaza est un laboratoire pour Israël. Depuis que ses dirigeants ont réussi à faire classer le Hamas comme «organisation terroriste» et à faire accepter le blocus comme quelque chose de normal, ils savent que tout le monde fermera les yeux chaque fois qu’ils attaqueront malgré les milliers de civils tués ou blessés et les quartiers rasés. La «communauté internationale» sait ou a les moyens de savoir ce que la population de Ghaza endure. Et elle ferme les yeux. Cette complicité est obscène.
Pourquoi cette attaque ? La guerre perpétuelle est un ciment indispensable à la société israélienne. Elle évite de se pencher sur toutes les contradictions internes. Elle permet de développer la propagande («nous ne faisons que nous défendre»), d’agiter la peur et de rallier toute la population à une colonisation sans fin. L’agression de 2014 a réussi à faire capoter le projet de gouvernement d’union nationale palestinien. Celle-là fera capoter «l’initiative française» de paix qui avait de toute façon au départ bien peu de crédibilité.
Israël évoque «la riposte à un tir de roquettes». Est-ce un justificatif pour mener ces raids ?
Ces justifications sont des plaisanteries. Israël n’a pas besoin de prétexte. Entre deux attaques, depuis la «barrière de sécurité», où les armes sont télécommandées à distance, l’armée israélienne n’a jamais cessé de tirer sur la population (notamment sur les agriculteurs dont les terres jouxtent la barrière). Des dizaines de paysans et des centaines d’ânes ont ainsi perdu la vie. Quand on est depuis longtemps à Ghaza, on finit par cesser de pester contre les tirs (dérisoires) de roquettes. Tout simplement parce que l’enfermement est insupportable et qu’on est prêt à tout tenter pour qu’il cesse.
Il en est de même pour les tunnels. Leur existence malgré les destructions est un signe de désespoir.
Les Israéliens voudraient faire pleurer l’opinion publique sur les villes israéliennes qui subiraient des tirs de roquettes. Ces tirs n’ont quasiment jamais fait de victime. Par contre, près d’Ashkelon, les guides israéliens proposent aux touristes d’admirer depuis un monticule la bande de Ghaza bouclée. Ghaza est devenu un zoo.
Le Premier ministre Nétanyahou profite-t-il de la situation au Proche-Orient pour agresser de nouveau Ghaza ?
Bien sûr, le chaos qui règne au Proche-Orient et la politique égyptienne laissent les mains libres à Nétanyahou. Dans le cadre d’une petite mission, nous étions en Palestine l’hiver dernier. Plusieurs interlocuteurs nous ont dit que pour eux, «Daech et l’Arabie saoudite sont des créations de l’Occident». Plusieurs pays arabes financent le terrorisme et des guerres (comme au Yémen) alors que la Palestine est abandonnée. Dans le cas de l’Égypte, son régime participe au blocus de Ghaza. Alors que le mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) lancé à l’appel de la société civile palestinienne se développe, les régimes arabes continuent de commercer avec des entreprises multinationales qui font du profit avec l’occupation de la Palestine. Ainsi la même entreprise «de sécurité» G4S a pu, pendant des années, gérer les check-points privatisés en Cisjordanie et assurer la sécurité du pèlerinage de la Mecque.
Que pensez-vous de la décision prise par Nétanyahou d’annexer «définitivement» le plateau du Golan ?
«L’annexion» du Golan a été votée par la Knesset (le Parlement israélien) en 1981. Toute la population (sauf les Druzes) a été expulsée dès 1967. Le Golan procure à Israël son meilleur vin, ses pistes de ski (sur le mont Hermon) mais surtout plus du tiers de l’eau douce consommée en Israël. Quand on voyage sur le Golan, on voit des ruines de villages ou de mosquées. Par contre, à l’entrée de Qatsrin, la principale agglomération des colons israéliens, on a retrouvé les ruines d’une synagogue du VIe siècle. C’est ça le nettoyage ethnique : les habitants récents ne sont plus là, mais en manipulant l’archéologie, on affirme ses droits sur un territoire.
Le refus des Etats-Unis, de l’Occident et de l’ONU de cette annexion fera-t-il fléchir Nétanyahou ?
Le gouvernement Nétanyahou se moque des paroles. Tant qu’il ne sera pas sanctionné politiquement, économiquement, militairement…, rien n’infléchira le fait accompli qui a toujours été sa politique. Qu’a fait Obama pendant ses huit ans de mandat ? Dire d’un côté qu’il faut «geler» la colonisation et d’un autre offrir plusieurs milliards de dollars à Israël après les bombardements de 2014 pour qu’il renouvelle son stock de munitions. Que fait le gouvernement français ? Parler d’une «initiative de paix» et en même temps demander aux Palestiniens de renoncer à leurs revendications historiques et criminaliser les citoyens qui soutiennent la Palestine en prétendant qu’ils sont antisémites. Nétanyahou sait qu’il n’a rien à craindre d’un camp qui soutient Israël en connaissance de cause : parce que c’est un morceau d’Occident surarmé, aux technologies de pointe, installé au Proche-Orient.
Des articles de presse ont fait état de «rapprochement» entre l’Arabie saoudite et Israël. Qu’en est-il ?
Pour tenir le Proche-Orient, les dirigeants occidentaux ont besoin à la fois d’Israël et des monarchies féodales du Golfe. Cette situation donne aux uns et aux autres une certaine autonomie. Je ne sais pas s’il y a le rapprochement évoqué mais les deux pays appartiennent au même camp. Si l’Arabie saoudite n’avait pas financé le terrorisme, le Proche-Orient ne serait pas dans cette situation dramatique. Si elle avait dépensé le dixième de ce qu’elle dépense dans la guerre du Yémen en faveur des Palestiniens, ceux-ci se sentiraient moins abandonnés.
Entretien réalisé par Mounir Abi