Interview parue dans « Courant Alternatif » (Avril 2024)
À l’heure où ces lignes sont écrites, il y a plus de 40000 morts ou disparus à Gaza. C’est l’équivalent de 1300000 morts en France. Plus personne ne peut nier, malgré le matraquage médiatique et malgré la complicité du pseudo « arc républicain », qu’on a affaire à un génocide.
La barbarie
En Israël, les barrières morales se sont écroulées. Les Israéliens se vivent en victimes et pas en bourreaux. Tous les dirigeants israéliens ont théorisé l’idée qu’il était légitime de tuer tout le monde, y compris les femmes et les enfants. La Cour Internationale de Justice a cité nommément le président Isaac Herzog (issu du parti travailliste), le ministre Yoav Galant (célèbre pour avoir traité les Palestiniens d’animaux humains) ou Amichay Eliyahu qui proposait de lancer une bombe nucléaire sur Gaza.
Les actes cruels se sont multipliés. Bébés laissés à l’abandon dans des hôpitaux détruits, blocage des camions apportant une aide alimentaire, mitraillage (avec des tanks) d’une foule affamée se précipitant sur un camion de vivres (119 morts, 700 blessés). L’occupant organise la famine et torture les prisonniers. Il n’y a plus de limite.
En France aussi, les supporters d’Israël ont perdu toute limite : « Si les Gazaouis sont d’accord avec le Hamas, alors il n’y a pas de dommages collatéraux. On a à faire à des sauvages, qui ont dévoilé leur vrai visage. » C’est Michel Boudjenah.
Il n’y a pas non plus de limite en Cisjordanie ou à Jérusalem Est. Les colons et l’armée multiplient ensemble les attaques contre la population civile, les expropriations, les destructions de biens, les pogroms. Le programme du sionisme a toujours été « un maximum de territoires et un minimum d’Arabes ».
Du côté de l’aile la plus fasciste du gouvernement israélien, le programme est simple : tuer ou expulser, provoquer une nouvelle Nakba (comme en 1948).
La Communauté internationale au secours des génocidaires.
Les pays occidentaux et arabes portent une responsabilité majeure. Les États-Unis bien sûr qui arrosent les assassins de dollars et d’armes meurtrières. Biden s’est tiré une balle dans le pied en se coupant d’une partie importante de son électorat. Nétanyahou n’a plus qu’à attendre tranquillement le retour de Trump et de ses alliés, les Chrétiens sionistes (qui sont des antisémites avérés).
Les dirigeants arabes, malgré leur opinion publique très sensible à la cause palestinienne, sont restés des collabos. Ils n’ont pas utilisé l’arme du pétrole. Ils ont maintenu les relations diplomatiques avec Israël. Ils laissent faire les pires massacres, se contentant de quémander à l’occupant le droit de larguer quelques colis par avion, comme on jette de la nourriture aux chiens.
Les dictatures du Golfe rêvent de ramasser la mise en cas de cessez-le-feu, en installant leur homme, Mohammed Dahlan, à la tête de Gaza. Ce combattant de la Première Intifada est devenu un mafieux lors de son retour à Gaza en 1994. C’est lui qui a lancé une tentative de coup d’État contre le Hamas en 2007. Il s’est enfui, vit à Dubaï et rêve de revenir, les poches bourrées de dollars, au pouvoir.
Dans l’Union Européenne, il y a certes des pays qui se sont un peu distingués de l’unanimisme pro-israélien : l’Espagne, l’Irlande, la Belgique. D’autres ont fait du zèle. Le Premier ministre suédois a fait un superbe lapsus : « Israël a le droit de commettre un génocide … euh de se défendre ».
En Allemagne et en France, les manifestations pour la Palestine ont été interdites. Les chefs d’État ont multiplié les déclarations, Macron allant jusqu’à proposer d’engager l’armée française contre le Hamas. Les militants (souvent arabes) sont poursuivis pour « apologie du terrorisme » dès qu’ils ne reprennent pas le discours dominant. Les médias martèlent la version officielle sur le pauvre peuple israélien traitreusement attaqué.
La destruction du droit international
L’Occident avait beau jeu de dénoncer des pays comme la Russie, l’Iran, la Chine dénoncées comme d’affreuses dictatures. Le soutien occidental à un régime qui assume de tout détruire, d’assassiner méthodiquement des familles entières et de mitrailler des foules affamées les discrédite totalement. Toutes les valeurs que cet Occident était censé représenter (la démocratie, le droit des peuples …) ont été piétinées. Israël a détruit tout ce qui restait du droit international tel qu’il était censé exister depuis 1945. L’impunité, la cécité volontaire vis-à-vis du rouleau compresseur colonial, le silence devant les pogroms perpétrés par les colons et l’armée, la surdité devant les appels au meurtre des dirigeants israéliens, tout ceci ramène la planète à la loi de la jungle. Il n’y a plus ni règle, ni droit. L’ONU et la Justice internationale n’ont aucun pouvoir. Les soudards sont partout.
Au passage, cette guerre détruit aussi les mémoires du judaïsme, de l’antisémitisme et du génocide nazi. Désormais, systématiquement les racistes et l’extrême droite attaquent ceux qui défendent les droits du peuple palestinien en les accusant d’être des antisémites.
La fable des deux États
Comment en sortir ?
Lors de notre séjour à Gaza en 2016, nous avions systématiquement interrogé tous nos interlocuteurs : « un État ou deux États » ? Les rares qui se prononçaient pour deux États nous disaient : « ce n’est pas la justice mais le monde est mauvais. Ils vont nous donner un arpent de désert, ils appelleront ça État palestinien et nous serons tellement faibles que nous serons obligés d’accepter » . Nous leur avons demandé : « et les réfugiés » ? La réponse a été unanime : « Le droit au retour, c’est non négociable. Donc bien sûr deux États, ça ne peut être qu’une étape ».
En 2007, nous sommes reçus par le maire (de l’époque) de Béthléem, Victor Batarseh (FPLP). Il défend la position de son parti (qui est la position historique de l’OLP avant 1988) pour un seul État laïque et démocratique. « Nous ne sommes pas des extrémistes. Si le Fatah arrive à obtenir un État palestinien sur les 22% de la Palestine historique occupés depuis 1967, nous l’acepterons comme étape transitoire ». Il ouvre alors de façon très théatrale la fenêtre de la mairie de Béthléem. Il y avait autrefois une grande forêt entre Béthléem et Jérusalem. Elle a été rasée. La colonie de Har Homa fondée en 1997compte des dizaines de milliers d’habitants et ses grands immeubles arrivent tout près de la mairie. Le maire nous demande : « l’ État palestinien, vous le mettez où ? ».
Le Monde Diplomatique avait publié autrefois une carte de « l’archipel palestinien ». Ce n’est même plus un archipel. La Cisjordanie est un confetti sans aucune unité et Gaza est à la fois un champ de ruines et un grand cimetière. La pseudo opposition entre Nétanyahou qui veut annexer et expulser et ses soutiens occidentaux qui prétendent soutenir « la solution à deux États » est un leurre qui permet au rouleau compresseur d’avancer. Pour l’arrêter, il faut sanctionner les génocidaires.
Oslo a été une gigantesque supercherie. La seule chose qui a été signée, cela a été la « ccopération sécuritaire », c’est-à-dire l’obligation pour l’occupé d’assurer la sécurité de l’occupant. L’Autorité palestinienne était condamnée dès le départ à « collaborer ». L’État palestinien, la fin de la colonisation, la libération des prisonniers ou le retour des réfugiés, on en a parlé et Israël n’a rien signé.
En finir avec les nettoyages ethniques
Avant d’aboutir au fascisme décomplexé, le sionisme a été au départ une théorie de la séparation proclamant que Juifs et non Juifs ne peuvent pas vivre ensemble, ni dans le pays d’origine, ni dans le futur État juif. Cette idéologie a produit le colonialisme de remplacement et la folie meurtrière de l’État juif ethniquement pur.
Aucune paix juste ne sera possible avec le maintien de l’État juif et de toutes les institutions racistes qu’il a créées. Ca veut dire la fin du sionisme.
Les Palestiniens ne réclament pas un État, deux États ou 36 États. Ils demandent juste qu’on leur applique le droit international (qu’il faut distinguer de l’ONU. L’ONU a violé ce droit à plusieurs reprises en 1947-49).
Ce droit, c’est :
- la liberté : fin de l’occupation , de la colonisation, fin du blocus de Gaza, destruction du Mur, libération des prisonniers
- l’égalité des droits politiques et économiques pour tous les habitants de la région, quelles que soient leurs origines, leurs identitées réelles ou supposées, leur religion ou leur non religion.
- La justice : le crime fondateur de cette guerre étant l’expulsion préméditée du peuple palestinien de son pays, c’est le droit au retour des réfugiés. Il faudra aussi juger les criminels de guerre.
Quand ces points qui constituent un droit théoriquement garanti seront acceptés, la négociation décidera de la forme étatique future. Les Palestiniens et les Juifs israéliens seront mélangés d’une façon telle que la séparation n’aura pas de sens.
Bien sûr, c’est difficile. Le mur et le blocus de Gaza font que les populations ne se voient plus. Et sans sanctions, le front intérieur ne se fissurera pas dans la population juive israélienne qui jouit du privilège colonial.
Certains, dans le mouvement de solidarité pour les droits du peuple palestinien rêvent d’une situation « à l’algérienne », c’est-à-dire du départ de la grande majorité des Juifs israéliens comme ça avait été le cas pour les Pieds Noirs. Ils ont tort. On ne réparera pas un nettoyage ethnique par un autre nettoyage ethnique.
« Vivre ensemble dans l’égalité des droits », il n’y a pas d’alternative non barbare, ni là-bas, ni ici.
De la mer au Jourdain, l’égalité des droits !
Pierre Stambul