Pierre Stambul est coprésident de l’Union Juive Française pour la Paix, UJFP. Il évoque, dans cet entretien, l’assassinat par Israël de la journaliste d’Al Jazeera, Shireen Abu Akleh et la commémoration du 74e anniversaire de la Nakba palestinienne.
Al24news
Israël a annoncé une enquête concernant l’assassinat de la journaliste d’Al Jazeera, et une enquête pour ce qui est de la charge par la police israélienne contre le cortège funèbre de la journaliste. Croyez-vous à cette enquête ?
Pierre Stambul
Il n’y a pas de justice pour les Palestiniens en Israël. D’abord ceux-ci dépendent de la justice militaire. Quand on sait que 850 000 Palestiniens ont connu la prison depuis 1967, quand on sait que cette « justice » tolère la torture et emprisonne pour de longs mois des enfants de 13 ans, on n’a rien à en attendre. Il y a des précédents. Quand les images d’horreurs commises par l’occupant circulent sur Internet, Israël fait semblant de condamner les coupables. Mais ceux-ci ne restent pas en prison. Elor Azaria, qui avait tué à Hébron un prisonnier blessé et menotté, a été très vite libéré et est considéré comme un héros en Israël. Ceux qui ont brûlé vifs les membres de la famille Dawabsheh ont aussi été libérés.
Il y a quelques jours, la Cour suprême israélienne a autorisé l’expropriation de 1200 villageois dans le sud de la Cisjordanie pour transformer leur village en zone de tir pour l’armée. Il n’y a rien à attendre de cette « justice » coloniale. L’enquête israélienne conclura comme d’habitude que les Palestiniens sont responsables de l’assassinat de Shireen.
Les Palestiniens commémorent le 74e anniversaire de la Nakba de 1948. Israël acceptera-t-il le retour des Palestiniens à leurs terres usurpées ?
La Nakba, c’est le crime fondateur de cette guerre. Pour les Israéliens, il est impossible de reconnaître que leur État a été fondé grâce à un nettoyage ethnique prémédité. Accepter le retour des réfugiés comme l’exigeait la résolution 194 de l’ONU en 1948, ce serait reconnaître que l’ensemble du projet sioniste est illégitime. Ça ne pourra avoir lieu qu’avec un bouleversement complet.
Une « anecdote » sur la Nakba. En 2000, un étudiant israélien, Teddy Katz, commence une thèse sur le massacre de Tantura en 1948, un village au sud de Haïfa. Scandale et campagne de presse en Israël. Teddy Katz, menacé, abjure. Sa thèse est supprimée. Son directeur de thèse s’exile. Et puis, il y a quelques mois, les derniers survivants de la brigade Alexandroni qui sont presque centenaires se mettent à parler : « oui, nous avons massacré 200 à 300 villageois. Le charnier se trouve sous le parking de la plage ». De tels aveux ne changent hélas rien en Israël où les barrières morales se sont écroulées.
Croyez vous qu’il y’a deux poids, deux mesures, de la part de certains pays occidentaux qui dénoncent la guerre en Ukraine et ferment les yeux pour ce qui est des exactions perpétrées par Israël contre les Palestiniens ?
Bien sûr. Quand le ministre des affaires étrangères français Le Drian dénonce les crimes de l’armée russe, ces crimes sont bien réels, mais il n’a jamais rien dit sur les crimes israéliens. Ce n’est pas faute d’information, les diplomates français en poste en Palestine font des rapports très détaillés sur les confiscations de terres, les destructions de maisons, les fidèles gazés dans les mosquées, les enfants arrêtés. Mais la France, comme l’Europe, est consciemment complice.
Quand trop d’images circulent, ce qui est le cas avec l’assassinat de Shireen, l’Occident se dit « préoccupé », mais il n’y a aucune sanction, donc cela encourage l’occupant à poursuivre ses violences.
Et en France, les mêmes politiciens qui s’illustrent dans les propos racistes et dans la chasse aux réfugiés afghans, syriens, africains … sont les premiers volontaires pour accueillir des réfugiés ukrainiens. L’UJFP est pour l’accueil digne de tous les réfugiés, sans discrimination.
Entretien réalisé par Mounir Abi