Peut-on comparer la situation des réfugiés palestiniens à celle des Juifs d’Israël qui ont fui les pays arabes ? Réflexion d’un écrivain palestinien

par Hassan Khader. Paru dans Courrier International.

Les Juifs arabes sont victimes de deux nationalismes, le nationalisme arabe et le sionisme. Les deux leur ont interdit d’être des citoyens arabes. C’est la première remarque qu’on peut faire au sujet de la conférence organisée en septembre par les Nations unies [à l’initiative d’Israël] sur les réfugiés juifs des pays arabes. Présenter les Israéliens d’Orient comme des réfugiés chassés des pays arabes [ainsi qu’on l’a vu lors de la conférence] revient à saper l’édifice idéologique du sionisme, bâti sur les concepts de galout [exil et dispersion] et de rédemption [retour en Israël]. Dans les années 1970, quand la question des réfugiés palestiniens revint sur le devant de la scène internationale, Yaakov Meron, directeur des affaires juridiques au ministère de la Justice israélien, avait souligné que les Juifs des pays arabes étaient aussi des réfugiés.

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Des personnalités israéliennes de premier plan n’ont pas apprécié qu’on dise qu’elles étaient venues en Israël contraintes et forcées, comme réfugiés, et non pas de leur plein gré. Car cette notion de réfugié est contraire à l’idée d’un retour volontaire et du lien historique entre une terre [Eretz Israël] et un peuple [les Juifs].

En outre, historiquement, politiquement, mais aussi moralement, il n’est pas possible de mettre les réfugiés juifs sur un pied d’égalité avec les réfugiés palestiniens. Cela ne nie pas le fait que certains Juifs ont été contraints de partir, de peur de subir des exactions, ni leur refuser le droit individuel à être indemnisés pour leurs biens saisis dans les pays arabes. Mais les réfugiés palestiniens ont été victimes d’une épuration ethnique. Cela a été acté par les Nations unies dès 1948 et réaffirmé chaque année depuis.

Séfarades ou orientaux

Un Arabe peut être musulman, chrétien ou juif. Pendant des siècles, les Juifs ont fait partie intégrante du tissu social, culturel et économique des sociétés arabes. Le drame est que le conflit des Arabes avec le sionisme a coïncidé avec le combat contre le colonialisme européen et les luttes au sujet de l’élaboration d’une identité pour les Etats-nations arabes modernes. Pour le sionisme, les Juifs du monde arabe ne sont de­venus importants qu’après la Seconde Guerre mondiale, le nazisme ayant détruit les réserves d’émigration constituées par le judaïsme de l’Europe centrale et orientale.

Aujourd’hui, en Israël, alors qu’on parle de Juifs russes, américains, allemands, etc., on ne dit pas Juifs arabes, ni même Juifs égyptiens, irakiens ou syriens, mais séfarades ou orientaux. Un jour, quand le sionisme ne sera plus considéré comme l’aboutissement du judaïsme, quand on aura réglé le problème de la citoyenneté et qu’aura reflué la vague de fondamentalisme dans le monde arabe, les Arabes auront le devoir de réfléchir à la manière de renouer avec le pluralisme linguistique, ethnique et religieux qui faisait partie de leur identité, qui en faisait le charme et qui en constituait la spécificité historique et culturelle. Quand cela se produira, les Juifs arabes récriront leur histoire.

Hassan Khader


“Transferts”

En 1948, la création de l’Etat d’Israël a été marquée par la fuite ou l’expulsion de près de 770 000 Arabes palestiniens. Parallèlement, 760 000 Juifs ont fui ou ont été expulsés des Etats arabes et se sont établis majoritairement en Israël. Aujourd’hui, pour éluder la question des réfugiés palestiniens, le gouvernement israélien défend donc l’idée qu’il y a eu un “transfert” entre Juifs orientaux et Palestiniens et que tout règlement de la question doit prendre en considération les deux cas.