7 OCT. 2021 | PAR DOMINIQUE VIDAL | BLOG : DOMINIQUE VIDAL
Bis repetita non placent. Les amis de la droite israélienne sèment la confusion à propos d’une résolution du Sénat sur l’antisémitisme. Rien de neuf : ils en avaient fait autant lors de l’adoption d’une résolution similaire par l’Assemblée, le 3 décembre 2019. Le racisme et le négationnisme décomplexés qui s’affirment en ce début de campagne présidentielle méritent une mobilisation plus sérieuse.
Mardi 5 octobre : le Sénat adopte à la majorité une résolution sur l’antisémitisme, le groupe communiste ne prenant pas part au vote et le groupe écologiste s’abstenant. Président de celui de Les Républicains et co-auteur du texte, Bruno Retailleau, cité par Public Sénat , explique : « Hier, l’antisémitisme était principalement le fait d’une idéologie, de l’extrême droite. Aujourd’hui, un autre écosystème s’est mis en place dans les territoires perdus de la République, gagnés par l’islamisme. Des territoires où on ne peut plus enseigner à l’école la Shoah […] Dans ces territoires combien de familles ont dû s’exiler la peur au ventre », insiste-t-il en visant un antisémitisme « qui se cache dans l’ombre de discours prétendument antiracistes ».
Le problème, pour Retailleau et ses amis pro-israéliens, c ‘est que la résolution du Sénat ne traite en rien de tout cela. Un « autre éco-système » de l’antisémitisme ? Il n’en est pas question. Les « Territoires perdus de la République » ? Il n’en est pas non plus question. « L’islamisme » ? Pas question. « La Shoah » qu’on ne peut plus enseigner ? Pas un mot. « Des discours prétendument antiracistes » ? Encore moins. Rien de tout cela n’y figure.
En fait, la résolution votée par le Sénat se contente :
1 ) d’adopter les deux seules phrases de la définition de l’antisémitisme adoptée le 26 mai 2016 à Bucarest par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA) : « L’antisémitisme est une certaine perception des Juifs qui peut se manifester par une haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme visent des individus juifs ou non et/ou leurs biens, des institutions communautaires et des lieux de culte »;
2) et de préciser « que l’application de cette définition ne remet pas en cause la liberté fondamentale de critiquer les politiques menées par l’État d’Israël ».
Une fois encore, les amis de la droite israélienne ont fait preuve d’une imagination débordante. Et des journalistes complices ou paresseux ont relayé leurs extrapolations.
Voici, pour que chacun puisse en juger, le texte intégral de ladite résolution :
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu le chapitre XVI du Règlement du Sénat,
Vu la définition de l’antisémitisme adoptée le 26 mai 2016 par les trente et un États membres de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste,
Rappelle sa détermination à lutter contre l’antisémitisme sous toutes ses formes ;
Estime que la définition proposée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste caractérise de manière adéquate l’antisémitisme contemporain ;
Considère que l’application de cette définition ne remet pas en cause la liberté fondamentale de critiquer les politiques menées par l’État d’Israël ;
Juge dès lors qu’elle constitue, tant en matière de prévention que d’éducation, de formation ou de répression, un instrument utile pour mieux lutter contre l’antisémitisme ;
Invite le Gouvernement, dans un travail de pédagogie, à la diffuser auprès des services éducatifs, répressifs et judiciaires.
Délibéré en séance publique, à Paris, le 5 octobre 2021.
Le Président, Signé : Gérard LARCHER
Bref, pour en venir au cœur de l’opération, ce texte ne cite pas – et n’évoque même pas – les fameux « exemples » qui traitent, eux, entre autres, de la critique d’Israël. Et pour cause : ils ne font pas partie de la définition de l’antisémitisme par l’IHRA qui, on l’a vu, se limitent à deux phrases. Les exemples, nous dit le document de Bucarest, « illustrent » ladite définition.
En voici le texte intégral :
« Les exemples suivants, destinés à guider le travail de l’IHRA, illustrent cette définition.
L’antisémitisme peut se manifester par des attaques à l’encontre de l’État d’Israël lorsqu’il est perçu comme une collectivité juive. Cependant, critiquer Israël comme on critiquerait tout autre État ne peut pas être considéré comme de l’antisémitisme.
L’antisémitisme consiste souvent à accuser les Juifs de conspirer contre l’humanité et, ce faisant, à les tenir responsables de «tous les problèmes du monde». Il s’exprime à l’oral, à l’écrit, de façon graphique ou par des actions, et fait appel à des stéréotypes inquiétants et à des traits de caractère péjoratifs.
Parmi les exemples contemporains d’antisémitisme dans la vie publique, les médias, les écoles, le lieu de travail et la sphère religieuse, on peut citer, en fonction du contexte et de façon non exhaustive:
- l’appel au meurtre ou à l’agression de Juifs, la participation à ces agissements ou leur justification au nom d’une idéologie radicale ou d’une vision extrémiste de la religion ;
- la production d’affirmations fallacieuses, déshumanisantes, diabolisantes ou stéréotypées sur les Juifs ou le pouvoir des Juifs en tant que collectif comme notamment, mais pas uniquement, le mythe d’un complot juif ou d’un contrôle des médias, de l’économie, des pouvoirs publics ou d’autres institutions par les Juifs ;
- le reproche fait au peuple juif dans son ensemble d’être responsable d’actes, réels ou imaginaires, commis par un seul individu ou groupe juif, ou même d’actes commis par des personnes non juives ;
- la négation des faits, de l’ampleur, des procédés (comme les chambres à gaz) ou du caractère intentionnel du génocide du peuple juif perpétré par l’Allemagne nationale-socialiste et ses soutiens et complices pendant la Seconde Guerre mondiale (l’Holocauste) ;
- le reproche fait au peuple juif ou à l’État d’Israël d’avoir inventé ou d’exagérer l’Holocauste ;
- le reproche fait aux citoyens juifs de servir davantage Israël ou les priorités supposés des Juifs à l’échelle mondiale que les intérêts de leur propre pays ;
- le refus du droit à l’autodétermination des Juifs, en affirmant par exemple que l’existence de l’État d’Israël est le fruit d’une entreprise raciste ;
- le traitement inégalitaire de l’État d’Israël, à qui l’on demande d’adopter des comportements qui ne sont ni attendus ni exigés de tout autre État démocratique ;
- l’utilisation de symboles et d’images associés à l’antisémitisme traditionnel (comme l’affirmation selon laquelle les Juifs auraient tué Jésus ou pratiqueraient des sacrifices humains) pour caractériser les Juifs et les Israéliens ;
- l’établissement de comparaisons entre la politique israélienne contemporaine et celle des Nazis;
- l’idée selon laquelle les Juifs seraient collectivement responsables des actions de l’État d’Israël.
Un acte antisémite est une infraction lorsqu’il est qualifié ainsi par la loi (c’est le cas, par exemple, du déni de l’existence de l’Holocauste ou de la diffusion de contenus antisémites dans certains pays). »
Tels des prestidigitateurs, les inconditionnels d’Israël ne sortent pas un lapin de leur chapeau, mais… ces exemples de résolutions – celle de l’IHRA comme celles de l’Assemblée nationale et du Sénat – où ils ne figurent pas.
Ces petites manœuvres sont indignes. L’affirmation, en ce début de campagne présidentielle, d’un antisémitisme et d’un négationnisme décomplexés, en violation flagrante des lois antiracistes, y compris la loi Gayssot, le confirme : il est temps de rassembler et de mobiliser toutes les forces démocratiques contre ce poison mortel pour notre démocratie.