Petit journal de bord de Michèle Sibony (suite)

Une première grande manifestation à Tel Aviv

Près de 6000 personnes se sont rassemblées ce soir à partir de 18h30 sur la grande place Rabin pour manifester contre la guerre. Tous les mouvements anticolonialistes étaient là, et même aussi au dire de camarades, des gens que l’on n’avait pas vus depuis très longtemps dans les manifestations. Beaucoup de jeunes gens très déterminés. Nous arrivons vers 18h et la première personne que nous croisons est le poète et écrivain Itzhak Laor.

Beaucoup de télévisions étrangères, pas de télé israélienne en vue. Uri Avneri de Gush Shalom déjà en interview, Michel Warshawski de l’AIC, Gadi Elgazi de Ta’ayush, Khulood Badawi de hadash et la coalition des femmes, l’acteur palestinien Muhammad Bakri, Juliano Mer-Khamis le fils d’Arna. Les bus arrivent de Haïfa, Jérusalem, de Nazareth et des villages palestiniens du nord et du centre, et les gens continuent d’affluer sur la place, tout le monde surveille et compte, c’est un enjeu majeur, cette manif doit lancer le mouvement anti guerre ici. On sentait ces derniers jours une certaine mobilisation mais on avait peur d être optimiste, on se disait, mille c’est bien, deux mille très bien…Les militants sont bien conscients que l’effondrement de la gauche israélienne et de la paix maintenant depuis 2000, ne permettent pas d’espérer des manifestations de masse pour l’instant, aussi la présence remarquée sur le parcours par des gens qui les connaissent de pas mal de ‘main stream’ comme ils les appellent, c’est-à-dire de gens proches de la paix maintenant, est encourageante.
La police est aussi très présente, les chevaux sont attaches à l’ombre. Les consignes sont très strictes. Interdit de déborder ni dans le temps 19h 21h, ni dans l’espace, pas question de couvrir des rues extérieures de marcher sur une platebande ou de poser un pied en dehors des limites imposées à gauche et à droite des files, sinon rappel à l’ordre immédiat.
Deux groupes attirent tout de suite l’attention : les jeunes anarchistes contre le mur ceux de Bil’in sont venus en cortège bariole et bruyant tambours et sifflets, sous une banderole qui dit : assez de tuer des civils. Parmi eux un groupe appelé ‘Ha kvissa hassani’ : la lessive noire c’est-à-dire le linge sale (celui qui ne se lave qu’en famille) avec un jeu de mot autour de kvissa/ kivssa qui signifie le mouton noir, celui qui est exclu du troupeau, ce sont des homosexuel-e-s de Tel Aviv, très actifs contre l’occupation. Les shministim jeunes refuzniks, les ‘combattants pour la paix’ groupe judéo palestinien constitue récemment par le fils de Nourit El Hanan, Gai.
Les groupes de travailleurs communistes arabes, et de jeunes palestiniens de hadash sont la aussi. Les drapeaux rouges foisonnent. Je suivrai la manif dans leur rang, leur énergie est magnifique et leurs slogans aussi, Tadjamo (front national démocratique) est devant, derrière, Yesh Gvul (le mouvement du refus de la (première) guerre du Liban, la coalition des femmes, Ta’ayush, new profile…
La manif démarre et le cortège s’empare de l’avenue Ibn Gvirol, et tous les micros s’allument, on est nombreux on le sait on va faire du bruit, aux fenêtres des gens navres nous regardent défiler, inquiets, des guirlandes de drapeaux israéliens signalent les balcons hostiles. Les jeunes leur adressent directement le slogan : Non a la guerre oui a la paix. Un garçon de 14-15 ans du balcon menace le cortège avec un revolver (en plastique ou réel ?) et multiplie les gestes obscènes, les jeunes palestiniens du cortège s’échauffent et veulent sortir, la police intervient, il faut les calmer. |les nouvelles circulent des manifs européennes, 25000 a Londres, c’est bien !
Le rassemblent final remplit la place et les rues autour de la cinémathèque, a la tribune on entendra Uri Avneri de gush shalom, Shulamit Alloni ancienne ministre de l’éducation et ancienne députée Meretz, Issam Mahoul secrétaire du parti communiste et ancien député, Ishai Menuhin de yesh gvul, Awad Abdel Fatah secrétaire de Tadjamo Yael Dryer une jeune shministit.
Mais le discours de cette manifestation c’est dans la rue qu’on l’a entendu dans Tel Aviv et le pays, depuis la place Rabin jusqu’à la cinémathèque de la capitale, et je l’espère aussi a Beyrouth a Gaza, en Cisjordanie et dans les capitales du monde, il a été crié ce soir par six mille juifs et arabes palestiniens d’Israël ensemble, et il dit :

NON A LA GUERRE ! OUI A LA PAIX ! NEGOCIATIONS IMMEDIATES !
PERES ! MINISTRE DE LA SECURITE ! COMBIEN D ENFANTS AS-TU TUE JUSQU ICI ?
NI MISSILES NI BOMBES ! LIBEREZ LES PRISONNIERS !
TSAHAL ! TSAHAL ! PAS DE PRETEXTE ! SORS TOUT DE SUITE DU LIBAN !
TSAHAL ! TSAHAL ! YALLA ! YALLA ! HORS DE GAZA ET DE RAMALLAH !
LES MURS ET LES GUERRES N’APPORTENT QUE LE MALHEUR !
1 ! 2 ! 3 ! 4 ! ON NE VEUT PAS ENCORE D UNE GUERRE !
TOUS LES MINISTRES DE LA DEFENSE SONT DES CRIMINELS DE GUERRE !
BUSH A DEJA DECIDE AVEC OLMERT DE L OCCUPATION ET DE LA GUERRE !
PERES PERES ! PAS DE SOUCI ! ON T’ATTEND A LA HAYE !
LIBEREZ LES PRISONNIERS, EMPRISONNEZ LES MINISTRES !
DE BEYROUTH À HAIFA ON EST CONTRE LA GUERRE !
L OCCUPATION EST UN MALHEUR ! SORTEZ TOUT DE SUITE DE GAZA ET DU LIBAN !
A GAZA ET A SDEROT LES ENFANTS VEULENT VIVRE AUSSI !
SAUVEZ LES ENFANT ! ARRETEZ LES CANONS !
SOLDAT ECOUTE ! A PRESENT TU DOIS REFUSER !
ON NE TIRE PAS ON NE PLEURE PAS ! ON REFUSE D’ETRE DES ASSASSINS !
ON NE TIRE PAS ON NE PLEURE PAS ! ON REFUSE D’ETRE ENNEMIS !
NOUS NE MOURRONS PAS ET NOUS NE TUERONS PAS AU SERVICE DES Etats-Unis
TOUT L’ARGENT À L’ARMEE NOUS LE PAYONS AVEC NOTRE SANG !
LA GUERRE EST UNE CATASTROPHE, LA PAIX LA SOLUTION !
SAUVER LES PEUPLES ! FAIRE TAIRE LES CANONS !
ON MENT AUX CITOYENS ! LA PAIX CE N EST PAS LES CANONS !
ISRAEL ! YALLA, YALLA ! PARLE AVEC NASRALLAH !
GAZA NE TE DECOURAGE PAS ! ON EN FINIRA AVEC L OCCUPATION !
Tous ces slogans sont dits en arabe et en hébreu, on entend en plus dans les cortèges arabes,
DE GAZA A BEYROUTH LE PEUPLE VIT ET NE MOURRA PAS !
DE GAZA A BEYROUTH UN SEUL PEUPLE CONTRE L’OCCUPATION !
Et le chant révolutionnaire arabe qui dit à peu près : ‘Si le peuple veut vivre il forcera le destin et il lui sourira’
Et le chant national : ‘Biladi biladi : mon pays mon pays, toi mon amour et mon cœur, nous avons éclairé la route pour l’impossible, de Galilée au Néguev notre sang libre crie…’
Tout le monde s’est séparé avec la promesse de revenir très vite, et bien plus nombreux encore, ici et partout dans le monde.

29 juillet 2006
La manifestation des Femmes Contre la Guerre a été appelée par le comite ‘women against war’ WAW lance par la coalition des femmes pour la paix, la semaine dernière.
Elle appelait les femmes a se rassembler vêtues de noir (couleur de la lutte anti occupation choisie par les femmes en noir israéliennes depuis la première Intifada). Les hommes étaient invites à participer à la manif vêtus eux aussi de noir.
La visibilité d une manif de femmes et la force de son message permettaient à tout le monde de trouver son compte dans cette option. De fait les 1500 personnes réunies hier soir sur la place Rabin pour un parcours un peu plus long que précédemment, ont rempli leur mission. Beaucoup de gens non connus, beaucoup d’anxiété. Une majorité de femmes, venues de Haïfa, Jérusalem, Nazareth, Akko, … et une forte minorité d’hommes, ont défiles avec les slogans déjà adoptes contre la guerre dans les manifs précédentes, et ceux qui suivent :
De l’argent pour les quartiers pas pour la guerre
On ne construit pas sa sécurité sur des cadavres de civils
Idem avec enfants
Pères démissionne, on ne veut plus de toi
Olmert démissionne…
Condolezza, l étrangère, rentre chez toi
Soldat écoute, tu dois refuser
Juifs arabes, nous ne voulons pas être ennemis
Juif-ve-s arabes nous voulons la paix
Mais déjà l’urgence de la prochaine manif se fait sentir et tout le monde se sépare sur ces mots ; il faut être très nombreux la semaine prochaine.

30 juillet 2006 – de Bint Djbel a Cana
Le massacre de Cana, ce matin est un coup de poing dans l’estomac pour tous les militants, et pas seulement pour eux. Même les commentaires radios ici annonçaient l événement ce matin indiquant qu il risquait fort de constituer un tournant dans la guerre.
Oubliée la manif d hier, quelques dizaines de militants se précipitent des le milieu de la matinée en face de la mairie, sur un pont entre deux échangeurs, du périphérique. En plein cagnard… les pancartes sont éloquentes, les visages fermes sous les quolibets, insultes ou remarques des passants. Des discussions parfois animées cependant. Ce soir c est a Jérusalem en face de la résidence d’Olmert a 18h, il y aura sans doute plus de monde a cause de l’heure. Mais surtout le comite anti guerre entrain de se former accélère le pas, pour se rendre plus vite opérationnel et visible, ce qui devrait lui permettre de grandir.
On entend parler de dissensions grandissantes dans la paix maintenant d ici, incapable jusqu’ici de sortir un quelconque communique sur la situation tant les clivages internes sont forts, et les vetos réciproques sur telle ou telle position. Meretz appelle des ce soir a un rassemblement aussi en face de la mairie a 19h30. Pause télé : incroyable ! Je suis chaque fois épatée : un haut représentant de l’armée, interrogé par un journaliste de la chaîne 10 (plutôt à gauche) qui lui fait remarquer que les titres de la presse internationale : ’Israël refuse tout cessez le feu’, font très mauvaise impression. Le journaliste suggère une politique pédagogique (déjà vu) du type, dit-il : ‘oui, mais’
Le représentant militaire répond : ‘j’espère que le gouvernement va trouver une formule : cessez le feu oui, mais, avec une liste de conditions telles qu elles rendront ce oui totalement inopérant.’ Sic !
Scoop ! L’opération du Liban, la guerre sans nom comme on l’appelle ici, ou visiblement ça gêne cette absence de nom, comme pour les ouragans on aurait du mal si on ne savait pas distinguer entre Caroline et Paulette. Alors ça y est l’armée a baptisé sa guerre :’Changement de Direction’.
Tous les commentateurs du nord, insistent lourdement sur les drames des habitants du nord d’Israël et n’hésitent pas a expliquer qu ils souffrent autant que les libanais. Les arguments tournent en boucle : Nous on prévient les civils, eux ne les préviennent pas, nous avons des milliers de réfugiés vers Tel Aviv et Jérusalem.
Il paraîtrait de source palestinienne que beaucoup de réfugies du sud Liban sont accueillis dans les camps de réfugiés palestiniens.
Le commentateur du front donne la température du terrain après ‘l’erreur de Cana’, (c’est visiblement l’expression adoptée) et cela ne présage pas du tout d’un coup de frein, mais plutôt d’une accélération, s’annoncent de son point de vue des opérations plus nombreuses et plus à l’intérieur du Liban…
Le verbe utilise par l’armée de l’air pour ses opérations est ‘Liktosh’ que l’on utilise par exemple pour l’ail dans son pressoir : écraser, encore un joli mot à ajouter a mon lexique : Liktosh.
Je voudrais conclure ce petit compte rendu décousu, et confus, à l’image exacte de ce que je ressens, comme beaucoup d’autres ici autour de moi, par quelques questions qui me harcèlent tous ce derniers jours : Qu’est-il arrivé dans le monde pour que l’on permette à cet Etat, cette armée, de faire ce qu’ils font tranquillement ave le soutien massif de leur population ?
Quelle vision du monde, du Moyen Orient dans lequel ils veulent vivre et d’eux même ces derniers se sont-ils donc forgés pour en arriver là ?
Qu’arrive t’il aux juifs dans le monde pour que tant d’entre eux se taisent aussi devant tout ce sang versé soi disant pour la sécurité des juifs ici et dans le monde ?
N’avons-nous donc plus de pitié, d’amour et de respect que pour nous-mêmes ?
Qu’avons-nous retenu de nos leçons de talmud et d’histoire, si nous ne sommes pas capables d’empêcher cela ?
Quelle page sombre de l’histoire juive sont-ils en train d’écrire avec le sang palestinien et libanais ? Et au nom de qui ?
Une page que l’on ne pourra plus jamais lire sans honte et sans larmes.
Et ‘Qu’allons nous faire de toute cette haine que provoque cette sale guerre me demandent avec anxiété des militants arabes d’Europe et de Palestine ?’ Quelle folie.

31 juillet 2006
Les infos ce matin mettent en valeur les drames israéliens, les autobus qui ont sauté par le passé sans révéler autant de sympathie que les morts de Cana, et l’explication entendue deux ou trois fois sur trois radios différentes ; en un mot que voulez vous, ils ne nous aiment pas ! Il y a un fort sentiment anti juif en France notamment, en Espagne, en Allemagne… Et voila, tout est dit la boucle est bouclée.