Pessah 2025, entre mythes et roman national

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« Le conflit israélo-palestinien n’est pas religieux. C’est un conflit politique, un conflit de colonisation kidnappé par les discours religieux », Sophie Bessis1.

La fête de Pessah (פֶּסַח) se termine. Une tradition qu’enfant j’adorais avec cette rupture de nos habitudes, de notre alimentation, avec la lecture familiale de la Haggadah (le texte qui raconte la sortie d’Egypte et son rituel pour la rappeler)… Puis j’ai appris à la lire l’Exode (שְׁמוֹת – Chemot, « les mots » en hébreu), le 2e livre de la Torah. J’en ai aussi appris depuis les interprétations, manipulations et autres détournement qu’en font certains et en particulier les différentes propagandes sionistes. C’est ce dont nous allons parler maintenant.

I – Il n’y a jamais eu de sortie d’Egypte :

C’est brutal mais historiens et archéologues sont d’accord : il n’y a jamais eu de mer Rouge qui s’ouvre, pas d’errance dans de Sinaï, pas de conquête de Canaan2.

Il n’y a pas eu d’esclavage en Egypte : contrairement aux pratiques des autre sociétés à la même époque, les Egyptiens ne pratiquaient pas l’asservissement. En fait, il était très marginal en Egypte, les esclaves étant surtout des prisonniers de guerre.

Mais y a-t-il seulement eu des Hébreux en Egypte ? On peut se poser la question. En effet aucun document égyptien ne mentionne la présence d’Hébreux, alors que ceux-ci nous ont laissés une grande quantité de rapports et chroniques2. Des papyrus mentionnent souvent des Apirous (ou Habiru / ʿApiru), des groupes de personnes vivant en marge des sociétés du Proche-Orient ancien, en Égypte, Canaan, et jusqu’en Mésopotamie (où on a aussi trouvé des tablettes les mentionnant) et au Levant, entre le XVe et le XIIIe siècle AEC (c’est-à-dire, selon la Bible, après le départ des Hébreux). Certains pensent que les Apirous étaient les Bédouins, ces Arabes qui avaient quitté en masse le Hedjaz à partir de 3000 AEC.

L’Exode raconte que le 14 nissan 1440 AEC, « 600 000 hommes environ sans compter les enfants » (Exode 12:37 : כְּשֵׁשׁ-מֵאוֹת אֶלֶף רַגְלִי הַגְּבָרִים, לְבַד מִטָּף) c’est à dire, qu’en y ajoutant femmes et enfants, se sont environ 2,5 millions d’Hébreux qui seraient « sortis d’Egypte ». C’est juste impossible : l’Egypte avait une population estimée à l’époque entre 2,5 et 3 millions d’habitants (rappelons que la Terre comptait alors seulement 40 à 50 millions d’humains). Un tel mouvement de population aurait représenté une catastrophe sans précédent qu’aucun texte, aucune trace archéologique ne mentionne.

Les historiens savent que les récits de l’antiquité ont tendance à exagérer le nombre des personnes d’un royaume, dans une bataille…etc. Supposons que le récit biblique contenait une quelconque vérité, il n’y avait donc pas 2 millions et demi d’Hébreux dans le désert. Et s’ils étaient beaucoup moins, quelques milliers de personnes par exemple ?

Les Egyptiens, traumatisés par l’invasion des Hyksos, 200 ans plus tôt, avaient construit un grand nombre de forts dans le Sinaï dont les occupants signalaient le moindre incident. Alors que des papyrus signalent la présence de bergers venant faire boire leurs bêtes… aucun rapport ne notifie la présence d’un quelconque groupe d’Hébreux errant dans ce désert…

Un site important, Cadès-Barnéa (repère 12 ci-dessous), où, selon le récit biblique les Hébreux auraient campé pendant 38 ans, a été largement fouillé sans montrer le moindre signe d’occupation au XVe siècle AEC2.

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Le trajet des Hébreux à travers Sinaï, Néguev et Jordanie tel que le raconte l’Exode.3

Quand Israël s’est emparé du Sinaï en 1967, ses autorités archéologiques ont dépêché un grand nombre de chercheurs sur la trace des Hébreux, suivant le trajet indiqué dans l’Exode sans en déceler aucune trace non plus…

Par contre, les archives égyptiennes précisent qu’Amenhotep II, un pharaon de la XVIIe dynastie avait alors étendu l’Empire égyptien jusqu’en Syrie, Canaan compris. Curieuse « libération » vers un pays vassal de l’Egypte… Une contradiction qu’avaient déjà souligné les archéologues Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman2 et, plus récemment, Shlomo Sand4.

Résumons : pas d’Hébreux, ni en Egypte, ni dans le Sinaï… Donc pas d’Amalek non plus ? Le terrible et monstrueux Amalek, chef des Amalécites, n’a donc pas pu attaquer une arrière-garde hébreue qui n’existait pas…

L’Exode (chap. 17) décrit la bataille qui a opposé les Hébreux conduits par le valeureux Josué contre des Amalécites fourbes et cruels à Rephidim (noté « 7 » dans la carte ci-dessus). Grâce à une intervention divine (Moïse qui lève les bras vers Dieu) les Hébreux sont vainqueurs et Dieu promet alors d’effacer la mémoire d’Amalek sous le ciel…

Amalek réapparaitra pourtant dans le Deutéronome (chap. 25:17-19) et surtout au chapitre 15 du 1er livre de Samuel. Dans ce chapitre le prophète Samuel ordonne au roi Saül « va frapper Amalek, et anéantissez tout ce qui est à lui ; qu’il n’obtienne point de merci ! Fais tout périr, homme et femme, enfant et nourrisson, bœuf et brebis, chameau et âne ! ». Un ordre choquant car contraire à la Torah5 qui interdit de punir les enfants pour les crimes de leurs pères et sachant que Saül aurait vécu environ 150 ans (7 générations) après la fameuse attaque dans le désert…

Mais aucune de ces considérations n’a arrêté Benjamin Netanyahou quand il a déclaré le 28 octobre 2023 : « Vous devez vous souvenir de ce qu’Amalek vous a fait » faisant référence aux ordres bibliques de l’exterminer, comparant ainsi les Palestiniens de Gaza aux Amalécites… et le message a bien été retenu par Tsahal à Gaza, une preuve en est la vidéo montrant des soldats de l’unité 504 (le renseignement militaire) chantant : « Nous allons éradiquer la semence d’Amalek » quelques semaines plus tard !

II Une bien curieuse libération

Après avoir libéré les Hébreux, Dieu leur donne la terre de Canaan. Or, il s’agit d’une terre déjà peuplée par des gens qui y travaillent puisque la Torah la décrit comme fertile et où « coule le lait et le miel »). A l’époque la Torah ne prétend pas qu’il s’agit d’ « une terre sans peuple » et en nomme même ses habitants : (Exode 3:8 : « y habitent le Cananéen, le Héthéen, l’Amorréen, le Phérézéen, le Hévéen et le Jébuséen » –  וָאֵרֵד לְהַצִּילוֹ מִיַּד מִצְרַיִם, וּלְהַעֲלֹתוֹ מִן-הָאָרֶץ הַהִוא, אֶל-אֶרֶץ טוֹבָה וּרְחָבָה, אֶל-אֶרֶץ זָבַת חָלָב וּדְבָשׁ–אֶל-מְקוֹם הַכְּנַעֲנִי, וְהַחִתִּי, וְהָאֱמֹרִי וְהַפְּרִזִּי, וְהַחִוִּי וְהַיְבוּסִי ).

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Donc, selon la Torah, Dieu donne aux Hébreux une terre où vit un autre peuple. Il s’agit d’un vol. Il est raconté sans fards dans Le livre de Josué ( יְהוֹשֻׁעַ ) qui était à l’origine le 6e livre de la Torah. Cette prise s’effectue dans une violence extrême où tout est permis : les Hébreux tuent tous leurs ennemis y compris les fuyards, les femmes, les enfants, le bétail (« même les ânes » précise le Livre) et avec l’aide de Dieu qui donne des idées tactiques à Josué ou participe directement (eg. les murailles de Jéricho).

Le premier livre de la Torah, la Genèse ( בראשית ), explique au chapitre 3, versets 22 à 26, que les habitants de Canaan sont les descendants d’un « inverti », Cham (dont les enfants fonderont les villes de Sodome et Gomorrhe bien connues). Est-ce la raison pour laquelle tout est permis ?

III Le « Message » n’est pas sans rappeler la légende sioniste

A l’image (biblique) des Hébreux, les Juifs vont déposséder les Palestiniens d’une terre que « Dieu leur avait donné » ou bien « sur laquelle ils reviennent », c’est selon chacun. Bien qu’il s’agisse selon la propagande sioniste d’« une terre sans peuple », ce vol va aussi s’effectuer dans la violence de l’expropriation de paysans ou de métayers et culminera avec la Nakba : 750 000 personnes chassées et 400 à 500 villages détruits sans oublier les (environ) 15 000 morts !

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(Réalisation Chat GPT)

IV Pessah en Israël

Tout en passant la Nakba sous silence, la célébration de Pessah en Israël n’hésite sur aucun anachronisme pour célébrer la « libération du peuple juif », faisant le parallèle avec la création de l’Etat.

Pessah est d’ailleurs une des fêtes les plus importantes et les plus observées en Israël, tant sur le plan religieux que culturel. Elle dure 7 jours et sera célébrée cette année encore sans aucune allusion au génocide en cours à Gaza.

Fête religieuse et familiale en principe, l’Etat d’Israël a totalement investit cette célébration qui conforte le roman national :

  • Tout commence la veille de Pessa’h avec une procédure qui permet aux citoyens et aux institutions de respecter les obligations de la religion juive : la vente symbolique du hamets (les restes de pain levé) de l’État d’Israël à un non-juif. Cette année Bezalel Smotrich, ministre des Finances a délégué cérémonieusement aux deux grands rabbins d’Israël (Itshak Yossef et David Lau) le pouvoir de vendre le hamets au nom de l’État. Le rôle du non-juif a été tenu (comme depuis plus de 20 ans) par Hussein Jaber, un Palestinien d’Israël qui a versé une somme symbolique de 20 000 shekels (environ 4 800 €) pour cette acquisition.
  • Dans les écoles, avant des vacances d’une semaine bien méritées, les élèves ont étudié tous les détails de la « sortie d’Egypte », le désert, les Tables de la Loi, Amalek et conquête de Canaan compris. Les enfants ont aussi appris le « Cantique de la mer » ( שירת הים, Shirat HaYam), tiré du chapitre 15 de l’Exode, qui remercie Dieu pour avoir ouvert la mer Rouge. Un cantique aussi chanté à la synagogue à l’occasion de Pessah.
  • Les institutions publiques (écoles, armée, gouvernement) respectent les règles de Pessah (jours fériés, pas de pain levé…).
  • Hôtels et propriétés de l’armée sont mis à contribution pour organiser des séder communautaires.

Mais l’aspect festif n’a pas été oublié… dans un comportement digne de celui des protagonistes du film « La zone d’intérêt » de Jonathan Glazer, les villes du pays ont célébré la « libération » dans une ambiance festive et familiale comme si le génocide en cours à Gaza se déroulait sur une autre planète.

  • A Tel Aviv, comme sur toute la longueur de la côte, plages, restaurants et boîtes de nuit n’ont pas désemplis.
  • On a compté près de 100 000 israéliens visitant réserves et parcs nationaux.
  • De nombreux événements culturels et concerts ont été organisés, comme, par exemple, le festival Boombamela, sur la plage de Nitzanim… située à 20 km de Gaza.
  • Et comment imaginer à quoi a pu ressembler cette fête avec reconstitution de la Sortie d’Egypte « en costumes d’époque » au kibboutz Yad Mordechaï… à moins de 2 km de Gaza ? A cette distance on entend distinctement les bombes exploser, les immeubles s’effondrer, les sirènes des ambulances… A 2 km, entend-on les cris des blessés ? Les cris de douleurs de ceux qui viennent de perdre un proche ? Peut-on sentir l’odeur des chairs brulées ? Comment ne pas penser à la famille Höss qui menait son quotidien bourgeois, ignorant le bruit de fond que constituaient les hurlements des prisonniers, les coups de feu, les aboiements des chiens et le sinistre ronronnement des machines faisant fonctionner les fours du camp ?

À la fin de Pessah, beaucoup célèbreront la Mimouna, une tradition d’origine marocaine… Une contradiction de plus pour cette société raciste qui, à l’image de Ben Gourion, considère les Juifs marocains comme des canailles, sans éducation … et bien trop « arabes » !

Les Palestiniens de Gaza n’ont même plus ce privilège ! Ils sont passés d’ « animaux humains » à « êtres invisibles » pour une société schizophrène qui n’envisage même pas leur existence. Déshumanisés, ignorés, cela permet de bombarder, massacrer, de tuer un maximum de Palestiniens. En « complément » stopper toute livraison, tout secours, permet de faire mourir de faim les plus fragiles (enfants, blessés, malades, vieillards). Le génocide peut continuer : nulle volonté internationale ne s’y oppose avec la force nécessaire et sur place, en Israël, à l’exception de quelques voix, de quelques jeunes gens refusant de servir, c’est la mer de l’indifférence envers d’autres humains. Une mer qui n’est pas prête à s’ouvrir.

 

Notes

(1) Historienne et journaliste féministe franco-tunisienne. Auteure notamment de Les Valeureuses : cinq Tunisiennes dans l’histoire, Tunis, Elyzad, 2017, Histoire de la Tunisie : de Carthage à nos jours, Paris, Tallandier, 2019, 528 et Je vous écris d’une autre rive : lettre à Hannah Arendt, Tunis, Éditions Elyzad, 2021.

(2) « La Bible dévoilée » de I. Finkelstein & N.A. Silberman et « Un archéologue au pays de la Bible », de I. Finkestein (Israël Finkelstein professeur émérite et Dr de l’Institut d’archéologie de l’Université de Tel-Aviv. Israël lui a confié la responsabilité des fouilles de Megiddo. Auteur de dizaines de livres et articles dont une contribution importante à la datation au 14C).

(3) Détail du parcours des hébreux

  1. Ramsès Israël sortit d’Égypte (Ex 12No 33:5).
  2. Succoth Quand les Hébreux quittèrent ce premier camp, le Seigneur les accompagna dans une nuée le jour, une colonne de feu la nuit (Ex 13:20–22).
  3. Pi-Hahiroth Israël y traversa la mer Rouge (Ex 14No 33:8).
  4. Mara Le Seigneur assainit les eaux de Mara (Ex 15:23–26).
  5. Élim Israël campa près de 12 sources (Ex 15:27).
  6. Désert de Sin Le Seigneur envoya la manne et les cailles pour nourrir Israël (Ex 16).
  7. Rephidim Israël y combattit Amalek (Ex 17:8–16).
  8. Le Sinaï (mont Horeb ou Djebel Musa) Le Seigneur y révéla les dix commandements (Ex 19–20).
  9. Désert du Sinaï Israël y construisit le tabernacle (Ex 25–30).
  10. Camps du désert Soixante-dix anciens furent appelés pour aider Moïse à gouverner le peuple (No 11:16–17).
  11. Etsjon-Guéber Israël traversa en paix les pays d’Ésaü et d’Ammon (De 2).
  12. Kadès-Barnéa Moïse envoya des espions dans la terre promise ; Israël se rebella et ne put entrer dans le pays ; Kadès fut pendant 38 ans le camp principal d’Israël (No 13:1–3, 17–331432:8De 2:14).
  13. Désert de l’Est Israël évita un conflit avec Édom et Moab (No 20:14–2122–24).
  14. L’Arnon Israël détruisit les Amoréens qui le combattaient (De 2:24–37).
  15. Le mont Nébo Moïse vit la terre promise (De 34:1–4). Il prononça ses trois derniers sermons (De 1–32).
  16. Plaines de Moab Le Seigneur dit à Israël de diviser le pays et d’en déposséder les habitants (No 33:50–56).
  17. Le Jourdain Israël traversa le Jourdain à pied sec. Près de Guilgal, des pierres provenant du lit du Jourdain furent utilisées pour dresser un monument rappelant la division des eaux du Jourdain (Jos 3:1–5:1).
  18. Jéricho Les enfants d’Israël prirent et détruisirent la ville (Jos 6).

(4) « Comment le peuple juif fut inventé », Shlomo Sand, 2008

(5) Deut. 24:16 « Les pères ne doivent pas être mis à mort pour les enfants, ni les enfants pour les pères: on ne sera mis à mort que pour son propre méfait. » (לֹא-יוּמְתוּ אָבוֹת עַל-בָּנִים, וּבָנִים לֹא-יוּמְתוּ עַל-אָבוֹת:  אִישׁ בְּחֶטְאוֹ, יוּמָתוּ). Règle rappelée dans G. Hagaï, Itinéraire d’une initiation, éd. Vues de l’esprit, p.52.

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