Invité pour un petit déjeuner au siège de l’UMP sur le thème de « l’identité », Alain Finkielkraut a d’abord fustigé « l’accent » des jeunes de banlieue. Puis l’intellectuel s’en est pris à Pascal Boniface, reprenant une accusation rituelle dont il fait l’objet. Des propos peu relayés par les médias. Le directeur de l’IRIS lui répond.
Lors d’une conférence organisée par l’UMP le 23 janvier, Alain Finkielkraut a été égal à lui-même mais a aussi voulu innover. Égal à lui-même quand il fustige de nouveau les jeunes de banlieue en déclarant :
« Je suis frappé par le fait que maintenant nombre de beurs ou de gens, même, qui vivent en banlieue quelles que soient leurs origines ethniques ont un accent qui n’est plus français tout à fait. »
On est là en terrain connu, c’est du Finkielkraut classique. On peut même dire qu’il a dans le passé été beaucoup plus virulent.
Mais il a également innové en recourant aux mensonges et à la désinformation pour séduire son auditoire. Dans mon livre « Les intellectuels faussaires », j’expliquais pourquoi je ne le classais pas dans cette catégorie. J’estimais qu’il y avait mille raisons d’être en désaccord avec lui, mais qu’il était sincère dans ses convictions et ne pratiquait pas le mensonge ou la manipulation pour défendre ses idées.
Lors de cette réunion de l’UMP, il a franchi ce pas.
Il m’accuse et se trompe
Finkielkraut s’en est pris à moi sans que je sois présent et puisse me défendre. Curieuse méthode pour un intellectuel. Hélas pour lui, le site Panamza a mis en ligne la vidéo. Finkielkraut se retrouve dans la situation de celui qui a envoyé une lettre anonyme de dénonciation, dont l’identité de l’auteur serait révélée.
Évoquant un vote communautaire (qui bien sûr concerne exclusivement les musulmans), il déclare :
« Rappelez-vous, Pascal Boniface, c’était cet homme du parti socialiste, lui cet expert très présent d’ailleurs dans les médias (il est bien connu qu’Alain Finkielkraut fait l’objet d’un boycott total dans les médias) qui a dit il y a quelques années ‘Il y a deux raisons pour cesser de défendre l’État d’Israël, premièrement sa politique de colonisation’ ce qu’on peut comprendre et ‘deuxièmement, l’électorat juif est beaucoup moins important aujourd’hui que l’électorat musulman et c’est vers lui qu’il faut se tourner' ».
Cette accusation rituelle selon laquelle j’aurais recommandé – dans une note d’avril 2001 – au Parti socialiste de cesser de soutenir coûte-que-coûte Israël parce qu’il y avait plus d’arabes que de juifs revient régulièrement dans les cercles extrémistes pro-israéliens. Finkielkraut croit utile de la reprendre.
Elle est tout simplement fausse. Je me suis expliqué mille fois sur le sujet. Soit Finkielkraut parle de note qu’il n’a pas lue, et c’est gênant pour un intellectuel qui se veut rigoureux, soit il ment sciemment et c’est encore plus grave.
J’avais plaidé non pas pour qu’on prenne en compte le poids des communautés, mais au contraire pour qu’on fasse prévaloir des principes universels, ce qui n’était pas le cas et ce qui était justement reproché au PS. Combien de fois n’avais-je pas entendu auparavant qu’on ne pouvait pas bouger sur le Proche-Orient à cause du « vote juif » (sic) qui, bien sûr, n’existe pas, mais qui semble malgré cela être largement pris en compte par les élus de tous bords.
Je mettais au contraire en garde contre une éventuelle communautarisation de la question du Proche-Orient, écrivant en effet que dans ce cas, la communauté d’origine arabe et musulmane qui s’organise voudra faire contrepoids.
J’écrivais : « Il serait donc préférable pour chacun de faire respecter les principes universels et non pas le poids de chaque communauté ».
Pétri de contradictions
Mais c’est bien là que le bât blesse pour Finkielkraut. Car si on fait valoir les principes universels, il faut condamner vigoureusement l’occupation d’un peuple par un autre, une anomalie historique au XXIe siècle. Il est donc tentant de déformer mes propos pour cacher cette question essentielle.
Ce n’est pas parce qu’il y a plus d’Arabes que de juifs qu’il faut condamner l’occupation israélienne. C’est parce qu’elle est illégale et illégitime, contraire aux principes universels et au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Finkielkraut critique un éventuel communautarisme musulman tout en ayant beaucoup œuvré pour radicaliser un communautarisme juif.
Finkielkraut a beaucoup contribué à dégrader le climat intellectuel en France. Il a fait peur aux juifs français en exagérant le niveau réel d’antisémitisme (en dénonçant entre autre une « année de cristal »), il a contribué à la radicalisation des Français musulmans et d’origine arabe (et des habitants des quartiers) en les stigmatisant de façon répétitive, en ethnicisant les questions sociales. Le tout dans une totale impunité. Sauf peut-être pour lui-même, son trouble manifeste étant sans doute l’expression de ses contradictions entre un universalisme revendiqué et un communautarisme forcené. Car que ce soit lui qui me reproche d’avoir une démarche communautarisme est à hurler de rire… ou à pleurer.
S’il accepte de renoncer à la dénonciation en sourdine pour un débat libre ouvert, je suis disponible. Je doute qu’il accepte le risque de faire éclater ses propres contradictions.
Pascal Boniface, Directeur de l’IRIS