Un grand moment : une dizaine de milliers de réfugiés africains réunis ce mercredi devant la Knesset, calmes et disciplinés mais déterminés à imposer leurs droits. Les hommes sont assis sur le gazon, les quelques dizaines de femmes promènent leurs poussettes : si l’Etat d’Israël n’était pas basé sur le droit du sang, ces enfants seraient aujourd’hui des citoyens, enrichissant ainsi le tissu social de notre pays. Pour l’instant leurs parents enrichissent les propriétaires de restaurants et d’hôtels, en travaillant au noir pour des salaires de misère.
Des milliers, mais nombreux sont ceux qui se connaissent : ils se saluent avec l’accolade traditionnelle, épaule contre épaule, plusieurs fois, la dernière accolade durant plusieurs secondes. Ici et là on peut voir des drapeaux érythréens.
Dans un coin, nous sommes quelques dizaines de blancs, venus exprimer leur solidarité ; parmi nous, des jeunes de Tel Aviv qui se sont mobilisés depuis des mois pour aider ces réfugiés qui fuient la guerre et la misère, et qui ont contribué à la logistique du rassemblement, sans pour autant s’imposer de quelque façon que ce soit. Le service d’ordre est composé d’Africains et les orateurs aussi, qui parlent tous dans un hébreu presque parfait : pour survivre à la chasse à l’homme et trouver du travail, il faut vite savoir s’adapter !
Je suis impressionné par la discipline et le calme des manifestants, très différents du comportement des Israéliens qui, dans de telles manifestations, sont incapables de rester assis plus de trois minutes sans bouger et sans aller voir s’ils peuvent rencontrer des copains. Des jeunes avec des grands sacs à ordure récoltent les rares bouts de papier qui traînent sur le gazon.
« Je serai ferme, et aucune manifestation ne me fera céder », clame le Premier Ministre Netanyahou, rabâchant mot à mot son discours habituel sur le terrorisme, sauf que cette fois il ne s’agit pas de groupes armés, mais de réfugiés qui cherchent désespérément un refuge et exigent d’être reconnus comme tels, selon la convention des Nations Unies sur le droit des réfugiés que l’Etat d’Israël a d’ailleurs ratifié.
« Dehors les étrangers ! », « Israël est un petit pays qui ne peut accepter de recevoir toute la misère du monde ! » affirment les dirigeants de l’Etat Juif qui d’ailleurs ne parlent pas de réfugiés mais d’ « infiltrés », concept utilisé dans les années cinquante pour définir les groupes armés palestiniens qui tentaient de pénétrer sur le territoire israélien.
L’éditorialiste du quotidien Haaretz a d’ailleurs fermement répondu à Netanyahou en lui rappelant que nos grands parents ont souvent été des réfugiés qui fuyaient les massacres et devant lesquels les portes des pays européens se refermaient systématiquement.
« Pour quelqu’un qui ne cesse de parler d’Etat Juif [et en fait même une condition sine qua non pour arriver éventuellement à un accord politique avec les Palestiniens, MW], le Premier Ministre ferait bien de puiser dans notre histoire et dans les valeurs de notre tradition ».
Cet éditorial du Haaretz ne reflète malheureusement pas la majorité de l’opinion publique, qui voit dans les dizaines de milliers de réfugiés érythréens et soudanais une menace pour l’Etat d’Israël. Cette absence d’empathie de la majorité des Israéliens envers les réfugiés africains renforce le discours raciste et xénophobe de nombreux dirigeants politiques.
Mercredi soir, à la télévision, l’ancien ministre de l’intérieur du parti Shass, Elie Yishay, osait déclarer : « La police aurait dû utiliser le fait qu’ils étaient tous rassemblés devant la Knesset [munis d’ailleurs d’un permis de la police, MW] pour les mettre tous dans des bus et les jeter dehors ! ». Si Yishay n’était pas la brute ignare que l’on connaît, on lui rappellerait ce qu’avaient été les rafles dont ont été victimes beaucoup de nos grands parents et exigerait qu’il se recueille sur leurs tombes et leur demande humblement pardon pour ses propos orduriers.
Vous avez dit « Etat Juif » ?!
Démographiquement peut être, mais en termes de valeurs ce serait plutôt l’Etat des rafles de Juifs et du Vel d’Hiv.
Michel Warschawski, 8 janvier 2014