Devenu porte-parole, sur ce sujet comme sur d’autres, de bien des inepties, Emmanuel Macron répète à l’envi que « l’antisionisme est une des formes modernes de l’antisémitisme » ou que « l’antisémitisme et l’antisionisme sont les ennemis de notre république ».
On sait bien que cette tentative de criminaliser la critique de l’État d’Israël et le soutien aux droits légitimes du peuple palestinien a pour base une complicité totale avec les dirigeants sionistes. Pour les Juifs antisionistes, l’instrumentalisation de l’antisémitisme, qui est souvent leur histoire intime, est une obscénité.
Mais qu’est-ce que le sionisme ? C’est l’idéologie qui a permis la création de l’État d’Israël au moyen d’un nettoyage ethnique prémédité. Certains prétendent que, puisque cet État existe, la critique du sionisme n’a plus qu’un caractère historique ; C’est bien sûr faux. Si Israël est un État d’apartheid, ce que beaucoup d’associations défendant les droits humains ont reconnu (y compris à présent Amnesty International), c’est bien parce que le sionisme a d’entrée prôné un État ethnique. Si le racisme, le colonialisme et le suprémacisme se sont installés, c’est bien parce que le sionisme a, d’entrée, nié les droits, la dignité et même l’existence du peuple autochtone. Si l’extrême droite est devenue hégémonique, en Israël mais aussi dans beaucoup de communautés juives organisées, c’est une conséquence du sionisme.
Tous les Juifs n’étaient pas partisans du nettoyage ethnique et, jusqu’à la Deuxième Guerre Mondiale et le génocide qui a exterminé la majorité des Juifs européens, la plupart des antisionistes étaient des Juifs. Ils considéraient que leur émancipation comme minorité opprimée passait par celle de l’humanité. Et s’ils étaient religieux, ils considéraient qu’un État juif n’avait aucun sens avant l’arrivée du Messie .
Au contraire, la plupart des antisémites avaient de la sympathie pour le sionisme, une idéologie de la séparation qui poussait les Juifs européens à quitter l’Europe.
L’Union Juive Française pour la Paix (UJFP) a été fondée en 1994. Sa position de départ a été : « pas de crimes en notre nom ». L’évolution de l’association est racontée dans le livre. En devenant la composante juive du mouvement de solidarité avec la Palestine, en nouant des liens avec les anticolonialistes israéliens et des associations sœurs dans différents pays dont les États-Unis, l’UJFP a fait sienne l’appel palestinien au BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) de 2005 contre l’État d’Israël. Elle a très tôt considéré qu’Israël était un État d’apartheid et elle s’est définie comme antisioniste, bientôt suivie par une très grosse association états-unienne : JVP, Jewish Voice for Peace = Voix juive pour la Paix. Et puis, l’UJFP s’est engagée dans la lutte contre le racisme sous toutes ses formes, refusant de faire de l’antisémitisme un racisme « à part ».
Le livre raconte les trajectoires personnelles de 22 militant.es de l’UJFP. Il y a des jeunes, des vieux. Des femmes, des hommes. Des Séfarades, des Ashkénazes. Des qui ont eu une éducation religieuse, des qui n’en ont eu aucune. Des qui ont été sionistes et qui racontent leur rupture, des qui ont toujours rejeté cette idéologie. Des qui ont été en Israël, voire y ont vécu, des qui n’ont aucun lien avec ce pays. Des qui ont toujours revendiqué leur identité juive, des qui ne l’ont revendiqué qu’en réaction aux crimes israéliens. Beaucoup d’histoires personnelles sont reliées au génocide nazi, à la Résistance, à la guerre d’Algérie, au colonialisme. Le rejet du racisme est omniprésent dans les témoignages.
La question de l’antisémitisme est présente dans tous les témoignages. Elle a imprégné un refus viscéral des discriminations.
C’est l’intérêt de ce livre : 22 témoignages différents qui ne se répètent pas mais qui ont en commun des valeurs universelles : l’égalité des droits, le refus du racisme et du colonialisme, le « vivre ensemble ». On voyage en Europe de l’Est, au Maghreb, en Alsace.
L’intérêt, c’est aussi de donner la parole à celles et ceux qui ne l’ont jamais. Pour les médias, il est tellement commode de dire que la guerre du Proche-Orient est communautaire ou religieuse alors qu’elle est essentiellement coloniale et de répéter « bêtement » que tous les Arabes soutiennent la Palestine et tous les Juifs soutiennent Israël.
Eh bien non, il y avait en France des porteurs de valise en pleine guerre d’Algérie. Et, au nom de leur mémoire, de leur histoire et de leur identité, il y a des Juifs antisionistes. Pas antisionistes bien que Juifs, mais parce que Juifs.
Pierre Stambul