Les dirigeants sionistes ont pu dans le passé se diviser sur la stratégie à suivre. Mais ils ont toujours été unis sur leur finalité : transformer les Palestiniens en indigènes marginalisés qui ne seraient plus en situation de revendiquer leurs droits.
L’OAS au pouvoir
La chasse aux Africains est ouverte en Israël. Le ministre de l’Intérieur Eli Yishaï, membre du Shass (un parti intégriste « séfarade ») déclare tranquillement : « la plupart des gens qui arrivent sont musulmans et pensent que le pays ne nous appartient pas, à nous les Blancs ». Eli Yishaï a des parents venus de Tunisie. Il oublie que ceux-ci ont été traités de « Schwartz » (Noirs) par d’autres racistes israéliens qui les trouvaient inassimilables.
Député de « l’Union Nationale », un parti d’extrême droite, Aryeh Eldad suggère qu’on ouvre le feu sur les « infiltrés » (= les Noirs). Israël n’est bien sûr pas le seul pays dont les dirigeants ont des comportements ignobles vis-à-vis des immigrés. Simplement au nom du sionisme, le racisme à l’état pur n’y avance plus masqué.
Benyamin Nétanyahou souligne que ces Africains portent atteinte au « caractère juif de l’Etat ». Il fait construire plusieurs centres de rétention dans le désert du Néguev, un mur électrifié entre Gaza et la Mer Rouge et il s’oppose à la scolarisation des enfants d’immigrés.
À Tel-Aviv, des milliers de pogromistes en herbe ratonnent aux cris de « Israël est pour les Juifs et le Soudan pour les Soudanais ».
Quand le racisme se mêle à l’intégrisme, la parole n’a plus de limite : Shmuel Eliyahu, grand rabbin de Safed a exhorté les Juifs à refuser de louer tout appartement à des Arabes. Ovadia Yosef, fondateur du Shass, en a rajouté une couche : « vendre à un non-juif, même très cher, est interdit ». Il avait déjà expliquait que les Palestiniens étaient des serpents et que la Torah disait qu’on pouvait tuer leurs femmes, leurs enfants, leurs troupeaux …
Dans les prisons israéliennes, il y a 4700 prisonniers politiques palestiniens. Tous les partis politiques sont touchés : Marwan Barghouti (Fatah), le président du Parlement (Hamas) et toute la direction politique du FPLP sont en prison. 2000 de ces prisonniers ont mené une grève de la faim d’un mois. Ils ont gagné sur leurs revendications : fin de la détention administrative (qui permet la détention illimitée sans jugement), des mauvais traitements et de l’isolement, droit de visite pour les familles de prisonniers originaires de Gaza. Dès la fin de cette grève ignorée par les médias occidentaux, Israël a violé l’accord.
Le pouvoir fait savoir aux Palestiniens d’Israël qu’ils n’ont aucun droit. Un de leurs dirigeants, Ameer Makhoul a été condamné à une lourde peine de prison pour « espionnage ». Les terres des Bédouins du Néguev ont été presque toutes confisquées. Les destructions de villages jugés « illégaux » sont incessantes. Le KKL (fond national juif) a même organisé un stage de formation un peu spécial pour des lycéens : « comment détruire un village bédouin sous la protection de l’armée ».
Occupation, colonisation, apartheid, racisme, fragmentation de la Palestine …
Chaque jour de nouveaux logements sont construits à Jérusalem Est ou en Cisjordanie. Des colonies dites « illégales » sont légalisées. On sait depuis belle lurette que l’armée protège systématiquement les colons et les aide à construire ou à attaquer la population palestinienne. Fin avril, les colons « illégaux » de Yitzhar ont attaqué avec des armes à feu des écoliers palestiniens rentrant de l’école. Présente, l’armée … a protégé les colons.
Régulièrement, des maisons palestiniennes sont occupées ou détruites.
À Gaza, le blocus continue et les méthodes meurtrières déjà utilisées contre les flottilles précédentes venues briser le blocus sont aujourd’hui bien rodées.
La troisième session du tribunal Russell réunie au Cap (Afrique du Sud) en novembre 2011, a conclu que l’Etat israélien est coupable du crime d’apartheid vis-à-vis du peuple palestinien. La moitié des 12 millions d’habitants qui vivent entre Mer Méditerranée et Jourdain sont palestiniens. Ils sont privés de tout : de travail, de terres, de logements, d’eau, de droits politiques … Le jugement du tribunal Russell a été ignoré des médias occidentaux qui continuent de propager la fiction « d’Israël seule démocratie du Proche-Orient ».
La stratégie israélienne vise à fragmenter les Palestiniens. Ils sont à la fois enfermés dans des espaces de plus en plus réduits et soumis à des statuts différents : Gaza, Jérusalem Est, la Cisjordanie (elle-même fragmentée en trois zones, la zone C étant de fait annexée), les Palestiniens d’Israël (avec des discriminations particulières contre les Bédouins), les réfugiés. Toute solution politique qui ignorerait cette fragmentation, ferait le jeu de l’occupant.
Consensus sioniste et impunité
Il y a belle lurette que le sionisme a gommé les différences idéologiques. La coalition que dirige Nétanyahou avec Lieberman regroupe toute l’extrême droite laïque et religieuse et surtout les représentants des colons. Ehud Barak, mouillé dans divers scandales et auteur de crimes de guerre pendant le massacre de « Plomb Durci » a quitté un parti travailliste moribond et il est toujours ministre. Le parti Kadima, fondé par Sharon, a d’abord nommé à sa tête un général poursuivi pour crimes de guerre (Shaul Mofaz) avant de rallier le gouvernement Nétanyahou. Une nette majorité de la Knesset (le Parlement) a voté pour la levée de l’immunité parlementaire d’Haneen Zoabi, députée palestinienne du Balad (un parti qui défend les droits des Palestiniens d’Israël) qui était sur le Mavi Marmara, le ferry-boat turc mitraillé.
En Israël, l’opinion pense que le rapport de force est tellement favorable que tout est permis. La transformation de la Palestine en bantoustans encerclés et éclatés devrait être éternelle pour cette opinion. Ce sentiment est renforcé par l’attitude de la « communauté internationale ». Le refus de l’ONU d’admettre la Palestine en son sein a montré que la solidarité occidentale et surtout américaine sera sans fin. Elle est sans fin en toute connaissance de cause : les dirigeants occidentaux sont totalement liés à cet Etat d’Israël surarmé, morceau d’Occident en plein Proche-Orient et pièce maîtresse pour le contrôle de la région. Un Etat d’Israël vivant en paix et sur un pied d’égalité avec ses voisins ne les intéresse pas. Israël continue de recevoir de nombreux investissements étrangers. Cette économie où 60% du budget est consacré à l’armement et aux technologies de pointe est performante pour les maîtres du monde. Dernière preuve éclatante de cette complicité : l’invitation par le Parlement européen du dirigeant d’un bloc de colonies (Shomron).
La Bourse de Tel-Aviv continue de flamber. L’ultralibéralisme continue de démanteler la protection sociale. Une partie de la population israélienne exprime des sentiments de refus ou s’engage dans des luttes (le mouvement des « tentes », les mouvements féministes ou ceux qui défendent les homosexuels), mais seule une toute petite minorité refuse le colonialisme et a fait la jonction avec les Palestiniens. Les lois se multiplient en Israël criminalisant toutes celles ou ceux qui refuseraient de reconnaître le caractère « juif et démocratique » de l’Etat ou qui prôneraient le boycott d’Israël.
La mécanique bien rodée qui consiste à traiter d’antisémite quiconque critique Israël fonctionne à fond. Le « complexe de Massada » a fait le reste. La population israélienne est persuadée dans sa majorité que les victimes ont été, sont, et seront toujours les Juifs, que les Palestiniens poursuivent l’œuvre d’Hitler, et que les dirigeants israéliens « n’ont pas le choix ».
Aucune des mesures qui furent appliquées à l’Afrique du Sud de l’apartheid n’est appliquée vis-à-vis d’Israël. La construction du Mur qui balafre la Cisjordanie et la colonisation ont été déclarées « illégales ». Et pourtant les colonies déversent leurs produits à tarif détaxé sur les marchés européens. Les rapports sur les violations des droits des Palestiniens se multiplient. Et pourtant, la « communauté internationale » a sanctionné la population de Gaza, coupable d’avoir « mal » voté ou la Syrie, mais jamais Israël. La quasi-totalité des dirigeants israéliens sont coupables de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. Ils sont pourtant reçus partout avec les honneurs.
La mesure qui avait le plus touché les dirigeants racistes sud-africains avait été l’exclusion de leur pays des Jeux Olympiques. Au Proche-Orient, on en est loin : Israël organisera l’an prochain les championnats d’Europe junior de football alors qu’un des footballeurs palestiniens (Mahmoud Sarsak), arrêté arbitrairement, risque de mourir de sa grève de la faim.
Palestine, la fin des illusions
Que reste-t-il de la gigantesque escroquerie qu’ont constituée les accords d’Oslo ? Rien, ou plutôt si : « l’Autorité palestinienne ». Arafat avait imaginé un processus compréhensible, intitulé « la Paix contre les territoires ». Il avait pensé pouvoir signer « la paix des braves » avec une branche du sionisme, celle des pères fondateurs réputés « socialistes ». Ces « socialistes » ont pourtant trempé dans tous les crimes perpétrés contre le peuple palestinien, de l’expulsion préméditée de 1948 à la colonisation de 1967 en passant par la construction du Mur, les massacres de Gaza ou du Sud Liban etc…
Non seulement l’Autorité palestinienne ne sera jamais l’embryon d’un Etat palestinien digne et viable, mais elle n’a pas su ou pu éviter le rôle qui lui avait été véritablement assigné par les accords : celui d’être une institution clanique (puisque redistribuant des subsides venus de l’étranger dans une société dont l’économie est presque entièrement détruite) et un instrument de collaboration avec l’occupant. L’Autorité assume son rôle de police et de garante « d’accords » qui n’ont plus aucun sens. Mahmoud Abbas et le Fatah ont accepté toutes les humiliations, toutes les pseudo négociations sous direction américaine. Leur but principal a sans arrêt été la récupération de Gaza face au Hamas. Il est significatif que les deux dirigeants qui ont publiquement regretté la chute de Moubarak ont été Abbas et Nétanyahou. Depuis fort longtemps, l’Autorité palestinienne subit sans pouvoir réagir une annexion qui n’est plus rampante (la frontière internationalement reconnue n’existe plus), des incursions quotidiennes et des destructions de maison. Elle continue de revendiquer un mythe (un Etat palestinien aux côtés d’Israël sur 22% de la Palestine historique siégeant à l’ONU) alors que l’occupant a totalement détruit la faisabilité de ce projet et que tout est fait pour que l’installation de plus de 500000 colons soit irréversible.
La nomination de Salam Fayyad comme Premier ministre palestinien est significative. L’ancien homme du FMI a pour programme de mettre entre parenthèses la question de l’occupation en développant une bourgeoisie d’affaires. Ramallah se couvre de grands hôtels pendant que le reste de la Palestine s’enfonce dans la pauvreté et le désespoir.
Le Hamas a réussi à survivre malgré l’hostilité de la communauté internationale et sa complicité avec Israël. Mais sa stratégie est dans l’impasse. Isolé et de plus en plus autoritaire face au pluralisme de la société palestinienne, il n’a aucune perspective à offrir. Il y a deux ans, des jeunes Gazaouis avaient lancé un appel sur Internet : « merde à l’occupation, merde à l’Amérique ». Ils y avaient ajouté : « merde au Fatah, merde au Hamas ». Le processus révolutionnaire en Egypte a certes allégé la violence du blocus mais la revendication de liberté, d’égalité sociale et dignité exprimée dans les rues du Caire ne correspond pas vraiment aux valeurs du Hamas.
L’autre Palestine
Fatah et Hamas ne sont pas les seuls partis politiques palestiniens. Il y a une floraison de petits partis politiques de gauche. Le FPLP a abandonné la lutte armée depuis longtemps. Il a acquis et conservé un grand prestige grâce au courage opiniâtre de ses militantEs. Il est à la tête de quelques municipalités (dont celle de Bethléem) et anime plusieurs camps de réfugiés. On l’a vu organiser des manifestations gigantesques à Gaza contre la division palestinienne. Il commence à y avoir une relève générationnelle dans ce parti.
D’autres dirigeants politiques de la gauche palestinienne ont conservé une influence certaine, comme Mustapha Barghouti qui s’était présenté contre Abbas lors des dernières élections présidentielles.
Si la Palestine ne plie pas malgré le rouleau compresseur colonial, c’est avant tout parce qu’il y a dans la « société civile » une floraison d’associations. Elles sont de toutes sortes : associations de paysans, d’artisans, d’aide aux plus démunis, associations organisant les camps de réfugiés, comités populaires luttant contre le Mur de l’apartheid, associations soutenant les prisonniers, les femmes battues … La société civile pratique une résistance non armée (terme plus correct que non violente) avec des manifestations régulières contre le mur, les incursions des colons et les confiscations de terre. En face, l’armée israélienne fait preuve d’une violence extrême. Déjà 36 manifestantEs sont tombéEs, victimes de tirs de toute sorte et d’armes nouvelles.
L’avancée de la colonisation et la disparition de la « ligne verte » (la frontière internationalement reconnue) font qu’on est rentré de fait dans une lutte contre l’apartheid et les discriminations et pour l’égalité des droits dans un espace unique, de la Méditerranée au Jourdain..
En 2005, 172 associations palestiniennes, constatant que la demande de reconnaissance d’un Etat palestinien était une impasse totale, ont lancé un appel mondial pour le BDS (boycott, désinvestissement, sanctions). Les trois revendications avancées sont la fin de l’occupation et de la colonisation, l’égalité des droits et le droit au retour des réfugiés. On remarquera que ces revendications sont plutôt en contradiction avec la « solution à deux Etats » qui sacrifie les Palestiniens d’Israël et les réfugiés.
En fait, l’appel au BDS privilégie les revendications et les formes de lutte sur une solution politique « à froid ».
L’appel au boycott concerne tous les domaines : commercial, économique, culturel, académique, sportif, politique … et il commence à remporter de grands succès.
Le retour au crime fondateur
La guerre entre Israël et la Palestine n’a pas commencé en 1967. Les Palestiniens avaient fait une concession énorme en limitant leur revendication à 22% de la Palestine historique. L’occupant a consciemment détruit toute possibilité de réaliser ce projet et les Palestiniens qui y croient encore sont de plus en plus rares. Comme nous l’expliquait un Palestinien, représentant de la communauté des Palestiniens d’origine africaine de Jérusalem (en tournée en France) : « ceux qui défendent l’idée de deux Etats, c’est qu’ils n’ont jamais été en Palestine ».
Le crime fondateur (l’expulsion de 800000 Palestiniens de leur propre pays) a eu lieu en 1948 et le projet sioniste du « transfert » (l’expulsion) était déjà à l’œuvre depuis bien longtemps.
Le débat sur le sionisme n’est pas un débat académique. Cette idéologie nie l’existence et la légitimité du peuple palestinien sur sa terre. Elle propage le mythe meurtrier de l’exil et du retour des Juifs dans « leur pays ». La question de l’existence d’un Etat juif est centrale. Dans un tel Etat, les non Juifs deviennent des étrangers dans leur propre pays, privés de tout droit. Le mythe d’une coexistence avec un Israël sioniste s’est écroulé. Les Palestiniens n’ont pas et n’auront jamais dans le cadre du sionisme des partenaires pour une paix fondée sur l’égalité des droits.
Du coup, il y a un raidissement et une crispation chez de nombreux milieux juifs, même modérés. Il faut délégitimer Israël et c’est pour eux insupportable. Pourtant la réalité est têtue comme l’a exprimé le tribunal Russell en qualifiant d’apartheid ce qui est à l’œuvre.
Dans leur livre « Un Etat commun entre le Jourdain, et la mer », Eric Hazan et Eyal Sivan opposent à l’idée de deux Etats celle d’une utopie réaliste : l’Etat commun. Cette idée n’est sans doute pas encore hégémonique en Palestine, mais elle progresse et en tout cas, les luttes de résistance ne se situent plus dans le cadre de la revendication d’un Etat palestinien. Il faut d’ailleurs se souvenir que quand l’OLP avait décidé en 1988 d’accepter l’Etat d’Israël dans ses frontières d’avant 1967, il y avait eu de grandes résistances (Edward Saïd, le FPLP …) et l’ancienne revendication « d’un seul Etat laïque et démocratique » n’a jamais disparu.
La situation du peuple palestinien est actuellement dramatique. Mais elle n’est pas désespérée. Le projet central du sionisme, leur expulsion, a (sans doute définitivement) échoué. Le projet sioniste consiste essentiellement à gagner du temps et à institutionnaliser l’apartheid. Dans le consensus OAS qui est au pouvoir, tout sera utilisé : l’argument syrien (« il y a de vraies dictatures dans la région, pourquoi s’attaque-t-on à Israël ? ») ou l’argument iranien avec la menace régulièrement répétée d’une « attaque préventive ».
Pour l’instant, l’Etat d’Israël est globalement impuni. Il est protégé par les Etats-Unis et l’Europe. Rien n’est immuable au Proche-Orient. Une grande lutte anti-apartheid est en train de naître et de se développer. Dans le Sud des Etats-Unis ou en Afrique du Sud, de telles luttes avaient duré des dizaines d’années. Mais elles avaient partiellement abouti.
Pierre Stambul