Dérives inquiétantes de la mémoire
Deux moments de commémoration de la rafle du Vél’ d’hiv’, en ce mois de juillet 2025, suscitent en nous de fortes inquiétudes sur l’usage de la mémoire :
• Lors de cérémonies, à Marseille, Lionel Stora (du Fonds social juif unifié) souligne, selon le journal La Provence, l’importance de « nous protéger à tout jamais d’un nouvel Auschwitz ». Le journal sous-titre : « L’oubli est le plus grand allié du retour des ténèbres. »1
• À cette même occasion, mais sur le plan national, le Comité français de Yad-Vashem, celui qui instruit les dossiers des « Justes » qui sauvèrent des Juifs sous l’Occupation, fait cette proposition extravagante : inscrire dans la loi que « l’abus dans le détournement de l’accusation de génocide puisse entrer dans les cas possibles de contestation de crime contre l’humanité ».
Selon Aurore Berger, Caroline Yadan et Patrick Klugman, il conviendrait d’assimiler « l’abus de qualification de génocide » au délit de contestation de crime contre l’humanité – et ce au nom des « victimes de la Shoah »2.
Le retour des ténèbres
Nous sommes justement, à Gaza, en plein retour des ténèbres ! L’intention génocidaire des dirigeants israéliens est établie par plusieurs instances internationales3
Par définition, le droit international appartient à tou.tes. La notion de génocide qu’il s’agit de prévenir et de combattre n’appartient pas à ceux qui brouillent les cartes, qui joue à un jeu de bonneteau pour le faire disparaître.
Mais le jeu truqué ne fonctionne pas, en pleine période de génocide commis à Gaza par Israël, reconnu par la Cour de justice internationale comme un risque avéré, justifiant un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale contre les dirigeants israéliens.
Captation d’héritage
Cette appropriation du judéocide comme « à jamais » le seul génocide est une insulte aux morts de la Shoah.
Nous ne voulons pas ici exciper des victimes de nos familles qui n’ont pu indiquer par un testament l’usage qu’on devrait faire de leur mort atroce dans le brouillard et dans la nuit. Et nous savons que la douleur des descendants n’a pas la même ampleur que celle que subirent les victimes et les survivants.
Mais l’effarement nous prend quand, au lieu de prévenir et combattre un génocide, des institutions juives se servent d’un génocide pour nier celui qui est en cours à Gaza, qui s’aveuglent et ne savent pas reconnaître l’horreur inhumaine d’une extermination.
Ils abandonnent les valeurs juives quand nous avons à nous dresser contre ceux qui « oppriment la veuve et l’orphelin, et font reculer l’étranger, sans Me craindre, dit l’Éternel »4
Oui, l’antisémitisme reste une menace pour les Juifs, mais c’est un contresens complet de prétendre le combattre en soutenant un gouvernement raciste et génocidaire.
« Nous qui n’entendons pas qu’on crie sans fin »5
Il y a une obscénité terrible dans le « Nous » de Marseille : « Nous protéger » ? Protéger les seuls Juifs à l’heure même où les pires crimes sont commis à Gaza ? Mais cette protection n’est qu’un aveuglement complice qui ne protège pas les Juifs ! Et cette protection ne doit-elle pas s’étendre à tous les génocides qu’il s’agit de prévenir ?
« Qui de nous veille de cet étrange observatoire pour nous avertir de la venue des nouveaux bourreaux ? » nous disait Jean Cayrol à la fin de Nuit et Brouillard. « Ont-ils vraiment un autre visage que le nôtre ? … Il y a nous qui regardons sincèrement ces ruines comme si le vieux monstre concentrationnaire était mort sous les décombres, qui feignons de reprendre espoir devant cette image qui s’éloigne, comme si on guérissait de la peste concentrationnaire. Nous qui ne pensons pas à regarder autour de nous, et qui n’entendons pas qu’on crie sans fin. »
« Nous » avons le devoir de protéger
À l’UJFP, nous tentons de faire du « Nous » quelque chose de collectif qui vaille pour l’humanité entière. Nous combattrons l’antisémitisme en luttant avec nos frères antiracistes. Nous le ferons avec toute cette population qui se mobilise, même en plein été, dans des manifestations pour les droits du peuple palestinien. Nous le ferons avec ces courageux marins du Handala, nouveau navire de la Flottille pour la liberté, qui vogue vers Gaza et dont la sirène est une voix qui tente de percer l’apathie des hommes. L’entendrons-nous avant que le navire ne heurte la force abjecte de la marine israélienne ?
Avec cette sirène d’alarme nous prétendons faire humanité, faire droits de l’homme, faire droit international, faire solidarité.
Plus jamais ça !
La coordination nationale de l’UJFP, le 22 juillet 2025
Note-s
- https://www.laprovence.com/article/region/81762413663927/nous-proteger-dun-nouvel-auschwitz-une-commemoration-emouvante-en-memoire-des-victimes-de-la-rafle-du-vel-dhiv[↩]
- https://www.tribunejuive.info/2025/07/21/nathanael-majster-les-juifs-ne-demandent-pas-protection-a-ceux-la-meme-qui-ont-detruit-la-vie-juive-en-europe-et-frappent-a-present-sur-israel/[↩]
- Quelques sources : 1) Cour internationale de Justice (CIJ) – Affaire Afrique du Sud c. Israël (2024) évoquant un « risque plausible » de génocide 2) Rapports du Haut-Commissariat aux droits de l’homme Volker Türk 3) Francesca Albanese, rapporteuse spéciale sur les TPO, rapport le 25 mars 2024 intitulé « Anatomy of a Genocide » 4) Conseil des droits de l’homme de l’ONU Résolution du 5 avril 2024.[↩]
- Malachie 3:5[↩]
- Célèbre phrase conclusive de Nuit et Brouillard, texte de Jean Cayrol pour le film d’Alain Resnais (1956).[↩]