Nous exigeons l’abandon des poursuites à l’égard de SUD Éducation 93

Par un groupe d’intellectuels, d’enseignants et de militants. Tribune parue sur le site de Libération, le 24 novembre 2017.

Plusieurs intellectuels, militants et enseignants reprochent au ministre de l’Education nationale de vouloir poursuivre le syndicat pour l’usage des mots «racisme d’État».

«Nous en avons assez des tergiversations et des atermoiements de tous ces « responsables » élus par nous qui nous déclarent « irresponsables »[…]. Nous en avons assez du racisme d’État qu’ils autorisent.» Pierre Bourdieu

Reprenant les inepties propagées par la fachosphère, c’est un ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, qui a attaqué publiquement et devant la représentation nationale le syndicat SUD Éducation 93 pour son stage de formation syndicale «Au croisement des oppressions : où en est-on de l’antiracisme à l’école ?»

Nous sommes pour tout dire stupéfait·es de cette atteinte grave aux libertés syndicales comme de la tournure que prend le débat public, virant littéralement au lynchage avec beaucoup d’amalgames, d’approximations, voire de mensonges. Cette médiatisation a des conséquences pour les militant·es de ce syndicat qui subissent depuis plusieurs jours menaces, injures, calomnies émanant de l’extrême droite. Et il est inacceptable qu’un ministre légitime cette entreprise.

Avant toute chose, il faut rappeler l’évidence : oui, ce stage de formation syndicale est bien un stage antiraciste, visant à combattre les discriminations raciales. Alors, on peut avoir des réserves sur la pertinence des méthodes employées par SUD Éducation 93 dans ce stage, dont celle qui fait couler beaucoup d’encre, les ateliers en non-mixité. Nous pouvons même, après tout, être en désaccord et en débattre. Mais il y a des impostures agitées par les détracteurs de SUD Éducation 93 que nous ne pouvons accepter.

Les deux ateliers non-mixtes (sur neuf) constituent une partie seulement du programme du stage, dont une grande part se déroule en plénière, mixte. Il ne s’agit donc absolument pas d’un stage «interdit aux blancs» comme plusieurs médias ont cru pouvoir l’affirmer. Ces ateliers restent organisés dans un but : déconstruire des mécanismes d’oppressions avec pour finalité de mieux comprendre le racisme pour mieux le combattre aujourd’hui. Comme l’a expérimenté le mouvement féministe avec intérêt, l’intention de la méthode de non-mixité est bien de chercher à faire avancer l’égalité… celle-là même qui s’inscrit aux frontons de nos mairies sans se traduire dans les faits pour des millions de nos concitoyen·nes. Et c’est cela qui devrait être la préoccupation des pouvoirs publics.

Mais c’est à l’opposé de cette préoccupation que Jean-Michel Blanquer a annoncé vouloir attaquer en diffamation le syndicat SUD Éducation 93 pour l’usage des mots «racisme d’État».

Nous demandons au ministre : faudra-t-il demain mettre au pilon l’abondante littérature scientifique qui utilise cette expression et en analyse les déclinaisons, malheureusement bien concrètes ? Faudra-t-il demain bannir des ouvrages les pages de Michel Foucault, Pierre Bourdieu ou d’autres qui l’évoquent ? Sera-t-il désormais interdit de discuter, d’échanger sur la notion même de «racisme d’État» ?

Nous ne pouvons pas non plus accepter la répression syndicale et sa judiciarisation croissante, impulsée par le sommet de l’État. Au moment où Jean-Michel Blanquer attaque le syndicat SUD Éducation, Muriel Pénicaud met à pied une inspectrice du travail également membre de SUD et sanctionne deux militants de la CGT.

Le cas présent nous amène bien «au croisement des répressions» : surfant sur les paniques identitaires, le ministre de l’Éducation nationale s’aligne sur le calendrier dicté par l’extrême droite pour chercher à disqualifier le mouvement social et faire diversion face aux contestations.

Nous exigeons que toutes les poursuites à l’égard de SUD Éducation 93 soient immédiatement abandonnées.


Premier·es signataires :

Bally Bagayoko, maire-adjoint de Saint-Denis

Ludivine Bantigny, historienne, maîtresse de conférences à l’université de Rouen

Olivier Besancenot, porte-parole du NPA

Eric Beynel, porte-parole national de l’Union syndicale Solidaires

Antoine Boulangé, formateur Espé de Paris, syndicaliste FERC Sup CGT

Grégory Chambat, collectif Questions de classe(s)

Anne Clerval, géographe, universitaire

Annick Coupé, membre du Bureau d’Attac

Amel Dahmani, secrétaire de SUD Collectivités territoriales 93

Christine Delphy, sociologue et féministe

Adèle Dorada, militante d’Alternative libertaire

Véronique Dubarry, conseillère municipale de l’Île-Saint-Denis

Simon Duteil, secrétaire national de l’Union syndicale Solidaires

Mireille Fanon-Mendès-France, pour la Fondation Frantz-Fanon

Ahmed Faouzi, militant syndical, CGT action sociale 67

Isabelle Garo, philosophe

Jean-Jacques Gandini, avocat honoraire, ancien président du Syndicat des avocats de France

Amandine Gay, réalisatrice, universitaire

Raphael Giromini, enseignant à Aubervilliers, syndicaliste Snes-FSU 93

Sybille Gollac, sociologue, chercheuse au CNRS

Fabrice Guilbaud, maître de Conférences en sociologie, secrétaire de section Snesup-FSU

Samuel Hayat, historien, chercheur au CNRS

Florence Johsua, sociologue

Rose-Marie Lagrave, sociologue, directrice d’études EHESS

Mathilde Larrère, historienne

Liêm-Khê Luguern, historienne

Gilles Manceron, historien

Audrey Mariette, enseignante-chercheuse à l’université Paris 8

Sarah Mazouz, sociologue, chargée de recherche au CNRS

Jean François Pélissier, porte-parole national d’Ensemble

Willy Pelletier, sociologue

Irène Pereira, sociologue

Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération Paysanne

Véronique Ponvert, syndicaliste FSU, École Émancipée

Sandra Regol, porte-parole d’Europe Ecologie-Les Verts

Théo Roumier, Cahiers de réflexions Les Utopiques

Eric Santinelli, secrétaire fédéral SUD Rail

Yasmine Siblot, sociologue, professeure à Paris 8

Pierre Stambul, Union juive française pour la Paix

Clarisse Taron, présidente du Syndicat de la Magistrature

Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac

Eddy Talbot, secrétaire fédéral SUD PTT

Boris Vigneault, secrétaire général de la CGT Caisse des Dépôts

Olivier Vinay, élu Émancipation au Bureau national de la FSU

Ce texte a été signé par près de 300 personnes, dont de très nombreuses et nombreux universitaires. La liste complète des signataires est consultable sur ce site : https://soutiensudeduc93.wordpress.com