Depuis plusieurs mois, la Palestine occupée – particulièrement la Cisjordanie et Jérusalem – connaît un « regain de tension » et une « flambée de violence », comme il est coutume de nommer ces événements dans la presse. La répression israélienne et les confrontations armées avec des groupes de résistance palestiniens se sont intensifiées ces dernières semaines. Sur fond de percée de l’extrême-droite suprémaciste, galvanisée par l’approche des élections israéliennes, et de déchaînement de la violence des groupes de colons, 15 Palestiniens et 2 soldats israéliens ont été tués ce mois d’octobre.
Une vaste campagne d’annexion et de répression
Ces récents événements s’inscrivent dans le prolongement des efforts menés par le “gouvernement du changement” (la coalition Benett-Lapid) qui, tout en promouvant la solution à deux États, a mis en œuvre une violente politique d’annexion. En 2021, les expulsions de quartier palestinien de Sheikh Jarrah (Jérusalem-Est) ont provoqué une importante révolte, qui a traversé l’ensemble de la société palestinienne et a témoigné une fois de plus de l’unité des Palestiniens des différents territoires et de sa résistance armée et non-armée.
Cette « Intifada de l’unité » a vu se soulever les Palestiniens disposant de la citoyenneté israélienne dans une confrontation directe avec les autorités israéliennes et les milices armées. Les organisations partisanes palestiniennes de Gaza ont soutenu le soulèvement contre la politique coloniale israélienne en se lançant dans la « Bataille de l’épée de Jérusalem ». En réaction, les autorités israéliennes lancent l’opération « Loi et ordre » afin de mater la révolte, « pacifier » les territoires occupés et briser l’unité du peuple palestinien. Des milliers de Palestiniens d’Israël ont ainsi été arrêtés. Les groupes de colons et les groupes d’extrême-droite israéliens ont pu poursuivre leurs incursions dans les villes et villages de Cisjordanie, entretenant une tension permanente et un climat pré-pogromiste.
À cela s’ajoute la multiplication des provocations et des atteintes au statut quo sur l’Esplanade des Mosquées, menées par le mouvement du Temple soutenu par des membres de la Knesset. Le gouvernement Lapid et les institutions israéliennes s’alignent de plus en plus sur leurs revendications : récemment, le commandant de police du district de Jérusalem a officialisé sa collaboration avec une organisation émanant du mouvement, et des cadres du WAQF ont été arrêtés par la police israélienne et ont reçu des avis d’éloignement. En tentant de prendre le contrôle sur l’Esplanade des Mosquées, l’État d’Israël s’en prend à un pilier de l’identité et du nationalisme palestinien.
Au printemps 2022, dans la continuité de l’opération « Loi et ordre », l’armée israélienne et les services de renseignements lancent l’opération « Brise lame », toujours en cours aujourd’hui, qui vise à poursuivre la pacification de la Cisjordanie et de Jérusalem en neutralisant toute contestation de la colonisation. Une opération facilitée par la coopération sécuritaire entre les autorités israéliennes et l’Autorité palestinienne (AP) qui permet à l’armée israélienne de multiplier les raids et les incursions nocturnes en territoire palestinien.
En mai 2022, dans le camp de réfugiés de Jénine (Cisjordanie nord), la journaliste palestinienne Shireen Abu Akleh est assassinée lors de l’une de ces incursions. En août, l’assassinat de dirigeants du Jihad islamique palestinien (MJIP) à Gaza et l’arrestation d’autres dirigeants du mouvement en Cisjordanie provoque une nouvelle confrontation violente entre le MJIP et Israël (opération « Aube naissante »). 51 Palestiniens meurent sous les bombes israéliennes. Depuis le début de l’année, 175 Palestiniens ont été tués par l’armée israélienne. Une violence meurtrière quotidienne qui a particulièrement touché les enfants (41 mineurs ont été tués depuis le début de l’année).
La résistance de la jeunesse palestinienne
Dans ce contexte, les opérations armées palestiniennes contre l’intensification de la répression se sont multipliées. Elles sont le fait de jeunes Palestiniens, agissant seuls ou en petits groupes non affiliés aux partis et aux organisations, et se soldent la plupart du temps par la mort de leurs auteurs. Les formes de contestation non-violente telles que les nombreuses grèves de la faim des prisonniers administratifs, les manifestations dans des villes assiégées comme à Naplouse ou au camp de Shuafat et les mobilisations à Masafer Yatta sont ignorées et la plupart du temps violemment réprimées.
En Cisjordanie, la résistance armée est désorganisée et sporadique du fait du profil, jeune et non affilié politiquement, des Palestiniens qui s’y inscrivent. Elle est surtout active dans le nord de la Cisjordanie, autour de Jénine et de Naplouse, là où l’AP a le moins d’emprise et de contrôle.
Cette situation témoigne d’une rupture entre une partie de plus en plus large du peuple palestinien, et notamment de sa jeunesse, et l’AP dont la coopération sécuritaire avec les autorités israéliennes est critiquée. La vaste campagne de répression « Brise lame » suscite la colère de cette jeunesse palestinienne privée d’avenir et qui voit se poursuivre la dépossession de leur peuple dont elle porte la douloureuse histoire.
Cette dynamique de confrontation s’est poursuivie en septembre, voyant se succéder les raids israéliens de cette vaste campagne de répression et les attaques isolées palestiniennes. La mort d’une soldate israélienne lors d’une fusillade près de Shuafat, en octobre, a provoqué la fermeture du camp de Shuafat dont est originaire l’assaillant palestinien. Dans le même temps, les colons israéliens ont multiplié les attaques et incursions violentes contre les Palestiniens, sous protection plus ou moins assumée de l’armée israélienne. La fermeture du camp de Shuafat a provoqué, à son tour, de grandes mobilisations en Cisjordanie, à Gaza et à Jérusalem-Est contre la répression israélienne.
La violence permanente est le visage de la colonisation
Replacés dans leur contexte, ces « flambées de violence » et « regains de tension » apparaissent comme bien mal-nommés. Le fait colonial et la répression/pacification qu’il induit entretiennent une violence permanente. Son intensification actuelle, dans un contexte politique israélien qui se radicalise, doit nous inquiéter. La violence réactionnelle de la jeunesse palestinienne, dont le désarroi est à la hauteur de l’injustice et de la violence subies, est illisible pour qui fait abstraction de ce contexte. Elle exprime tout à la fois le désespoir face au blocage politique de la situation, et l’espoir d’accéder à la libération.
De même, l’extrême-droitisation de la société israélienne, dont la percée récente de la liste « Sionisme religieux » menée par les héritiers du courant kahaniste est le symptôme électoral, se comprend dans la persistance et le pourrissement du fait colonial. L’opinion publique israélienne tend de plus en plus à refléter le contenu politique des structures d’une société et d’un État construits sur la base de la dépossession et de la marginalisation du peuple autochtone palestinien.
La colonisation induit de violents rapports sociaux de domination dans lesquels s’abiment colonisé et colonisateur. Elle porte en elle la violence qu’elle abat sur le peuple palestinien tout en exposant les Israéliens à la contre-violence de ce dernier. Elle n’a d’horizon que la guerre et l’apartheid. La tentative de disqualification du parti arabe israélien Balad, dont la charte et le projet vise à faire d’Israël « l’État de tous ses citoyens », stigmatisé comme une menace au caractère juif de l’État, montre que la démocratie ne peut s’accommoder du fait colonial.
La solidarité internationale doit mettre fin à l’impunité
L’UJFP exprime sa plus vive inquiétude face à la détérioration de la situation politique et sécuritaire. Alors que de nombreuses associations et institutions internationales ont reconnu les violations permanentes des droits humains par les autorités israéliennes et dénoncé leur politique d’apartheid, ces dernières continuent de bénéficier d’une large impunité. Pourtant, seule la fin du laissez-faire dont jouit l’État d’Israël sur la scène internationale peut permettre de réunir les conditions d’une autre politique.
Nous condamnons fermement la politique coloniale israélienne et appelons l’ensemble des forces politiques et sociales se réclamant de la démocratie, de l’égalité et de l’émancipation à unir leurs efforts pour enrayer cette politique mortifère.
Nous attirons particulièrement l’attention sur la situation de notre camarade franco-palestinien Salah Hamouri, avocat et militant pour les droits humains, illégalement détenu en Israël sous le régime de la détention administrative et dont la libération relève de la responsabilité de l’État français. La libération de Salah Hamouri doit être obtenue et être un levier pour faire avancer le combat pour le droit international et pour les droits humains piétinés par l’État israélien.
Les populations israéliennes et palestiniennes doivent pouvoir vivre en paix et en sécurité. Pour cela, il faut que cesse la politique coloniale israélienne.
La Coordination nationale de l’UJFP, le 22 octobre 2022