Non, la solidarité n’est pas un délit

Par Tatiana VAZQUEZ. Paru dans Le Progrès Rhône Métropole, le 14 janvier 2020.

Enfant caché à Lyon pendant la Guerre : « Non, la solidarité n’est pas un délit »
« On glorifie les Justes qui ont sauvé des Juifs et dans le même temps, on condamne ceux qui aident des jeunes noirs en situation de détresse. »

Enfant caché, partie civile au procès Barbie, le Lyonnais, Georges Gumpel, 83 ans, affiche son soutien à Pierre-Alain Mannoni, délinquant solidaire, dont le procès [[(reporté depuis, en raison de la grève des avocats)]] a lieu ce mercredi à Lyon.

Enfant caché, partie civile au procès Barbie, Georges Gumpel, 83 ans, affiche son soutien à Pierre-Alain Mannoni, délinquant solidaire, dont le procès a lieu ce mercredi à Lyon. Photo Progrès /Tatiana VAZQUEZ

« Les 44 enfants étaient des innocents […] Les enfants sont des enfants. Qu’ils soient noirs, blancs ou juifs. » Été 1987, palais de justice du Vieux-Lyon, procès de Klaus Barbie. Sabine Zlatin, directrice de colonie de la Maison d’Izieu témoigne dans un silence de plomb pour raconter la rafle du 6 avril 1944. Dans la salle d’audience, il y a Georges Gumpel, enfant caché pendant la guerre et partie civile pour le convoi du 11 août 1944, le dernier parti de Montluc pour Auschwitz dont son père faisait partie. A 83 ans, aujourd’hui, le Lyonnais convoque « cette phrase qui n’a pas été retenue pour le film sur le procès Barbie » et la mémoire de la Shoah. Ce mercredi, le palais des 24 colonnes accueille le procès en appel de Pierre-Alain Mannoni, poursuivi pour avoir transporté, en 2016, dans les Alpes, près de la frontière avec l’Italie, trois migrantes érythréennes, jusqu’à Nice. Pour ces faits, il risque jusqu’à cinq ans de prison.

Manifeste des enfants cachés

« On glorifie les Justes qui ont eu une réaction exemplaire en acceptant de cacher des juifs et de les sauver et dans le même temps, on condamne ceux qui portent assistance à des jeunes noirs en situation de détresse », lâche Georges Gumpel qui pointe du doigt ce qu’il estime être une contradiction, la contradiction française, parle de « malhonnêteté politique d’honorer les uns tout en condamnant les autres » et entend « mettre le poids de l’Histoire dans ce combat ».

Au début de l’affaire des délinquants solidaires de la vallée de la Roya, l’Union juive française pour la paix dont il fait partie avait écrit un manifeste. On peut y lire : « Nous soussignés, enfants juifs, cachés pendant la Seconde guerre mondiale pour échapper à la déportation, déclarons solennellement : si nous sommes en vie c’est parce que des délinquants solidaires, ont désobéi, nous ont cachés, nourris, en dépit des lois de Vichy et de l’occupant ». Trois ans, plus tard, ils sont toujours mobilisés : ce mercredi, devant la cour d’appel de Lyon, ils devraient déployer leur banderole « Tous unis contre le racisme d’État qui bafoue les droits des migrants noirs : non, la solidarité n’est pas un délit. »

Tout chez lui fait écho et le renvoie à ce paradoxe. Jusqu’à cette exposition qu’il a vue cet été au musée de la Résistance, à Nantua, et racontait le passage clandestin des juifs en Suisse entre 1942 et 1944. « Cela s’appelait « S’exiler pour survivre ». C’est exactement de cela dont il s’agit aujourd’hui, non ? Quand ces jeunes migrants franchissent la frontière, c’est pour survivre… »

« Qu’aurais-je dû faire devant ces personnes en détresse ? Les laisser mourir ? »

Déjà condamné en 2017 par le tribunal d’Aix-en-Provence à deux mois de prison avec sursis pour aide au séjour et à la circulation d’étrangers en situation irrégulière, Pierre-Alain Mannoni se reconnaît dans les propos de Georges Gumpel : « Qu’aurais-je dû faire devant ces personnes en détresse ? les laisser mourir ? Quand on est obligé de se cacher pour sauver des gens contre les autorités, oui c’est de la résistance. » Lui aussi parle d’hypocrisie. « En fin d’année, Nicole Belloubet, ministre de la Justice, a félicité le mouvement citoyen Tous Migrants qui a reçu la mention spéciale du Prix des Droits de l’Homme sur le devoir de fraternité par la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme alors même que la justice condamne nos actions. »

En trois ans, l’homme est devenu militant. Il a voyagé en France, en Sicile, en Europe, et constaté que « ce qui se passe est le contraire d’un accueil digne ». Il s’est rapproché de l’association SOS Méditerranée qui dénombre des milliers de morts en mer. « Sans compter les dizaines de morts dans les montagnes de froid et d’accidents à la frontière franco-italienne, les enfants et familles emprisonnés dans les centres de rétention. Mon affaire est secondaire. Mais ce procès permettra de dénoncer ces horreurs inavouables et de montrer qu’il y a des procédures pour laisser mourir des gens. Personne ne saurait cautionner ouvertement ce qui se passe en réalité car ce sont des crimes, des crimes contre l’humanité qui devront être jugés… »

« Mon geste pour les aider est en accord avec les valeurs de notre démocratie »

Dans une vidéo diffusée sur Internet, Pierre-Alain Mannoni raconte comment il a aidé les jeunes Érythréennes en 2016. « C’était l’hiver, c’était la nuit, il faisait froid. L’une était lourdement blessée au genou, elle boitait avec douleur, l’autre était brûlée à la main. Je n’avais pas prévu de recueillir des gens mais il n’y avait rien d’autre à faire que les secourir. Je ne pouvais pas les laisser là. » Peu après les avoir recueillies, il s’était fait arrêter par la police à un péage autoroutier. «Mon geste pour les aider était naturel, en accord avec la morale et les valeurs de notre démocratie et les principes de la convention des droits de l’Homme. Mon geste devrait être anodin, comme le fait d’aider une vieille dame à traverser la rue. »

Pierre-Alain Mannoni a été relaxé en première instance par le tribunal de Nice. Sur appel du parquet, la cour d’appel d’Aix-en-Provence l’a condamné à deux mois de prison avec sursis. Son pourvoi en Cassation accompagné d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a donné lieu à une décision du Conseil Constitutionnel consacrant le principe de fraternité. La Cour de cassation a donné raison à Pierre-Alain Mannoni et a demandé à la cour d’appel de Lyon de rejuger l’affaire.

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