Non au détournement de la lutte contre l’antisémitisme

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Samedi 13 juin 2020, la place de la République déborde des dizaines de milliers de manifestants qui ont répondus à l’appel du collectif Justice pour Adama pour marcher pour la justice et la vérité, contre les violences policières et le racisme structurel.

Premier acte : la marche, d’abord autorisée par le préfet de police Lallement, se révèle être un piège. Vers 14h, la préfecture fait volte-face, interdit le rassemblement et nasse toute la place.

Une nasse qui durera des heures et qui, une seconde fois après le précédent rassemblement au tribunal de Paris, fait de la France le seul pays interdisant les manifestations actuelles contre les violences policières.

Second acte : une vidéo relayée par des officines conservatrices, puis repris par la presse, montre des insultes antisémites proférées par une ou deux personnes. La préfecture de police réagit et annonce qu’elle dépose une plainte.

Le premier ministre Castaner emboîte le pas, condamne l’antisémitisme des manifestants. Puis Emmanuel Macron. Une polémique naît ainsi, artificiellement, et la presse de présenter la nouvelle actualité : la #GénérationAdama serait-elle antisémite ? Enfin, le président du CRIF, à l’unisson avec la classe dirigeante, fustige les « prétendus » manifestants, sans même un mot sur le contexte politique marqué par le meurtre policier de Georges Floyd et la mobilisation pour faire reconnaître celui d’Adama Traoré, tué en août 2016.

Il serait hasardeux d’affirmer s’il s’agit là de l’œuvre de provocateurs informés ou bien de tristes badauds. Dans un cas comme dans l’autre, Assa Traoré a eu raison de rappeler au micro que l’antisémitisme n’avait pas sa place dans le combat pour la justice et la dignité. Que l’antisémitisme, structurellement présent dans la société française, soit présent dans notre camp social est une chose que nous devons prendre avec sérieux pour le combattre efficacement.

L’instrumentalisation de cet antisémitisme par la classe politique dirigeante, à un moment où elle est mise en difficulté par la vague mondiale de politisation autour des questions du racisme structurel et des violences policières, en est une autre qu’il s’agit de dénoncer avec force.

En effet, il n’a jamais été question, pour la classe politique, de prendre réellement en charge la défense des Juifs. Autrement, il existerait une politique forte appuyée sur les rapports de la CNCDH et une vigilance sans faille contre la pensée nationaliste et l’extrême-droite, foyers principaux de l’antisémitisme en France. Autrement, il existerait une politique forte de lutte contre les inégalités raciales, tant il est vrai que la défense des Juifs ne peut être effective qu’inscrite dans un mouvement plus large de défense des groupes minoritaires.

Et pour cause, la séparation de la société et sa hiérarchisation en groupe sociaux et raciaux produit les conditions du développement de clivages et de tensions intercommunautaires. Jouer de ces rapports sociaux comme un levier pour relégitimer un ordre contesté de l’intérieur est une politique dangereuse.

Elle fait preuve de barbarie envers les uns, collectivement stigmatisés comme antisémites, et exposent les autres au ressenti et à la conflictualité, les arrachant à leur environnement social pour les projeter collectivement et temporairement du côté du pouvoir. La première conséquence de cette politique dangereuse est sûrement le boulevard ouvert à la reproduction des représentations antisémites dans les classes populaires blanches et non-blanches, avec l’aide active de l’extrême-droite antisémite (Soral, Dieudonné, Action française, Civitas, Génération identitaire etc.). Ainsi, détourner la lutte contre l’antisémitisme pour protéger le pouvoir, c’est contribuer à détourner la colère populaire vers les Juifs.

Cette politique résonne loin dans l’histoire coloniale de la France. C’est celle du décret Crémieux et du code de l’indigénat. C’est celle de l’émancipation et de l’anti-dreyfusisme. Aujourd’hui, c’est celle d’un État français qui a été poussé à reconnaître sa responsabilité dans la déportation des Juifs de France vers les camps de la mort et qui trouve là l’opportunité de soulager sa mauvaise conscience à peu de frais, et en même temps de prendre la posture de l’État-nation arbitrant les groupes sociaux. Elle agit comme un puissant anti-corps, masquant la responsabilité de l’État dans les clivages entre groupes sociaux et communautés ainsi que les inégalités qu’il institue.

La classe politique feint de défendre les Juifs pour se défendre elle-même avant tout, quand il ne s’agit pas, dans d’autres contextes, de faire taire la contestation de la politique coloniale israélienne. Elle se prétend « amie » des Juifs, mais ne s’émeut point devant les hommages rendus à Céline ou à Maurras, ou encore lorsque sont mis à jour les obscénités antisémites d’un chroniqueur français à la mode. Depuis les années 2000, la politisation de la lutte contre l’antisémitisme par la classe dirigeante cible avant tout les organisations et militants de l’antiracisme politique et décolonial.

Les campagnes calomnieuses accusant Houria Bouteldja et le parti des indigènes de la République (PIR) d’antisémitisme, ou encore les nombreux procès pour appel à la haine raciale contre nos camarades de la campagne Boycott, Désinvestissement et Sanction (BDS), en témoignent violemment. À ce sujet, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a rendu le 11 juin son arrêt, condamnant la justice française pour avoir violé la liberté d’expressions des militants de la campagne BDS en les poursuivant pour antisémitisme. 1 De même pendant les grandes manifestations de soutien à Gaza en 2014, un piège tendu par la LDJ et ses provocations pour attirer une infime partie de la manifestation vers la synagogue de la Roquette avait permis au pouvoir de délégitimer la solidarité avec la Palestine. En février 2019, le gouvernement avait également riposté au mouvement des gilets jaunes en prétendant lutter contre l’antisémitisme 2 . Elle vise aujourd’hui le collectif Justice pour Adama, les manifestants contre les violences policières et plus largement le vaste mouvement de politisation autour des questions de racisme structurel et de violences policières qui touche la France aujourd’hui.

L’UJFP réaffirme :

  • L’État français, fondé sur un ordre colonial, n’a jamais produit de véritable politique de lutte contre l’antisémitisme. Son philosémitisme conditionnel et de façade ne joue pas en faveur de la protection physique et moral des Juifs, mais ne lui sert qu’à entretenir une légitimité à peu de frais et à stigmatiser ses opposants.
  • Le CRIF ne peut prétendre représenter collectivement les Juifs de France. Il n’en représente qu’une fraction embourgeoisée, droitisée et acquise à la défense d’un ordre social raciste et inégalitaire.
  • Lutter dans la perspective d’en finir avec l’antisémitisme implique de poser la question de l’État et du pouvoir. En cela, la lutte contre l’antisémitisme est indissociable de la lutte contre le racisme d’État, contre l’islamophobie, la négrophobie, la rromophobie. L’UJFP apporte tout son soutien au collectif Justice pour Adama, au collectif Urgence notre police assassine, aux collectifs Justice pour Angelo, Lumière pour Sabri, Justice pour Babacar, Justice pour Lamine, Justice pour Wissam et à toutes les familles de victimes de crimes policiers et du racisme d’État. Notre mémoire et nos combats nous projettent à leurs côtés.

La Commission Communication externe, pour la Coordination nationale de l’Union juive française pour la paix, le 17 juin 2020.


Note-s
  1. http://www.rfi.fr/fr/france/20200612-cedh-condamne-france-violation-liberté-expression-militants-pro-palestine []
  2.  https://www.liberation.fr/debats/2019/02/26/simon-juif-antisioniste-et-gilet-jaune_1711777[]
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