Mostafa Tamimi de Nabi Saleh, Bahjat Zaalan et son fils Ramadan de Gaza sont morts le jour de mon cinquantième anniversaire et quelques jours après que Newt Gingrich [un des principaux dirigeants du parti Républicain aux États-Unis – NDLR] avait déclaré que ces personnes appartenaient à un peuple imaginaire. Ils ont été assassinés par l’organisation terroriste israélienne, les Forces de Défense Israéliennes, une organisation qui est soutenue et financée par les États Unis. Un terroriste israélien a tiré une cartouche de gaz lacrymogène sur la tête de la personne imaginaire de M. Tamini et un autre terroriste israélien a tiré une roquette qui a tué les personnes imaginaires de B. Zaalan et de son fils Ramadan. Les deux terroristes ont été formés et entraînés par Israël et armés par les Etats Unis. Les terroristes israéliens ne sont pas imaginaires mais bien réels et ils sont en sécurité, protégés par le régime d’apartheid qui les a entraînés et envoyés en mission, et le système judiciaire israélien s’assurera qu’ils ne seront jamais traduits en justice.
Voilà comment fonctionne la machine israélienne bien huilée du nettoyage ethnique.
Le nettoyage ethnique sioniste de la Palestine n’appartient pas au passé, c’est une campagne permanente mise en œuvre par trois bras de l’État d’Israël : le système éducatif, une bureaucratie aux ordres et les forces de sécurité.
Le système éducatif est destiné à endoctriner et à produire des soldats et des bureaucrates qui exécuteront et appliqueront le nettoyage ethnique. La bureaucratie est chargée de faire des lois qui rendent impossible la vie des Palestiniens. Des lois qui restreignent l’accès des Palestiniens à leurs terres, et qui restreignent leur capacité à se rendre librement à leur travail et à l’école. Cette même bureaucratie exige ensuite des Palestiniens qu’ils payent pour obtenir des permis les autorisant justement à faire ces choses élémentaires qui leur sont refusées. Les forces de sécurité, dont les plus visibles sont les Forces de Défense Israéliennes (FDI), sont chargées de mettre en œuvre les restrictions, de combattre la résistance, armée ou pacifique, et de terroriser les personnes « imaginaires » de Palestine.
Etant donné que mon père était général et que j’ai servi comme soldat dans l’organisation terroriste des Forces de Défense Israéliennes, les gens me demandent souvent comment il se peut que les enfants israéliens qui sont élevés dans une démocratie de type occidental deviennent des monstres une fois qu’ils sont en uniforme. On peut trouver la réponse détaillée dans mon livre, Le Fils du Général, à paraître en février 2012, mais la réponse brève est la suivante : l’éducation – le racisme nécessite une manière de penser qui est façonnée par l’éducation. Afin de rationaliser et de justifier le nettoyage ethnique, le système éducatif israélien décrit les Palestiniens comme culturellement inférieurs, violents et programmés pour l’anéantissement des Juifs, et, en même temps, dépourvus de véritable identité nationale. L’identité nationale palestinienne n’est qu’un produit de l’imaginaire antisémite.
On éduque les enfants israéliens à considérer les Palestiniens comme un problème à régler et comme une menace à éliminer. Ils peuvent passer toute leur vie, comme moi-même qui ai grandi à Jérusalem, sans jamais rencontrer un enfant palestinien. Ils ne savent rien de la vie ni de la culture des Palestiniens qui bien souvent ne vivent qu’à quelques centaines de mètres d’eux.
Les Palestiniens sont décrits comme une menace pour l’existence, et pour ce faire, on a recours à des comparaisons absurdes comme celles de Yasser Arafat avec Hitler, des Palestiniens avec les Nazis, et la résistance Palestinienne avec Al Qaëda. Comme les enfants israéliens ne rencontrent jamais les Palestiniens, ce qu’ils apprennent à l’école, en particulier dans les manuels scolaires, c’est tout ce qu’ils connaissent. Tout ce que les enfants israéliens savent – vu qu’ils ne rencontrent jamais de Palestiniens – ils l’apprennent à l’école, en particulier dans les manuels. Il faut en effet souligner que même s’ils vivent tout près les uns des autres, une grande partie, si ce n’est tout ce que les Israéliens savent de leurs voisins Palestiniens vient de leurs manuels de lycée et des stéréotypes racistes répandus. Les Israéliens ne savent pas que les Palestiniens n’ont jamais eu d’armée, qu’ils ne possèdent pas un seul tank, un seul bateau de guerre ou un seul avion de chasse, qu’ils n’ont pas une seule batterie de canons et qu’ils ne représentent en fait aucune menace militaire. D’après le nouveau livre de Nurit Peled-Elhanan, il n’existe pas une seule photo de personnage palestinien dans les manuels scolaires israéliens, pourtant il y a des millions de Palestiniens en Israël et autour d’Israël. Les Israéliens n’apprennent pas qu’il existe des Palestiniens médecins, enseignants, ingénieurs ou écrivains. Ils n’apprennent pas la poésie ni la prose palestinienne et ils ne lisent pas les ouvrages des historiens palestiniens.
Récemment, dans une conférence, j’ai fait allusion au nettoyage ethnique de la Palestine et quelqu’un s’est écrié : « quel nettoyage ethnique ? ». Les gens n’ont pas conscience du nettoyage ethnique qui est en train de se dérouler en Palestine parce qu’Israël le cache bien et que cela ne préoccupe pas suffisamment les grands médias pour qu’ils posent la question. Dans les principaux groupes pacifistes et de dialogue qui discutent de Palestine / Israël, une des conditions de base des Israéliens est de ne pas poser de questions comme celle du nettoyage ethnique parce qu’Israël n’aime pas parler de ça.
Mais durant ces 64 dernières années, c’est le nettoyage ethnique de la Palestine qui a été et reste le moteur de la politique sioniste envers les Palestiniens. Tous les gouvernements sionistes et tous les partis politiques sionistes de gauche, de droite et du centre soutiennent le nettoyage ethnique. Le système judiciaire israélien ferme les yeux sur les abus de pouvoir, les vols et les meurtres commis par les autorités israéliennes dès lors que ces faits sont perpétrés contre les Palestiniens. Si ces mêmes crimes avaient été commis contre des Juifs israéliens, ils auraient été poursuivis avec toute la rigueur de la loi.
Les partisans du sionisme aiment mettre en avant le fait que le 29 novembre 1947, les Nations Unies ont voté la partition de la Palestine en un État juif et un Etat arabe. Ce qui est passé sous silence dans la fable sioniste, c’est que dans l’année qui a suivi le vote, les forces israéliennes sont parvenues à s’emparer de près de 80 % de la Palestine, à détruire près de 500 villes et villages palestiniens, à tuer des quantités de civils sans défense et à contraindre quelque 800 000 Palestiniens à l’exil.
Ensuite, quand, en décembre 1948, l’ONU a adopté la résolution194 qui demandait à ce que les réfugiés soient autorisés à rentrer chez eux, Israël a commencé à construire des villes et des agglomérations, des parcs et des routes à l’usage des Juifs israéliens sur la terre palestinienne. Puis la Knesset a commencé à adopter des lois interdisant le retour des réfugiés et permettant au nouvel État de confisquer leurs terres.
Quand la guerre a été terminée, les Palestiniens qui sont restés à l’intérieur de l’Etat juif nouvellement créé ont été contraints de devenir des citoyens d’un Etat qui les méprisait et qui les considérait comme un « problème » et comme une « menace ». On les a désignés comme « les Arabes d’Israël », un qualificatif qui les a dépouillés de leur identité nationale et privés de tous les droits à la terre et qui leur a accordé, en tant que citoyens, des droits très limités. Alors qu’auparavant ils étaient les propriétaires légitimes de leurs terres et de leur pays, ils n’existaient désormais plus que selon le bon plaisir du nouveau propriétaire de la terre, l’Etat d’Israël. Les réfugiés palestiniens ont été contraints de s’installer dans des camps de concentration, appelés de façon pratique camps de réfugiés, et ceux qui tentèrent de rentrer chez eux ont été tués. Une unité militaire a été créée dans le but de châtier les réfugiés palestiniens qui « s’infiltraient » pour rentrer dans leur patrie, désormais appelée Israël. Cette unité s’appelait Unité 101, le fameux Ariel Sharon la dirigeait et elle s’est rendue célèbre comme bande d’assassins disposant du droit de tuer des Palestiniens.
Donc, sans tenir compte du mythe, désormais perpétué par Newt Gingrich entre autres, qui prétend qu’il n’y a pas eu de nettoyage ethnique utilisant la force, nous savons aujourd’hui que la création d’Israël n’a été rendue possible par une campagne systématique de nettoyage ethnique, menée par la milice juive, impliquant des massacres, le terrorisme et le pillage généralisé de toute une nation.
Newt Gingrich, passionné d’histoire s’il en est, pourrait s’intéresser à l’anecdote que je mentionne dans mon livre, Le fils du Général, au sujet de ma mère. Elle est née et elle a grandi à Jérusalem et elle se souvient des maisons des familles palestiniennes de son voisinage à Jérusalem ouest. Elle m’a dit que quand elle était petite, le samedi après-midi elle se promenait dans ces quartiers, admirant la beauté des maisons, regardant les familles assises ensemble dans leurs beaux jardins. En 1948, quand les familles palestiniennes ont été contraintes de quitter Jérusalem ouest, on a offert à ma mère une de ces belles maisons spacieuses mais elle a refusé. A 22 ans, mariée à un jeune officier de l’armée disposant de peu de moyens financiers et avec deux enfants en bas âge, elle a refusé une belle maison spacieuse, qu’on lui a proposée à titre entièrement gratuit, parce qu’elle ne pouvait pas accepter l’idée de vivre dans la maison d’une famille qui avait été contrainte de partir et qui vit maintenant dans un camp de réfugiés. « Le café était encore chaud sur les tables et les soldats sont entrés et ils ont commencé le pillage », m’a-t-elle dit. « Peux-tu imaginer combien ces familles, ces mères doivent regretter leur maison ? » se demandait-elle et elle poursuivait : « Je me souviens avoir vu ces camions chargés du butin pris par les soldats israéliens dans ces maisons. Comment ont-ils pu ne pas avoir honte d’eux-mêmes ? » Il y a eu des milliers et des milliers de maisons prises dans toutes les villes du pays.
Allons maintenant jusqu’en 1967 avec le mythe qu’Israël se battait pour son existence, car il était attaqué par des armées arabes venant de toute part. On a beaucoup écrit à ce sujet mais rien n’est plus révélateur que les procès-verbaux de l’État-major des FDI à partir de juin 1967, juste avant la guerre. Selon les généraux, dont l’un était mon père, Matti Peled, non seulement il n’y avait aucune menace sur l’existence de l’ État mais les mêmes généraux ont clairement établi que l’armée égyptienne avait besoin d’au moins un an et demi avant d’être prête pour la guerre et que c’était donc le moment opportun pour l’attaquer et la détruire. L’armée a fait pression sur le Cabinet pour autoriser une attaque et en effet le Cabinet a approuvé une attaque contre l’Égypte. Les Forces de Défense israéliennes ont détruit l’armée égyptienne et sont ensuite allées attaquer la Jordanie et la Syrie. Il a fallu aux FDI six jours et 700 morts pour tuer un nombre évalué à 15 000 soldats arabes, prendre la Cisjordanie, le plateau du Golan et la péninsule du Sinaï. On peut préférer penser qu’il s’est agi d’un miracle mais c’était une attaque bien planifiée et bien exécutée contre des pays qui n’avaient pas de forces militaires opérationnelles.
L’armée israélienne avait ainsi rempli son objectif de conquérir la totalité de la Terre d’Israël et la dés-arabisation de la Palestine pouvait désormais se poursuivre en Cisjordanie et à Gaza.
Dès les premiers jours de l’État d’Israël, les Forces de Défense israéliennes se sont donné pour mission d’être le tyran le plus violent de la région. Aujourd’hui les FDI n’ont qu’un but : mener une guerre totale contre les Palestiniens en terrorisant les civils palestiniens, en kidnappant les enfants chez eux et faisant preuve de violence contre ceux qui protestent. On a en mémoire le niveau de violence des FDI à tout moment, la dernière démonstration de force importante étant le bain de sang qui a duré trois semaines à Gaza et qui a commencé le 27 décembre 2008. Des centaines de tonnes de bombes ont été déversées sur Gaza par les pilotes israéliens, ces bombardements ont été suivis par une invasion massive de forces terrestres. Tout cela dans le but de terroriser une population civile sans défense dont 800 000 enfants.
Cela fait maintenant quatre décennies qu’Israël a pris le contrôle de la Cisjordanie et l’Etat y a construit et investi en grande quantité. Mais l’ensemble de l’investissement et de la construction en Cisjordanie ont été réalisés pour y faire venir des Juifs. Les terres palestiniennes sont prises à un rythme inquiétant, les maisons sont détruites et des milliers d’habitations brûlées, tandis que l’industrie, les routes, les marchés, les écoles, les résidences closes avec piscine sont construits uniquement pour les Juifs. L’eau, qui est la ressource la plus rare de toutes, est contrôlée et distribuée par l’autorité israélienne. De l’eau selon le principe suivant : les Israéliens reçoivent 300 mètres cubes d’eau par personne et par an. Par comparaison, en Cisjordanie et à Gaza, les Palestiniens reçoivent entre 35 et 85 mètres cubes par personne et par an, alors que l’Organisation Mondiale de la Santé recommande un minimum de 100 mètres cubes d’eau par personne et par an. Mais ce qui est plus grave, c’est qu’on alloue aux colons israéliens en Cisjordanie 1 500 mètres cubes d’eau par personne et par an. Les Juifs de Cisjordanie vivent au milieu de pelouses verdoyantes et de piscines tandis que bien souvent les Palestiniens n’ont pas d’eau du tout. Peut-être que les personnes imaginaires n’ont nullement besoin d’eau.
La dés-arabisation de l’histoire de la Palestine est un autre élément crucial du nettoyage ethnique. On banalise 1 500 ans de domination et de culture arabe et musulmane en Palestine, on est en train de détruire les marques de cette existence et tout cela est fait pour relier de façon absurde l’antique civilisation des Hébreux avec l’Israël d’aujourd’hui. L’exemple le plus éclatant aujourd’hui, c’est à Silwan, (Wadi Hilwe), une ville qui touche la Vieille Ville de Jérusalem et qui compte quelque 50 000 habitants. L’État d’Israël est en train d’expulser les familles de Silwan et de détruire leurs maisons parce qu’il prétend que le roi David a construit là une ville il y a environ 3 000 ans. Des milliers de familles seront jetées à la rue afin qu’Israël puisse construire un parc pour commémorer un roi qui a peut-être ou peut-être pas vécu il y a 3 000 ans. Il n’existe pas l’ombre d’une preuve historique qui puisse démontrer que le roi David ait jamais vécu et cependant des hommes, des femmes, des enfants et des vieillards palestiniens, ainsi que leurs écoles et leurs mosquées, leurs églises et leurs anciens cimetières et toutes les preuves de leur existence doivent être détruits et qui plus est niés afin d’appuyer les revendications sionistes aux droits exclusifs sur la terre.
Dès lors que l’on relie les points un à un, il n’est pas difficile de voir que l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza n’est qu’une petite partie de la question israélo-palestinienne. Le véritable enjeu est le nettoyage ethnique en cours de la Palestine par l’État sioniste. L’issue pour les Israéliens comme pour les Palestiniens, c’est de s’opposer au nettoyage ethnique en s’opposant à toutes ses manifestations. Cela signifie soutenir le mouvement du Boycott, de Désinvestissement et de Sanction contre Israël, BDS pour parler brièvement, cela signifie participer activement à la lutte populaire non-violente en Palestine et cela signifie remettre en cause les lois racistes qui régissent Israël en les bravant. Il faut qu’il y ait un appel clair et sans équivoque pour reconnaître que les FDI sont une organisation terroriste et que ses officiers sont des criminels de guerre. De plus, la discrimination illégale à l’encontre des Palestiniens, qu’ils vivent ou non en Israël/Palestine, pratiquée par les responsables de la sécurité à l’aéroport Ben Gourion et à d’autres points d’entrée en Israël/Palestine doit être remise en cause. La lutte pour la démocratie dans notre patrie partagée n’est pas différente de la lutte sur la Place Tahrir et elle peut en fait être considérée comme faisant partie du Printemps Arabe.
Miko Peled
Traduction : Revue Dialogue