Négationnistes et intégrité d’un journaliste

Dimanche 2 juin 2013 – Michel Warschawski (AIC)

L’assassinat de Muhammad el Dura est de retour dans les gros titres. 13 ans après les faits, le gouvernement israélien a démarré une campagne de négation au sujet de ce meurtre emblématique de la « seconde Intifada ».

A la lecture des journaux, ma première réaction fut la nausée : comment peut-on nier ce que des millions de personnes ont vu presque en direct à la télé en décembre 2000 ? Je me remémorai alors Faurisson et le phénomène des « négationnistes de l’holocauste » : en effet, si des gens peuvent nier le massacre de millions de personnes, pourquoi d’autres hommes ou femmes malintentionnés ne pourraient-ils pas nier le meurtre d’un enfant ?

Ma deuxième réaction fut plus subtile : plus de 1300 enfants palestiniens ont été tués par l’armée israélienne pendant l’opération sanglante de reconquête appelée « seconde Intifada », à Gaza comme en Cisjordanie. Le fait que le débat public soit focalisé sur un seul enfant, Muhammad el Dura, peut écarter le débat au sujet d’un meurtre de masse. Ne devrions nous pas abandonner l’ignoble débat sur un cas afin de ne pas participer à l’effacement d’une vision plus large ?

Deux raisons nous obligent cependant à réagir et à ne pas laisser ce gros mensonge israélien sans réponse. La première concerne la dignité du cameraman palestinien, Talal Abu Rahma, qui a filmé le meurtre, et Charles Enderlin, le correspondant français bien connu de France 2, et la chaîne de télévision elle-même qui a diffusé le reportage et soutient fermement son correspondant. Ils ont fait leur travail de journalistes et doivent être défendus pour l’avoir fait en dépit de toutes les pressions.

La deuxième raison est liée au véritable phénomène appelé « déni politique » : les Turcs nient le meurtre de masse des Arméniens, Israël nie la Naqba, les fascistes nient le génocide des Juifs pendant la deuxième guerre mondiale – la négation et la réécriture de l’histoire sont un outil des puissants pour essayer d’imposer à la fois leur loi et leur légitimité. C’est aussi un outil pour empêcher les journalistes et les historiens de faire leur travail correctement et sans entraves.

Au moment de l’assassinat de Muhammad el Dura, Israël n’a pas nié les faits : le meurtre d’enfants était si courant en 2000-2004 qu’il n’y avait aucun moyen d’essayer de sauver l’image de l’armée israélienne. Plus tard, une commission d’enquête militaire israélienne conclut que, étant donné que là ou Muhammad el Dura était mort, il y avait de sévères échanges de tirs entre soldats israéliens et combattants palestiniens, on ne pouvait définir qui des deux avait tué Muhammad.

La campagne de dénégation a commencé en France avec un homme nommé Philippe Karsenty qui se lança dans une croisade personnelle contre Charles Enderlin et France 2. Après des mois pendant lesquels il a déversé ses immondices et ses allégations mensongères sur le journaliste français, l’affaire fut portée devant les tribunaux français. Dans un premier temps, Karsenty fut déclaré coupable de fausses allégations contre le journaliste français. Puis, la Cour de Cassation, sans prendre position sur les faits eux-mêmes, déclara que Karsenty avait prononcé ses allégations de bonne foi.

La campagne cependant ne s’arrêta pas et des centaines de publications reprirent les accusations qui devinrent de plus en plus folles : Muhammad el Dura avait été tué par son propre père (sic), et même, il n’avait pas existé !

13 ans plus tard, le gang de Netanyahu rejoint la campagne de négation, et sa nouvelle « commission d’enquête » remet en question le professionnalisme et l’intégrité de Charles Enderlin et de France 2.

Cher Charles, Netanyahu, Lieberman et leurs collègues s’intéressant à l’intégrité, ce n’est pas très différent de Richard Nixon parlant de vérité ou Joseph Mobutu des droits de l’Homme. Ne te fatigue pas à défendre ton intégrité devant ces hommes. Continue en revanche à faire ton travail avec le même professionnalisme, et à dire au monde la vérité sur l’occupation coloniale israélienne et ses effets criminels.

Traduction JC pour l’UJFP

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