Mihal Wasser est une enseignante israélienne ; elle vit au kibboutz Kfar-Aza, situé à trois kilomètres de Gaza entre les villes de Nétivot et de Sdérot. Voici la traduction d’un article qu’elle a publié le 15 novembre 2012 dans le quotidien israélien Haaretz (version originale, en hébreu: http://www.haaretz.co.il/opinions/1.1865593opinions/1.1865593). Cet article s’adresse au gouvernement de son pays.
« La première chose que je veux dire est ceci: ne me défendez pas, s’il vous plaît. Pas de cette manière. »
Je suis dans ma «chambre sûre» [la pièce prévue, dans tous les foyers israéliens, pour s’y réfugier en cas d’attaque], au kibboutz Kfar-Aza, et j’écoute les bombardements de la guerre généralisée qui se déroule à l’extérieur. Je ne sais plus distinguer «nos» bombardements de «leurs» bombardements. À vrai dire, les enfants du kibboutz font cela mieux que moi; leur «oreille musicale» s’est développée dès le plus jeune âge, et ils savent distinguer un obus d’artillerie d’un missile tiré depuis un hélicoptère, et un obus de mortier d’un Qassam (missile). Qu’ils soient bénis.
C’est à cela que ressemble la «défense du foyer»? Je ne comprends pas: est-ce que tous nos dirigeants dormaient durant leurs cours d’histoire? Ou peut-être ont-ils étudié selon le programme (scolaire) du Mapaï [le parti travailliste, au pouvoir en Israël entre 1949 et 1977] ou celui de [l’actuel ministre de l’éducation membre du Likud] Guideon Saar (je suis désolée de dire que la différence entre les deux n’est pas si grande), et ont-ils mal compris le mot «défense»? Est-ce que défendre la sécurité des citoyens, cela signifie mener une guerre totale toutes les quelques années? Est-ce qu’aucun homme politique n’a entendu l’expression «planification à long terme»?
Si vous voulez me défendre, alors, s’il vous plaît, n’envoyez pas Tsahal avec pour mission de «gagner». Commencez à penser sur le long terme, et pas seulement dans la perspective des prochaines élections (prévues en Israël le 22 janvier 2013 NDLR). Essayez de négocier jusqu’à ce qu’une fumée blanche sorte de la cheminée. Tendez la main à Mahmoud Abbas. Cessez les «exécutions ciblées», et regardez aussi les civils d’en face droit dans les yeux.
Je sais que la majorité du public m’accusera d’être «une belle âme». Mais c’est moi qui suis ici, au moment où les obus de mortier tombent dans mon jardin, et pas Saar ni le premier ministre Binyamin Netanyahou – et pas non plus [la dirigeante travailliste] Shelly Yacimovich ni [le dirigeant du parti centriste Yesh Atid] Yaïr Lapid. C’est moi qui ai choisi d’élever mes enfants ici, bien que j’aie eu et que j’aie encore d’autre options.
On peut m’accuser de manquer de sionisme, on peut m’accuser de mollesse et de faiblesse de caractère, mais il est impossible de m’accuser de pratiquer un double langage. Mes enfants ont servi dans des unités combattantes, en plus de l’«année de service» qu’ils ont effectuée, à titre bénévole, pour le pays. Nous vivons ici, et nous aimons ce pays.
Notre combat à nous est un combat pour la forme que revêt l’Etat, pas pour ses frontières. Pour sa nature démocratique, et pour la dignité humaine en son sein. Pour la raison. Alors, cessez de tuer des civils de l’autre côté de la frontière afin de protéger ma vie.
Si vous voulez mettre un terme aux actions hostiles qui proviennent de l’autre côté, ouvrez vos oreilles et commencez à écouter. Si vous vous souciez de nous, cessez de nous défendre par des missiles, des actions «ciblées» et des «vols dissuasifs». En place de l’opération « Pilier de Défense » lancez-vous dans une opération « Espoir pour l’Avenir ». C’est plus compliqué, il faut pour cela de la patience, et c’est moins populaire. Mais c’est la seule issue possible. »
Mihal Wasser