Le 22 septembre 2015, un peu moins de quatre ans et au lendemain des élections régionales françaises, je dressais une comptabilité de la « crise migratoire ». Mon but : démystifier ce qui avait mobilisé les électeurs FN. Aujourd’hui, au lendemain des élections européennes, rien n’a changé. Le sujet est au cœur des débats faisant croire à une opposition entre Europe libérale et Europe fasciste. Un leurre. Non seulement ce sujet ne devrait pas exister mais il rassemble la majorité des partis. Il démontre une banalité du racisme. C’est tout.
Faisons le point. Selon la Banque mondiale, les phénomènes migratoires sont anciens, mondiaux et touchent de 3 à 3,5% de la population mondiale. Le pays comptant le plus de migrants est les États-Unis (un migrant sur cinq) devant l’Allemagne, la Russie et l’Arabie saoudite. Proportionnellement à leur population totale, les États arabes du Golfe persique arrivent toutefois réellement en tête (très peu de natifs). Enfin, le Haut commissariat aux réfugiés souligne en 2016 un nouveau record du nombre de réfugiés du fait de conflits et de persécutions : 65 millions dont 22,5 millions de réfugiés, 40 millions de déplacés (non comptabilisés comme migrants) et 3 millions de demandeurs d’asile en attente de l’examen de leur dossier. Les trois pays en accueillant le plus sont la Turquie, le Pakistan et le Liban. Seule l’Allemagne, européenne, figure au Top Ten des pays au monde accueillant des immigrés. Enfin, selon Eurostat 2016, sur 512 millions d’habitants, l’Union européenne compte 22millions de citoyens non-européens, soit environ 4% de sa population…
Alors pourquoi le sujet des flux migratoires qui seraient démesurés prend-il tant d’ampleur et fait le chou gras des partis fascistes européens, sans être battu en brèche par les partis libéraux ? En 2015, j’écrivais déjà : « Qu’est-ce donc que cette « crise » ? Cherchons les réponses dans la terminologie choisie. Le mot crise vient du latin « crisis » qui signifie « assaut », et du grec « krisis (“κρισις”) » qui désigne le fait de séparer, de distinguer. On est au cœur du sujet. Ce qu’exposent les médias et dirigeants occidentaux (européens de l’Ouest et nord-américains) c’est leur volonté de distinguer d’eux-mêmes ces personnes tassées au-delà de murs érigés et recouverts de barbelés, ou cantonnées dans des gares, sur des voies de chemins de fer, perdues sur des embarcations. Désigner l’Autre comme différent, avant qu’il ne se confonde avec celui qui est déjà à l’Ouest. C’est ensuite le stigmatiser comme agresseur, initiateur d’un assaut « contre » ou « vers » des contrées qui lui sont étrangères. Un agresseur/victime de gouvernements « barbares », non occidentaux, au moment-même où la guerre à la « barbarie », au terrorisme islamique est officialisée, « rendue banale ».
Combien d’élections faudra-t-il encore pour que « l’Autre », cette main d’œuvre corvéable à souhait, ces exilés des guerres, soit dé-stigmatisé ? Combien d’élections faudra-t-il pour que le mythe de l’invasion étrangère soit délégitimé dans le but de mieux mettre en lumière celui du libéralisme, bien réel, qui affirme une régulation invisible mais certaine du marché alors que les économies européennes sont délétères ? Combien d’élections faudra-t-il pour que le mythe de la militarisation, qui assoit sa nécessité sur d’hypothétiques agressions extérieures, soit révélé comme visant des objectifs d’enrichissement financier, de soumission des populations, de banalisation de la culture de guerre, d’institutionnalisation de la violence ? À quand un parti démystificateur ?
Par Joelle Palmieri. Publié sur son blog le 31 mai 2019.