Mumia Abu Jamal hors les murs du couloir de la mort

Mireille Fanon-Mendes-France

Fondation Frantz Fanon

Experte ONU

6 octobre 2012, 7h30.

Départ de New York pour Frackville au sud de la Pennsylvanie.

Après trois heures de conduite, la prison de Mahanoy est en vue. Si Mumia a changé de prison -celle-ci -de moyenne sécurité- est l’exacte réplique de celle de Greene –haute sécurité. Même fils de fer barbelés entourant les murs, même position du parking, même entrée meublée des mêmes fauteuils en skaï orientés vers le même mur. Tout est identique, y compris la façon dont sont accrochées, face à la porte d’entrée, les récompenses du staff des gardiens, même comptoir d’accueil. Le portique de sécurité est peut être légèrement plus déporté vers la gauche qu’à Greene.

Le même long couloir tournant vers la droite mène non plus vers le secteur du couloir de la mort mais vers la salle des visites. Une salle relativement grande, basse de plafond ; de nombreux fauteuils les uns derrière les autres disposés face à l’estrade sur laquelle « trônent » les gardiens ; quelques tables rondes ; des distributeurs de boisson, de friandises et de plats pouvant être réchauffés dans un micro-onde ; une salle pour les enfants mais interdite d’accès. De nombreux panneaux sur les murs : interdit aux prisonniers ; interdit aux prisonniers d’introduire les pièces dans les distributeurs et de sélectionner les denrées ; interdit de bouger les meubles ; toilettes interdites aux prisonniers…

Mumia attend légèrement recroquevillé sur lui, souriant. Il se lève. C’est la première fois que je peux le voir sans la vitre épaisse qui le séparait de tous ses visiteurs. Me reviennent plus de quinze ans de visite, l’atmosphère si particulière de Greene où se mêlaient à la fois la joie de passer plus de 3 heures avec Mumia, la crainte de ne pas le voir –les autorités pouvant à tout moment annuler la visite- et la pesanteur des conditions de la visite : la vitre où les voix ne peuvent atteindre l’un et l’autre qu’à travers quelques trous percés sur les côtés ; ses mains longtemps attachées, les premières fois, elles l’étaient par une chaîne lui entourant la taille et reliée à ses pieds. Il aura fallu la visite de Desmond Tutu pour qu’enfin nous le voyions les mains libres de toute entrave.

6 octobre 2012, il ne porte plus son uniforme orange mais est vêtu d’un uniforme marron avec pour seul agrément un parement jaune aux manches courtes, tenue réservée exclusivement aux visites.

Il aura fallu onze ans pour qu’il sorte du couloir de la mort, alors que le 18 décembre 2001, le Juge fédéral Yohn, de l’État de Pennsylvanie, avait « cassé » la sentence de peine de mort prononcée en 1982. Il aurait dû être extrait du couloir de la mort quelques jours après. C’est ce que nous attendions tous, même si nous savions que le Juge n’avait statué que sur la forme et non sur le fond de l’affaire ; pour la justice américaine, Mumia reste toujours coupable du meurtre qui lui est reproché. Après de nombreux appels tant au niveau fédéral qu’à celui de la Cour Suprême des Etats Unis, cette dernière « se lave les mains » des droits civils de Mumia et laisse à la Cour fédérale de Pennsylvanie le soin de revenir éventuellement sur la décision prise le 18 décembre 2001. Autre traitement inhumain et dégradant s’apparentant fort à une torture tant morale que physique.

Au-delà de ces « jeux de justice », il est intéressant de s’interroger sur le maintien de Mumia dans le couloir de la mort. Rappelons que le droit à la vie et celui de ne pas être soumis à une peine cruelle, inhumaine ou dégradante, sont affirmés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme ainsi que dans des instruments internationaux et régionaux, à valeur normative, et dans des constitutions et législations nationales, sauf aux Etats-Unis qui ne cessent de marquer leur différence, dans le sens le plus monstrueux, même si certains de ses Etats ont voté des moratoires Ce n’est toujours pas assez ! L’idéologie de la loi du Talion à la vie dure.

En aucune manière, une exécution judiciaire ne constitue un acte de légitime défense, il s’agit juste d’un meurtre prémédité cruel et se rapproche, en ce sens, de la torture. C’est, comme le précise Amnesty International[note]Document, Abolition totale ou partielle dans la loi et la pratique, Index AI : ACT 50/13/98
ÉFAI, Londres, décembre 1998]]
, « une agression physique et mentale poussée à l’extrême contre une personne déjà réduite à l’impuissance par les autorités gouvernementales ». Tout Etat pratiquant la peine de mort ne peut prétendre être un Etat démocratique respectant les droits fondamentaux et encore moins lorsque cette peine de mort vise particulièrement les Afro-Américains qui « représentent 42 % de la population dans le couloir de la mort mais seulement 12% de la population américaine, alors que les Blancs, représentant 72 % de la population, constituent 44 % des condamnés à mort [note]Arnaud Gaillard, 999, éditions Max Milo, 2011]] ». Il faut ainsi admettre, à l’instar d’Arnaud Gaillard, que « la peine de mort est un dispositif majoritairement au service des personnes de couleur blanche, et d’autre part, que la vie n’a pas le même prix selon la couleur de la peau ou les capacités financières de chacun ». C’est bien d’ailleurs cette justice raciste que ne cessent de dénoncer Mumia et ses soutiens aussi bien américains qu’internationaux.

Mumia aura passé trente années dans le couloir de la mort, dont onze de trop. Dans cette attente réside aussi la cruauté et l’inhumanité de la peine de mort, non seulement le prisonnier attend sa mort mais cela constitue une torture mentale et physique inadmissible au regard du droit à la vie et du droit à la dignité humaine. Trente ans à attendre, à lutter, à clamer son innocence –il n’est pas le seul- trente ans constituant un traitement inhumain, une torture mentale et physique visant à le briser.

C’est compter sans la force de caractère de Mumia. Il résiste, étudie, lit, écrit, publie des livres [note]Live from death row (1995); All things censored; Death Blossoms : reflections from a prisoner of conscience ; Faith of our fathers; We want freedom: a life in the Black Panther party; Jailhouse Lawyers (2010); le dernier en collaboration avec Marc Lamont Hill: The classroom and the cell: conversations on Black life in America (2012)]], donne des interviews, apprend le chant et le piano et ne cesse de faire des exercices physiques à raison de 6 heures par semaine, travaille sur son cas, informe ses camarades de détention sur leurs droits, même s’il avoue ne pas être « avocat ». Il a compris comment marchent les rouages et a éprouvé leurs limites. Pour l’administration pénitentiaire et judiciaire, il est à briser et surtout il faut obtenir sa vie pour laver l’outrage de la mort du policier Faulkner.

Mumia_et_Mireille.jpg

Ainsi lors de son arrivée à Mahanoy, les autorités n’ont eu de cesse d’obtenir de lui qu’il coupe ses dreadlocks –il avait promis de ne le faire qu’à sa libération-. Il refuse, restera plusieurs semaines en isolement complet, ni livre, ni radio, ni visite. Seul. Il perdra plusieurs kilos. Il ne cédera que devant l’insistance de sa femme et de ses soutiens. Il s’agissait pour les autorités américaines de le mettre face, hors du couloir de la mort, au même type de traitement dégradant et inhumain.
Mumia devrait passer le reste de sa vie en prison, à moins que le rapport de force entre ses soutiens et la justice permette que son cas ne soit réétudié, voire ré ouvert. C’est bien ce que la justice, dans le plus grand secret, a empêché de faire en rendant, le 13 août dernier, une ordonnance stipulant que Mumia était condamné à la prison à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle. Il était ainsi privé d’une possibilité de recours, si n’avait été la vigilance d’une de ses anciennes avocates.

Au traitement inhumain et dégradant, équivalant à de la torture, s’ajoute le fait que Mumia est victime d’une violation systématique de ses droits à la dignité humaine, à ne pas être discriminé en raison de ses origines et à ne pas être privé du droit à se défendre puisqu’avec cette tentative, il y a violation intentionnelle des règles de procédures pénales.

Depuis 2009, les soutiens de Mumia ont commencé une large campagne internationale portant sur ses droits civils qui ont été largement violés depuis 1982 : le jury n’a eu connaissance que partiellement des informations ; Mumia, au tout début de son procès, a bénéficié d’une assistance juridique insuffisante ; le juge s’est montré ouvertement impartial ; les éléments nouveaux n’ont pas été acceptés par l’accusation ; sans oublier le poids politique de l’Ordre Fraternel de la police à Philadelphie. Ce constat interroge les normes internationales d’équité pour les procédures judiciaires. Seul un nouveau procès, avec des observateurs étrangers, pourrait permettre le respect des droits civils de Mumia.

15 heures, la fin de la visite est annoncée. Nous avons passé cinq heures ensemble. Cinq heures où se sont, pour la première fois, interposés des silences ; il n’y a plus l’urgence du couloir de la mort. Nous étions deux amis, certes dont un est emprisonné, mais le rythme était différent, moins pesant. Les enfants des prisonniers couraient, riaient ; des familles jouaient aux cartes ; d’autres savouraient d’être si près l’un de l’autre ; un prisonnier, attitré aux photos, n’a cessé d’en développer …

Dans cet univers si impersonnel et où des vies se brisent, cette visite marque la seconde étape du combat mené avec les prisonniers politiques maintenus trop longtemps en prison alors qu’ils ne sont pas coupables ou qu’ils devraient être libérés depuis longtemps ; Il reste la mobilisation à construire pour obtenir la libération de Mumia et la fin d’une justice ouvertement raciste. Le micro a grésillé la fin de la visite.

Paris, le 15 octobre 2012