Monsieur le Premier ministre, vous incarnez la République du mépris

Selon Marwan Muhammad, ancien porte-parole du Collectif Contre l’Islamophobie en France (CCIF), Manuel Valls a fait sombrer la France dans la division et l’ordre sécuritaire en faisant de l’état d’urgence son mode de gouvernement.

Monsieur le Premier ministre, vous incarnez la République du mépris

C’est difficile, pour un Premier ministre, de ne jamais décevoir. Et pourtant, un jour après l’autre, vous réussissez cette prouesse ; rarement pour le meilleur, souvent pour le pire.

Vingt et un mois après avoir été nommé à Matignon, vous avez failli à votre mission première face au chômage, avez impliqué notre pays dans plusieurs conflits armés à l’étranger, sans horizon d’apaisement dans un futur proche et, plus grave encore, vous avez été incapable de protéger nos concitoyens sur notre propre sol, dont 146 ont été sauvagement tués, au cœur même de notre capitale.

Plutôt que de tirer les conséquences de vos échecs et de faire preuve d’humilité en vous retirant, comme la dignité minimale l’eût exigé, vous avez au contraire fait le choix de la fuite en avant, en faisant sombrer notre pays dans la division et l’ordre sécuritaire. Vous désignez ainsi les bons (ceux qui vous sont soumis) et les méchants (ceux qui auraient le malheur de ne pas vous faire allégeance, y compris au sein de votre famille politique).

Si aujourd’hui vous souhaitez prolonger l’état d’urgence indéfiniment, c’est qu’il est devenu pour vous un mode de gouvernement à part entière, reposant sur les deux piliers qui caractérisent votre pratique politique : le contrôle et l’injonction.

Que des députés de votre majorité mettent en cause les échecs de votre politique économique et sociale… et les voici mis à l’index, accusés de faire le jeu des extrêmes.

Que des associations antiracistes ou des militants écologistes pointent les dérives autoritaires auxquelles ont abouti vos mesures d’urgence… et les voici gazées et molestées par votre police, traitées comme de vulgaires criminels, ciblées par des procédés abusifs, sous votre commandement.

Que près d’une centaine d’associations et de leaders, de toutes tendances, signent ensemble une tribune pour dire #NousSommesUnis face à la violence du terrorisme qui frappe notre pays… et vous voici à jeter l’anathème sur celles et ceux qui, parmi les signataires, auraient le malheur de ne pas vous convenir.

Car au bout du compte, l’injonction paradoxale qui consiste à exclure et à marginaliser, au nom du «vivre ensemble», vous sied si bien. Vous avez, de votre propre aveu, choisi de ne plus comprendre. Voici donc venu le temps de l’arbitraire et de l’ignorance, érigés en modèle.

Du soutien aux Palestiniens à la lutte contre l’islamophobie, de la dénonciation des dictatures avec qui vous signez des contrats d’armement à la solidarité avec les salariés dont votre politique met les emplois en danger, vous ne supportez pas ceux qui ne pensent pas comme vous.

Mais ce qui vous terrifie, plus que toute autre chose, c’est l’émergence d’une société civile autonome dans sa pensée comme dans ses projets, issue (aussi mais pas uniquement) des quartiers populaires, à l’image de tout ce qui fait la diversité et la richesse humaine de notre pays.

Une telle dynamique, incarnée par des femmes et des hommes libres, issus de toutes appartenances et de toutes confessions, affranchis de votre tutelle et de vos allégeances politiques, est déjà en marche. Chaque jour, dans nos villes et nos quartiers, dans nos entreprises et nos universités, ils construisent des solutions, ensemble.

En vérité, vous représentez une vision sociétale dépassée : celle qui conçoit l’antiracisme par le haut, à l’image de votre DILCRA (Délégation Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme et l’Antisémitisme) aujourd’hui totalement discrédité, qui plutôt que d’unifier le combat contre toutes les formes d’intolérance, s’est attaché à hiérarchiser les racismes et à mettre en cause les associations de terrain.

Celle qui s’inquiète plus de l’intégrité vestimentaire des patrons d’Air France que des emplois de leurs salariés, criminalisant ainsi les mouvements sociaux et validant les fermetures d’usines, les unes après les autres.

Celle qui cautionne l’impunité policière lors des bavures, abîmant chaque jour un peu plus la relation citoyen-police, notamment dans nos quartiers populaires, tout en piétinant les promesses faites en matière de lutte contre les contrôles au faciès.

Celle qui investit la «laïcité» comme un principe d’exclusion, plutôt que comme un cadre juridique permettant la pluralité des expressions, dans le respect de chacun-e, allant jusqu’à mettre en risque nos institutions comme l’Observatoire de la laïcité, dont le tort est tout simplement d’avoir rappelé le droit.

Vous incarnez la République du mépris. Nous incarnons la France de demain.

Votre temps est politique. Le nôtre est sociétal.

Dans votre bouche, la devise de notre pays est une vaine incantation.

Dans nos actes, elle devient une réalité possible.

Donc forcément Monsieur le Premier ministre, nous ne sommes pas d’accord.

Sublime ironie, il se peut qu’enfin vous parveniez à rassembler… contre vous, donc pour la préservation de nos libertés et de ce qui fait de nous un peuple, affranchi de ses peurs et conscient de toutes ses forces.

Marwan Muhammad, statisticien, conseiller auprès de l’OSCE


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