Mission syndicale en Cisjordanie

Il y a deux ans, la FSU Ile de France avait initié un partenariat avec le GFIU, fédération de syndicats indépendants de Palestine. Cette année, la FSU a décidé d’aller en Cisjordanie et de proposer ce voyage à d’autres orgas d’Ile de France.

C’est une délégation de 15 militant-es qui est partie fin octobre, avec la Secrétaire générale et le trésorier de l’Union régionale CGT, le Secrétaire général de l’UD FO 93, un responsable national du SNJ – CGT, et 8 camarades de la FSU, dont les 2 derniers secrétaires régionaux.

Toutes les rencontres avec les organisations syndicales et les associations se sont tenues avec les 1ers responsables et des membres de la direction : PGFTU, GFIU, PJS (syndicat palestinien des journalistes), BDS, De Colonizer, Club des prisonniers… Le sens est clair, nos camarades palestiniens ont besoin de nous, de notre soutien. Multiplier ce type de voyage est un acte militant pour la paix et contre l’injustice.

« La colonisation israélienne : un projet de classe »
(Efraim Davidi, prof d’université, syndicaliste israélien)

La colonisation s’accélère, en particulier avec le projet du grand Jérusalem, isole les villages palestiniens, les encercle, les exclut : démolition ou confiscation de maisons, refus d’accorder des permis de construire ou d’agrandissement des maisons aux Palestiniens, prix de l’immobilier inaccessibles. L’objectif de couper la Cisjordanie en deux est en passe d’être réalisé avec le projet de démolition du village bédouin de Khan al Ahmar.

Le but est d’empêcher les Palestiniens de vivre et de s’installer, tout en profitant d’une main d’œuvre exploitable, mise en concurrence, sans les mêmes droits que les Israéliens, en particulier à Jérusalem. Les Palestiniens n’y sont pas considérés comme des citoyens à part entière, ils ont (au mieux) un statut de résident valable 10 ans qui peut leur être retiré à tout moment. Ils ont une carte d’identité « jordanienne » ou « arabe ». Mais, « sortis » de Jérusalem, ils vont perdre leur statut et les droits qui s’y rattachent (comme celui du droit à pension, ou à une couverture sociale par exemple).

« Israël ne respecte pas le droit des travailleurs. Or sans démocratie, sans la possibilité de construire un Etat moderne, il ne peut y avoir de droits pour les travailleurs  »
(Shaher Sa’ed, Secrétaire général du PGFTU)

Les Palestiniens de Cisjordanie ont besoin d’un permis pour travailler en Israël ou dans les colonies. Ils sont 164 000 palestiniens et doivent payer 900 dollars pour avoir un permis de travail. Mais près de la moitié sont obtenus « au noir », système créant des travailleurs clandestins qui tirent le marché du travail vers le bas. Une véritable mafia s’est créée pour le plus grand bonheur du patronat.

La lutte contre le trafic des permis est une des priorités du PGFTU.

La construction du mur, les check-points rendent la vie impossible aux travailleurs. Obligés de partir de chez eux vers 1h du matin, ils doivent trouver un transport, attendre souvent plus de 5h avant de passer. Ils sont victimes de nombreux accidents liés à la fatigue, et comme la loi israélienne ne couvre les salariés qu’une heure avant la prise de poste et une après la débauche, ils ne sont pratiquement jamais couverts pour les accidents de trajet. Les retards (fréquents à cause des checkpoints) occasionnent des pénalités quand ce n’est pas le renvoi pur et simple chez eux.

Israël n’a jamais respecté les accords de Paris, protocole sur les relations économiques entre l’État d’Israël et l’OLP signé dans le cadre des Accords d’Oslo, qui portait sur la circulation des marchandises et des personnes et sur les droits des travailleurs. Shaer Sa’ed nous a fait part de l’implication de son organisation dans les milliers de procès intentés au gouvernement israélien. A souligner que la loi israélienne interdit les avocats palestiniens. Le PGFTU travaille avec l’OIT qui vient faire des constats, sans suite.

En moyenne, chaque palestinien travaille 26 jours par mois, mais ils n’ont une fiche de paie que de 15 jours, seuil au-delà duquel ils pourraient prétendre à être payés au niveau du SMIG.

Mahmoud Ziadeh, le secrétaire général du GFIU insiste sur les injustices : « Avec ou sans permis, ils n’ont aucune garantie, les conventions internationales ne sont jamais respectées et, comme dans d’autres domaine, le gouvernement israélien n’est jamais condamné ni sanctionné au niveau international ».

Quelle(s) résistance(s) ? Pacifiste et antiraciste

Quels qu’aient été nos interlocuteurs, tous et toutes, sans exception, ont dénoncé les campagnes médiatiques et les déclarations de responsables politiques assimilant la lutte contre les gouvernements israéliens à de l’antisémitisme.

« On n’est pas des victimes, on lutte pour la liberté »

Nous avons été reçus à Nabi Saleh par la famille Tamimi, dont la jeune Ahed, 17 ans, a bien malgré elle, vu son image faire le tour du monde, après avoir giflé un soldat qui pénétrait dans la maison familiale.

Nabi Saleh est devenu « un exemple de la lutte non violente contre l’occupation » nous dit Bassem Tamimi, le père. Ce village a vu une colonie s’installer en 1975 sur une ancienne base militaire anglaise. Les tribunaux israéliens ont donné raison aux villageois qui s’opposaient à son implantation et ordonné l’expulsion des colons. Colons qui se sont réinstallés fin 1977 après la victoire du Likoud aux élections, malgré le jugement déclarant cette colonie illégale. En 2009, la source alimentant le village a été captée par les colons.

C’est depuis qu’est organisée, chaque vendredi, une manifestation pacifique vers la source. Point fort dans cette lutte, l’implication des femmes.

Alors qu’en 10 ans maintenant, aucun soldat israélien n’a été blessé, la répression est féroce : 9 morts, plus de 400 blessés (dont 15 % d’enfants), 350 prisonniers (la moitié d’enfants, dont 20 de moins de 15 ans et de nombreuses femmes), des récoltes détruites, des habitations attaquées, des terres confisquées (105 ha sur les 300 que compte le village), des perquisitions de l’armée, des arrestations quotidiennes. 13 maisons sont menacées de destruction (18 % des habitations) et les palestiniens n’ont pas le droit d’agrandir : « c’est tout simplement un transfert forcé qui s’apparente à du nettoyage ethnique » dit Bassem. Et de rajouter « Mais Israël, n’est pas un problème en soi. C’est le gardien du capitalisme, qui gère des capitaux et vend des armes. Nous, comme militant-es de la liberté, on espère une lutte internationale ».

Ce refus du racisme, de l’antisémitisme, nous l’avons retrouvé dans les mots d’Ahed et des jeunes à ses côtés : « La religion n’est pas le problème. Elle est utilisée pour dire que la colonisation est juste, nous, on n’est pas contre la religion juive, on veut vivre libre sur notre terre. » (Ahed Tamimi)

Même si le constat que « l’espoir de la création d’un état palestinien, c’est fini, -62% de la Cisjordanie est en zone C (zone sous contrôle israélien), 200 000 palestiniens, 500 000 colons » est largement partagé, l’optimisme, lié au sentiment d’avoir le droit pour soi reste déterminant : Oui je crois qu’on va libérer la Palestine. C’est notre terre. On est dans une phase d’occupation, mais notre devoir est de lutter, y compris pour les générations futures (Ahed Tamimi, 17 ans)

« On est sur notre terre, on restera ici, c’est eux qui partiront
On reste pour l’avenir de nos enfants » Ibrahim Masnara

Ibrahim est coordinateur des P.A.R.C (Comités palestiniens de secours agricole), il nous reçoit dans sa maison menacée de démolition. Ce village est l’un de ceux démoli en 1948, repris par ses habitants qui ont le droit pour eux, la ligne verte (armistice de 1949) est après. Or les colonies se développent, l’encerclant peu à peu (sur les 1200 ha, il n’en reste que 300 aux Palestiniens), les projets israéliens menacent de l’étouffer totalement. Les colons ont détourné l’eau à leur profit et la loi interdit aux Palestiniens de procéder à de nouveaux forages et au stockage de l’eau de pluie. Cette population vivant de l’agriculture subit des attaques de colons souvent encadrés par des forces « de protection » armées, détruisant des serres, volant du matériel, multipliant les provocations.

Les plaintes auprès du Bureau de liaison militaire ne débouchent sur rien même lorsque les preuves sont flagrantes.

Malgré cela, Ibrahim ne veut pas se laisser enfermer dans une lutte identitaire. « Tout le monde est pour la paix, le pardon, la justice, contre le racisme, y compris entre juifs. Alors pourquoi les gouvernements soutiennent Israël, leur donnent des armes ? » « Le problème ce n’est pas les juifs, regardez à Naplouse tout le monde vit ensemble, même les juifs sionistes, oui »

Le mouvement BDS

« Étrange qu’un mouvement issu des droits de l’homme soit placé par Israël au même niveau de menace que l’Iran » (Omar Barghouti)

Omar Barghouti, créateur de BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) présente son mouvement : « BDS s’appuie sur la déclaration universelle des droits de l’homme et rejette toute forme de racisme, y compris l’antisémitisme »

Ce mouvement de résistance pacifiste de la société civile palestinienne se réfère au boycott de l’Afrique du Sud. Lancé en 2005, il a 3 objectifs : obtenir la fin de l’occupation, mettre fin au racisme et à l’apartheid du gouvernement israélien et respecter le droit au retour des réfugiés. Boycott des produits israéliens, Désinvestissement (c’est à dire appel aux sociétés commerçant avec Israël à se retirer de projets tant que le gouvernement israélien ne mettra pas fin à la colonisation) et exigence de Sanctions internationales pour contraindre Israël à se conformer au droit international.

Ce moyen de pression devient très efficace. Des compagnies ont dû retirer leurs investissements ou leurs participations à des projets israéliens en lien avec l’occupation, Alstom dans la réalisation du tramway (qui traverse les zones palestiniennes sans arrêts, ne desservant que les colonies) ou Véolia pour les plus connues, mais aussi beaucoup de compagnies hollandaises, danoises ou norvégiennes, pays où la pression populaire est la plus forte. Le principe est de s’attaquer aux sociétés complices de la colonisation et des violations des droits de l’homme, quelles que soient leur nationalité.

BDS continue de se renforcer et en particulier avec un soutien juif qui n’a cessé d’augmenter ces dernières années. Dès 2014, un sondage auprès des juifs américains indiquait que 48 % des hommes de moins de 40 ans soutenaient un boycott total d’Israël. Cela fait très peur à Netanyahou car là, l’argument antisémite tombe. La volonté de ce dernier de changer la définition de l’antisémitisme (dans laquelle on interdirait de dire qu’Israël pratique l’apartheid) inquiète de plus en plus de communautés juives dans le monde.

Omar Barghouti souligne d’ailleurs que « les vrais antisémites sont les meilleurs alliés du gouvernement israéliens » et que « le gouvernement israélien est devenu un modèle pour l’extrême droite ».

Tout en sachant que sous la pression du gouvernement israélien, de plus en plus de pays tentent de légiférer pour interdire la campagne BDS, le constat est clair, le soutien du mouvement syndical et des mouvements sociaux, est le meilleur allié de la lutte du peuple palestinien pour son indépendance.

Et l’incidence d’un boycott dur pour les travailleurs palestiniens ? « C’est aux palestiniens, seuls, de décider. Nous savons que le boycott peut nous faire du mal, mais la société palestinienne a décidé que c’était le prix à payer pour sa liberté » (Omar Barghouti). « Tous les syndicats palestiniens, les coopératives d’agriculteurs font partie de BDS. Ils savent que c’est dur ».

Nous avons aussi rencontré à Tel Aviv une association anti colonialiste, De Colonizer, dont la co-fondatrice, Eléonore Bernstein, juive, israélienne, universitaire, est sans ambiguïté : « la colonisation au nom de nos morts est insupportable », « tout le monde sait que l’antisionisme n’est pas de l’antisémitisme et que le combat anticolonial est un combat pour la justice »   BDS ? «Bien sûr ! Israël doit payer le prix de l’occupation ».