Une lettre de l’AFPS, adressée à Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, eu égard au comportement des autorités israéliennes vis-à-vis de citoyens français voulant se rendre en Palestine dès leur arrivée à l’aéroport de Tel-Aviv.
Ministère des Affaires étrangères et européennes
Monsieur le Ministre Laurent Fabius
37 quai d’Orsay
75007 Paris
A Paris, le 6 mai 2014
Monsieur le Ministre,
Je dois attirer à nouveau votre attention sur l’inadmissible comportement des autorités israéliennes vis-à-vis de citoyens français voulant se rendre en Palestine dès leur arrivée à l’aéroport de Tel-Aviv. Une catégorie est particulièrement visée : celle dont les patronymes laissent supposer qu’ils sont d’origine arabe.
Ils sont régulièrement l’objet d’interrogatoires qui peuvent durer plusieurs heures dans des conditions dégradantes avec leurs lots d’insultes et d’intimidations.
Les agents de la sécurité s’estiment en droit de fouiller les boîtes email de ces citoyens lorsqu’ils débarquent à l’aéroport, ce qui, en cas de refus, peut mener à une interdiction d’entrée sur le territoire.
Une expulsion arbitraire vient alors mettre brutalement fin à un voyage qui a pris des mois de préparation et nécessité une mise de fonds non négligeable.
Cela a été tout récemment le cas de cette jeune photographe française, Mouna Saboni, qui a été détenue pendant trois jours avant d’être expulsée. Son récit dès son arrivée à Paris montre à quel point elle s’est sentie seule et démunie face à l’arbitraire : « D’abord, ils sont tombés sur mon nom de famille et se sont rendu compte que j’étais maghrébine, et ensuite ils sont tombés sur mon travail sur internet. Ils m’ont montré les photos que j’avais faites et ils m’ont dit que je venais pour autre chose que du tourisme ou de la photo. » Et d’ajouter : « Ils voulaient tous mes contacts à Gaza et m’ont dit qu’ils ne pouvaient pas me faire entrer car j’avais le profil pour poser une bombe. Le pire, c’est que j’ai dix ans d’interdiction de territoire. Je ne peux pas continuer mon travail, pour moi le pire, c’est ça. »
Ce fut aussi le cas de trois de nos compatriotes de Mulhouse et Colmar parties avec un groupe de 16 femmes dans le cadre d’une mission en Palestine organisée par l’Association France Palestine Solidarité du Haut-Rhin. Elles devaient rencontrer sur leur invitation des femmes palestiniennes et des femmes Israéliennes, d’Hébron à Tel Aviv en passant par Jénine, Tulkarem et Nazareth.
Deux des membres du groupes ont été mises à part sur le seul critère de leur origine maghrébine et interrogées longuement. Ayant appris la nature de leur mission, les services de sécurité les ont placées en isolement. Lorsque la responsable du groupe est venue s’informer de leur situation, elle a également été arrêtée. C’était le lundi 20 Avril à 12 heures. Les trois ont été expulsées après deux nuits passées sur place.
L’explication souvent donnée par l’ambassade de France à Tel Aviv sur la souveraineté d’un état sur ses frontières et son droit de refuser l’accès à son territoire nous pose question. D’abord pour les personnes qui souhaitent se rendre en Palestine et non en Israël. Certes les accords d’Oslo faisaient relever de la compétence d’Israël l’accès aux territoires palestiniens, mais, 20 ans plus tard, alors qu’Israël se refuse toujours obstinément à désigner ses frontières, une telle référence a perdu toute signification. La France peut-elle accepter sans réagir qu’une autorité étrangère puisse faire le tri parmi les enfants de la République ? Ne rien faire c’est cautionner un racisme institutionnel et de simples protestations par les canaux diplomatiques restent sans effet.
Contrairement à d’autres, les citoyens israéliens peuvent venir en France sans difficulté et y séjourner sans aucun problème. Pourtant, certains d’entre eux ne viennent pas que pour visiter Paris et ses musées. Ils viennent parfois pour collecter des fonds pour une armée d’occupation lors de galas qui se tiennent en plein cœur de la capitale. Ils n’ont jamais été inquiétés.
Monsieur le Ministre, les États-Unis, peu suspects d’hostilité envers Israël, ont refusé à cet État d’entrer dans le programme américain d’exemption de visa, qui permet aux citoyens des pays participants de se rendre aux États-Unis jusqu’à 90 jours sans visa. Cela en raison de la persistance des discriminations contre les Américains palestiniens et arabes. Même timide, cette mesure prouve que quelque chose peut être fait pour mettre fin à cette attitude israélienne arrogante.
La France, elle aussi, comme tout État, peut prendre des mesures de rétorsion adaptées. A défaut de telles mesures, les autorités israéliennes continueront à maltraiter des citoyens français lorsqu’ils débarquent à Tel-Aviv. Pourquoi ne le feraient-elles pas vu qu’elles jouissent d’une totale impunité et que la proposition faite par les chefs de missions diplomatiques de l’UE à Jérusalem et Ramallah de refuser l’entrée dans le territoire européen aux colons violents identifiés reste à ce jour sans suite.
Seule une attitude de fermeté sera à même de poser des limites à des autorités israéliennes qui sont dans la toute puissance par rapport aux règles des relations entre États.
Dans l’attente de connaître votre position, je vous prie de croire, Monsieur le Ministre en ma profonde considération.
Taoufiq Tahani
Président de l’Association
France Palestine Solidarité