MISE AU POINT

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Un communiqué récemment publié par l’UJFP, intitulé « Réflexion sur l’usage du terme Shoah et la lutte contre l’antisémitisme dans le discours officiel » a été retiré, car très maladroitement formulé et ne relevant pas des positions tenues par l’UJFP. Le texte tel qu’il est écrit pourrait faire croire que le génocide est nié ce qui ne correspond évidemment pas à tout ce que nous défendons. Ceux qui nous connaissent, nous lisent et nous pratiquent savent que tous les membres de l’UJFP ont combattu et combattent de toutes leurs forces le négationnisme.

Les nazis ont programmé et engagé la « solution finale » c’est-à-dire l’élimination de tous les Juifs. Comme association juive, nous en portons la mémoire.

Nous regrettons la publication de ce texte qui est passé par erreur au travers de notre procédure de relecture et de mise en ligne habituelle. Il a suscité beaucoup de réactions négatives, certaines auxquelles nous sommes sensibles et qui sont partagées par les militants de l’UJFP et nos amis. Nous nous en excusons auprès d’eux.

D’autres procèdent d’une lecture malveillante et de la chasse aux sorcières à laquelle notre camp est habitué. Les thèmes abordés dans ce communiqué, notamment autour du terme Shoah, feront l’objet de publications à venir.

Nous nous étonnons néanmoins que l’historien de la Shoah que citait ce texte, semble ne reconnaître aucune filiation européenne à la destruction des Juifs, ou au judéocide (ce sont des termes que nous assumons). Nous le renvoyons à la lecture d’Enzo Traverso1 et Arno J. Mayer 2. Comme nous étonnent tous ceux qui ignorent les quarante ans d’âge du débat autour de l’emploi du terme Shoah, terme qui fut soigneusement évité par Raul Hilberg lui-même.

Quel que soit le nom qu’on lui donne, la destruction des Juifs d’Europe présente évidemment des caractères particuliers, propres à son contexte et à son histoire, sur lesquels se fonde son unicité. Mais il n’en demeure pas moins que sa généalogie est européenne. Il faut le rappeler, le système concentrationnaire est antérieur au nazisme. En Namibie, par exemple, colonisée par l’Allemagne et d’ailleurs un temps administrée par le père de Goering, des camps furent construits pour interner les Héréros3 en vue de mater leur rébellion. Puis, leur lutte contre l’exploitation coloniale ne faiblissant pas, une politique d’extermination systématique fut mise en œuvre, au point d’aboutir au massacre de 80% de cette population. Le rappeler n’est ni révisionniste ni négationniste. Cela permet, au contraire, de retracer la trajectoire sur laquelle s’inscrit la réalisation du judéocide et d’en comprendre les ressorts sous-jacents pour s’assurer que le « plus jamais ça » ne se reproduise plus pour qui que ce soit.

La destruction des Juifs ne s’inscrit donc pas hors de l’histoire, mais au sein de rapports sociaux d’oppression et d’exploitation encore ancrés dans notre temps. L’Allemagne nazie a été vaincue en 1945, mais les idées qui lui ont permis de s’établir et de dominer n’ont pas disparu. Le risque demeure.

L’Europe forteresse a livré des millions de migrants aux trafics humains et aux violences, à la détention arbitraire en camp de rétention et a transformé la Méditerranée en cimetière. Des populations entières sont aujourd’hui systématiquement déshumanisées par l’impérialisme et le suprémacisme et cela nous alarme.

Les Palestiniens, dont la situation nous interpelle en tant que Juifs comme en tant que militants anticolonialistes, subissent une politique d’expropriation, de nettoyage ethnique, et d’apartheid, depuis plus de 70 ans, par un État qui a élevé le suprémacisme juif au rang de loi constitutionnelle et qui n’hésite pas à s’approprier et instrumentaliser la mémoire du génocide juif.

Partout dans le monde, nous assistons à un effrayant tournant autoritaire des États qui parviennent à arracher le consentement de larges secteurs de leurs populations. Les politiques d’exclusion se multiplient et alimentent une violence terroriste et une violence fasciste qui ont considérablement augmenté ces dernières années.

Que faire de la Shoah lorsque l’on milite pour l’émancipation collective ? Nous avons pris le parti d’en faire une mémoire ardente pour la lutte.

Sur le fond, la mémoire du génocide subi par les Juifs d’Europe – et nombre d’entre nous en garde un traumatisme familial profond –, nous en faisons une responsabilité permanente : témoigner de notre expérience historique devant chaque processus de déshumanisation et toutes les politiques de stigmatisation, d’expulsions et de séquestrations.

Le sort des six millions de Juifs assassinés par les Nazis doit permettre d’appréhender et de dénoncer le sort de celles et ceux qui meurent aujourd’hui de ces politiques, en Méditerranée et ailleurs.

La Coordination nationale de l’UJFP, le 5 mai 2021


Note-s
  1. Enzo Traverso, La violence nazie : une généalogie européenne, La Fabrique, 2002.[]
  2. Arno J Mayer, La « Solution finale » dans l’histoire, La Découverte, 2002.[]
  3. Voir Avraham Burg, Vaincre Hitler. Pour un judaïsme plus humaniste et universaliste, Fayard, 2008.[]