Milieu LGBTI, pinkwashing, mises au point

Dans une perspective intersectionnelle, différents systèmes d’oppressions peuvent intervenir lors d’un conflit, tel que l’antisémitisme. Cela dit, une oppression brandie comme un étendard, jusqu’à être agitée abusivement peut provoquer un effet de miroir grossissant, au risque de faire l’impasse sur les autres facteurs en jeu. Qui dit système dit différentes variables en interaction.

Quand Mélenchon en 2013 émet une critique sur la gestion libérale de Moscovici en pleine crise de la dette souveraine, « Moscovici parle la langue de la finance internationale »1 la pluie d’accusations d’antisémitisme qui s’en suit passe outre le contexte politique. On notera en comparaison que personne n’a dénoncé de trope antisémite quand Bayrou, notre premier ministre, dénonce, derrière la candidature de Macron en 2017, « des grands intérêts financiers » qui souhaitent « avoir le pouvoir politique »…

Il y a donc des contextes qui motivent l’accusation d’antisémitisme, en particulier depuis le 7 octobre : les personnalités de gauche soutenant la Palestine. Il faut dire que, contrairement à d’autres oppressions comme l’islamophobie2, qui pourtant explose suivant le dernier sondage sur le racisme, l’accusation d’antisémitisme provoque des réactions très remarquées des médias et des politiques, pouvant engager censure, exclusion, harcèlement.

Le milieu LGBTQI+3 n’échappe pas à la règle. Le festival parisien Chéris Chéris s’est ainsi vu suspendre ses subventions suite à l’accusation de Julia Layani, sans même que les autres préposés de l’affaire n’aient été entendus. Or, si on s’y penche, c’est à partir d’une expression (« sioniste d’extrême droite ») rapporté par quelqu’un qu’elle ne connait pas et qui ne fait pas partie des signataires de la tribune que J. Layani va décréter le caractère antisémite de l’affaire qui sera repris partout. Expression qui, rappelons-le, renvoie à une opinion politique, d’autant plus signifiante depuis le 7 octobre. On comprend la polémique autour de Julia Layani comme une différence d’analyse politique, avec une organisation qui a pris la parole pour dénoncer le génocide des Palestinien.ne.s parmi d’autres « atrocités du monde ». L’accusation d’antisémitisme tombe là encore comme un couperet lors de désaccords profondément politiques. Une parade qui atteint son but, la ministre de la Culture reprenant sans ambages l’accusation, « une atteinte grave aux valeurs de notre République ». Est-ce à croire que le soutien à la politique israélienne n’est pas « une atteinte grave aux valeurs de notre République » ?

Comme dans de nombreux contextes, le milieu LGBTI a été le théâtre de divisions sur la question de la solidarité à la Palestine. Des attaques dénoncées comme antisémites- parmi d’autres misogynes, voire putophobe- à Act Up Paris devraient-elles empêcher d’échanger sur le sujet ? L’arrêt des réunions hebdomadaires a rendu difficile toute prise de position. Il faut croire que c’est bien la critique d’Israël qui est en jeu : un an plus tard, il n’a toujours pas été possible de se positionner sur le génocide à Gaza ; au contraire de leurs voisins, Act Up London ou Act Up New York…  Les UEEHs4, qui ont refusé de s’organiser avec les JJR sur les éditions 2024, ont également été accusées d’antisémitisme

La critique du sionisme, pour Jonas Pardo de Golem, est effectivement assimilée à de l’antisémitisme. Il y a pourtant bien des Juif.ves et des Israélien.nes qui sont antisionistes : il est sinon légitime, essentiel de dénoncer la politique coloniale sioniste. Et il va de soi que les accusations d’antisémitisme qui visent à faire taire les soutiens à la Palestine nuisent gravement à la lutte contre l’antisémitisme. Parmi les griefs dénoncés, Jonas Pardo met en avant comment les Juif.ves sont sommé.e.s de se positionner sur la politique israélienne depuis le 7 octobre. « De la même manière qu’il n’y a pas de raison que les musulmans s’excusent des attentats islamistes, je ne vois pas pourquoi les juifs devraient être responsables des atrocités commises à Gaza » : s’agit-il là d’une oppression antisémite ? Opposons à cette expérience (en tant que personne juive antisioniste, je ne peux que regretter que nous ne soyons pas plus nombreux.ses à se prononcer) une anecdote : à la suite du massacre du 7 octobre, un habitant d’origine maghrébine va toquer à la porte de sa voisine d’immeuble. Celle-ci est juive et il vient s’enquérir de savoir comment elle va, plus encore il se sent très mal suite à ce qui vient de se passer et se désolidarise totalement de ces actes ignobles. Je n’ai pas entendu que pendant les (plus de) 365 jours qui ont suivi, des personnes juives françaises soient allées au devant de leurs voisin.e.s maghrébines/ musulmanes. Une différence fondamentale entre les attentats islamistes tels que celui de Charlie Hebdo et les crimes de guerre de l’État d’Israël, c’est que les premiers sont dénoncés par notre gouvernement et que les musulmans sont régulièrement suspectés d’être des terroristes par les médias et notre gouvernement. Dans le second cas, les crimes de guerre sont occultés, voire soutenus. Les personnes juives ne vivent ainsi pas la même pression face à l’intégration que les personnes musulmanes. Sans dénier une motivation possiblement antisémite (demande t-on à chaque français.e de se positionner sur la politique post coloniale de la France ? Le faudrait-il ? Mayotte, département français, la Kanaky- intérêts coloniaux, impérialistes), il faut reconnaître les spécificités de chaque oppression. James Leperlier, président de l’Inter-LGBT qui organise notamment la Marche des fiertés en Île-de-France, assure quant à lui qu’aucune occurrence antisémite ne lui a été remontée ces derniers temps par les 40 associations de la fédération. Il est nécessaire de remettre la nature des oppressions (verbale, physique, agression, crime, génocide) à leur place sur une échelle d’urgence et de gravité. Les organisations LGBTI dénoncent la récupération dont elles font l’objet via la politique de pinkwashing

Au-delà de ces polémiques, dont les médias ainsi que des collectifs, Golem comme les JJR raffolent et entretiennent volontiers faisant régner la confusion, il s’agit de resituer quelques points. En France, de nombreuses marches féministes ont eu lieu, à commencer par Paris. Lors de l’Eurovision 2024, la participation de Eden Golan a suscité de nombreuses réactions, appelant au boycott. C’est bien en tant que représentante de l’État d’Israël que la campagne BDS appelle à boycotter cette personnalité israélienne, étant promue par le ministère de la culture via l’ambassade d’Israël5. De nombreuses organisations LGBTI ont appelé à boycotter Eden Golan. Sa chanson, retoquée par l’Eurovision, a sans surprise été écrite en rapport au 7 octobre. Tout comme aux JOs, où les clips israéliens mettaient en valeur les images sportives victorieuses en lien avec les actions de l’armée, validant une image conquérante, impérialiste et viriliste. L’État d’Israël, rappelons-le, a investi des millions dans cette politique. Brand Israel, en 2006, est un programme de marketing : cette marque vise à promouvoir l’image d’Israël via la culture, le sport et notamment les luttes LGBTI. Un ministère des affaires stratégiques est créé pour mener à bien cette propagande qui vient redorer l’image du gouvernement israélien à l’international. 

Les LGBTI ne sont pas dupes d’une politique coloniale qui n’a cure de leur cause. A commencer en Palestine, les LGBTI cumulent les oppressions, lgbtphobe et coloniale. à Gaza sous blocus, les militaires israéliens, en toute hypocrisie, faisaient chanter les gays pour obtenir des informations sous menace de les dénoncer à leurs proches 6. Aujourd’hui, ils ne vivent aucune libération sous les bombes de l’occupant. Sans compter que dans une société d’extrême droite et ultra orthodoxe qui se radicalise, le gouvernement israélien est ouvertement homophobe. Celui qui sera présenté début 2025 au Parlement fait craindre le pire à venir. Pour rappel, Smotrich se déclare « fièrement homophobe ». « en 2006, il organise une anti-Gay Pride dépeignant les homosexuels sous les traits de chèvres et d’ânes s’adonnant à des « actes déviants ». Mais Israël ne se gène pas pour inviter les gays du monde entier à festoyer à Tel Aviv. Au-delà du tourisme, cela redore son image à l’international. En 2011, la loi légalise les comités d’admission pour candidats à la terre et unités constructibles ; ce qui permet de filtrer les « comportements déviants ».« Le logement est aussi un terreau fertile pour harceler les LGBT. Le rabbin Yaakov Ariel déconseille à ses ouailles de louer des appartements aux couples LGBT qui ont l’intention « d’y vivre dans le péché ». Certains contrats de location spécifient que les appartements ne peuvent être loués « aux couples de même sexe. » 6. Nous n’avons pas affaire ici à un état de droit mais à l’État-nation des Juifs. »

La lutte contre l’antisémitisme, le sexisme et les LGBT phobies sont instrumentalisés au profit de la domination coloniale. Les causes sont divisées ; les opprimé.e.s sont opposé.e.s. Le chantage à l’antisémitisme fait le jeu de la politique génocidaire de l’Etat d’Israël. Dans une analyse systémique7 et une perspective décoloniale, il y a urgence à dénoncer la politique israélienne, en solidarité avec les colonisé.e.s, les Palestinien.ne.s.


Note-s
  1. à 27mn[]
  2. totalement occultée par les médias[]
  3. lgbtqi+ : Lesbienne, Gay, Bi, Trans, Queer, Intersexe. + : autre identités telles que asexuel, pansexuel. Pour la suite de l’article, nous choisissons de garder la dénomination lgbti[]
  4. Université d’Été Euroméditerranéenne des Homosexualités[]
  5. à 26mn[]
  6. Mirage gay à Tel Aviv de Jean Stern[][]
  7. Approche systémique : une illustration, « L’universel lave-t-il plus blanc ? » : « Race », racisme et système de privilèges[]