Michel est mort. Vendredi matin

Michel est mort.
Vendredi matin il y avait un message de Colette sur mon portable quand je suis sorti du métro.
Elle me demandait de l’appeler, elle pleurait. Moi aussi après.
Je ne connaissais pas Michel depuis longtemps. C’est un ami tard venu. Pourtant j’ai l’impression de l’avoir toujours connu.

Le professeur Barak parla. Il se dressa avec le porte-voix et il parla de ce qu’Israël faisait aux Palestiniens. Il parla de justice et de paix, d’occupation et d’occupés. Il parla aussi de l’UJFP qu’il venait de créer sur Aix Marseille avec Mireille Delamare et Annie Cyngiser. A la fin de la manif je suis allé le voir. Nous sommes convenus d’une réunion. Il m’a fait adhérer à l’UJFP.

Michel fut longtemps le porte parole de l’UJFP sur Marseille et sa figure emblématique pendant près de deux ans. Il était ferme et sérieux. Il était parfois si heureux, comme quand il marcha toute une manifestation la main dans la main avec Soheib Bencheikh, le mufti de Marseille. Il avait une vie de militant, pour l’indépendance algérienne, pour les libertés au Maroc. Il avait pris des risques et ses compagnons de lutte le tenait en haute estime. Par lui j’ai connu Henri Alleg ce héros. Michel était, fut toute sa vie un communiste, mais il ne céda pas à l’esprit de parti et transgressa la régle du groupe en faisant connaître publiquement que quelque chose était failli dans le parti.
Cette indépendance intransigeante lui fit quitter l’UJFP, mais sans rompre avec ses amis, quand il pensa qu’il ne pouvait rester dans une association qui faisait la part belle à un Tariq Raamadan que ses amis algériens traitaient de fasciste. Il ne pouvait faire de concession sur l’émancipation. Je partageais et je partage toujours ses idées, mais je pensais et je pense toujours qu’il fallait continuer à les défendre de l’intérieur.
Michel était courageux et épris de justice et de liberté. Son corps le faisait souffrir. Il avait mal dans le cou, dans les jambes. Il avait du mal à marcher. Il ne tenait pas en place.
Au cours de ces années nous sommes devenus amis. Michel avait cette rare qualité de rendre les relations d’homme à homme faciles. Il n’y avait ni aigreur, ni rivalité, ni brutalité mais l’ensoleillement de son sourire.
Après que nous nous soyons séparés, ma femme et moi, et que j’étais seul, tout comme elle, il est arrivé à Michel de me dire qu’il connaissait une très jolie femme, et de me donner son adresse qui était évidemment celle que j’avais quittée.
La disparition de ses vieux amis, comme Alain Teste, était un drame épouvantable. Mais la peur de la fin disparaissait sous la joie de vivre, le plaisir de vivre. Il avait le goût des fleurs, du vin, de la chair et de la beauté des femmes. Il plaisait aux femmes, il parlait facilement aux inconnues qui ne le prenaient jamais mal, parce qu’il avait cette grace quasi enfantine, cette immédiateté sans arrière pensée, peut-être un privilège de l’âge, qui leur permettaient de se laisser tout simplement admirer.
Michel apportait des fleurs à la patronne quand il allait dans un restaurant qu’il connaissait. Il mangeait de façon extraordinaire, avec un appétit un peu feint, il avalait quelques bouchées puis s’arrêtait, parfois sans y revenir.
Il avait de la poésie et des chansons en tête. Il aimait Aragon, les chansons de Ferré. Il aimait les spectacles, le cinéma. Et surtout il aimait le cirque. J’admirais sa capacité au plaisir et à dire son plaisir, alors que je savais par ailleurs qu’il pouvait passer par des moments de dépression et de détresse horribles. Mais le soleil chez lui l’emportait sur la nuit.
Michel était un juif. Ni religieux, ni culturellement juif. Ni sioniste bien sûr. Il était pourtant juif pour moi, remarquablement juif bessarabien. Pas parce qu’il avait été enfant caché, pas parce qu’il portait encore en lui cette terreur à vif. Il était juif par le style qu’il donnait, un peu décalé aux choses de la vie, une claudication, une juivication, qui était comme un arbre sur lequel sont greffés des fruits culturels venus d’ailleurs, des encyclopédistes, des matérialistes, des révolutionnaires. Oui il était entteté.Dois-je dire, il m’en voudrait peut-être d’oublier de le faire, qu’il pouvait parfois se conduire comme
un parfait sagouin comme quand il voulait emporter les livres de ma bibliothèque sous prétexte que j’étais analyste. Mais cela était peu, parce que l’amitié permet une bonne distance, ni proche ni lointaine, pour apprécier un homme.
Ainsi finit mon brataplace. Ceci est une plaisanterie qu’il aurait sans doute appréciée. Brataplace est un mot de mon invention, enfin presque. Je le sors du Chant des Partisans. Ami si tu meurs un ami
sort de longs brataplaces. J’espère que le mien n’aura pas été trop long.
Marseille, le 9 décembre 2008
J.Jedwab