Martin Luther King – Lettre au président Macron sur le racisme en France

Alors que l’Amérique célèbre le 57e anniversaire de la marche de Washington dans un contexte de tensions sociales exacerbées et qu’à Bordeaux une marche contre le racisme et pour l’égalité se tient ce 28 août, une interpellation du président français immobiliste sur les questions de racisme.

Monsieur le Président de la République,

Le 57e anniversaire de la Marche de Washington va donc se dérouler ce 28 août sans que vous ne joigniez votre voix à celle d’Angela Merkel et à celle de toutes celles et ceux qui comprennent que ce qui se joue dans les relations raciales aux USA interroge le monde et constitue un combat universel, à l’image du discours historique que le révérend Martin Luther King tiendra ce jour-là.

Comme pour George Floyd, dont vous avez jusque-là soigneusement omis le nom, le meurtre public de deux militants de Black Lives Matter à la suite du martyre que subit Jacob Blake, criblé de balles et définitivement handicapé par la violence d’un policier blanc américain, survenant quelques jours avant ce 28 août 2020, ne bousculeront pas votre conscience.

Qu’un président français de votre génération perpétue avec autant d’automacité et d’inertie des siècles de silence et d’inaction sur l’oppression multiséculaire dont sont victimes les Noirs et leurs descendants en Europe ne peut que heurter les citoyens français mais aussi les observateurs et admirateurs d’un État qui a su aussi éclairer la voie de la fraternité entre les hommes.

C’est que cet aveuglement français sur les questions raciales puise dans un déni qui remonte à l’histoire de la République et à la manière avec laquelle nous avons décidé de mettre entre parenthèses plus de trois siècles d’histoire des crimes contre l’humanité que furent la traite des noirs et l’esclavage. L’idéologie qui les a justifiés et organisés, le racisme, dont le laboratoire fut, autant la plantation américaine, que les ruelles de Bordeaux, Nantes et La Rochelle où de jeunes Noirs ont été déportés et mis en esclavage sur le sol même d’un pays qui interdisait l’esclavage depuis l’Édit royal de 1315.

Les discriminations raciales que ces jeunes hommes et femmes ont subies face aux règlementations de la Police des Noirs interdisant par exemple les mariages, obligeant au port d’une cartouche et emprisonnant dans les « dépôts de noirs » de la façade atlantique tout contrevenant, vont laisser des marques indélébiles dans la sédimentation des consciences citoyennes mais plus encore dans les méthodes d’accueil et de gestion des populations descendantes de ces peuples que notre appétit capitaliste va coloniser et racialiser par la suite pour finir par les river dans ces quartiers à la périphérie de nos villes que nous appelons aujourd’hui « banlieues ».

Pour paraphraser le discours de Martin Luther King, de ce 28 aout 1963, « cent ans ont passé et le Noir n’est pas encore libre. Cent ans ont passé et l’existence du Noir est toujours tristement entravée par les liens de la ségrégation, les chaînes de la discrimination ; cent ans ont passé et le Noir vit encore sur l’île solitaire de la pauvreté, dans un vaste océan de prospérité matérielle ; cent ans ont passé et le Noir languit toujours dans les marches de la société américaine et se trouve en exil dans son propre pays. »

Pourtant cette tragédie que dénonçait Martin Luther King a traversé certaines consciences.

C’est le Défenseur des droits de l’Etat Français, Jacques Toubon, que nul ne peut soupçonner d’activisme, qui établissait une « discrimination systémique liée aux origines », à l’issue d’une enquête et d’un rapport publié le 22 juin dernier.

« Les personnes d’origine étrangère ou perçues comme telles sont désavantagées dans l’accès à l’emploi ou au logement…plus exposées au chômage, à la précarité, au mal logement, aux contrôles policiers, à un état de santé dégradé et aux inégalités scolaires ». Jacques Toubon, Défenseur des droits, 2014-2020

Ce rapport vous l’avez complètement balayé dans votre discours du 14 juin 2020.

Alors que George Floyd n’était pas encore inhumé et que, dès le 4 juin, Angela Merkel se mettait à la hauteur des enjeux de civilisation que pose la question des discriminations raciales et déclarait que « Le meurtre de George Floyd est une chose terrible. Le racisme est une chose terrible. La société américaine est très polarisée…Le racisme a toujours existé. Et malheureusement, c’est aussi le cas ici en Allemagne », vous avez choisi la posture défensive de lutte contre « le communautarisme », cette lubie intellectuelle très française que l’extrême droite a réussi à inoculer dans l’ADN de trop nombreux hommes politiques.

Pendant que de Londres à Berlin et de Bordeaux à Paris, des dizaines de milliers de personnes, dans une mobilisation interraciale inédite, exprimaient leur solidarité à George Floyd, déboulonnaient les statues de criminels trop longtemps honorés, exigeaient la fin des discriminations raciales mais aussi et surtout la justice sociale, vous décidiez ce jour-là de parler de « déboulonnage de statues » et de « séparatiste ».

Monsieur le président,

A-t-on seulement vu une demande de se séparer parmi ces milliers de manifestants qui continuent de scander le Black Lives Matter ?

A-t-on seulement vu les jeunes, issus de l’histoire coloniale et de l’immigration, choisir la relégation imposée à leurs parents dans les tours inhumaines où l’Etat français les a, lui-même, « communautarisés » depuis près d’un siècle reproduisant des camps de concentration et de confinement ?

Diriez-vous que les « békés », qui vivent aux Antilles en communauté fermée et endogène, pratiquent un « communautarisme » ou un « séparatisme » ?

Avez-vous entendu les rares et courageux témoignages de policiers indiquant « la communautarisation » de la police française et les discriminations liées aux origines dans les méthodes d’interpellation et d’interrogation ?

Pourquoi, depuis vingt-ans, a-t-on progressé sur les discriminations liées au handicap, à l’orientation sexuelle, à l’égalité femmes-hommes et pas sur celles liées aux origines et à la couleur de la peau ?

Comment est-on aussi aveugle aux révélations des inégalités raciales que le récent confinement lié au Covid19 a exacerbé parmi les soignant-e-s et les patient-e-s issu-e-s de ces groupes sociaux ?

Monsieur le président,

Ce n’est donc pas à une analogie simpliste avec la réalité américaine que nous appelons en ce 57e anniversaire de la marche de Washington qui permettra l’édiction des lois civiques les plus efficaces et importantes du système juridique américain : le Civil Rights Act de 1964, qui déclare illégale la discrimination sur la race, la couleur, la religion ou le sexe et le – Voting Rights Act de 1965 interdiction des discriminations raciales dans le vote.

Si la fracture raciale est plus profonde aux USA qu’en France, que le libéralisme y est aussi plus violent et que la culture de la propriété et de l’usage des armes à feu y électrise et y criminalise les rapports sociaux, il reste que l’immobilisme que vous semblez incarner aujourd’hui ne peut qu’aggraver le malaise social et racial français.

En effet, l’anniversaire du rêve de Martin Luther King ne doit pas exclusivement diriger nos regards vers l’Amérique. Le combat contre le racisme est un combat universel. Ne laissons personne nous tromper sur ce point. Son histoire, sa géographie et ses conséquences sont insuffisamment connues car trop « moralisées ». C’est une question de pouvoir surtout. Et, plus qu’ailleurs, les symboles comptent. Ils sont la marque de notre génération. Ils sont l’espace de « l’en-commun » où nous pouvons négocier un partage et une conscience. Une vigilance.

Tournons nos regards sur nous, partout où nous sommes, ensemble, de toutes les couleurs, exigeons des mesures politiques plus vigoureuses.

Martin Luther King, comme le mouvement des droits civiques, n’avait pas pour horizon les droits civiques. Le révérend voulait supprimer la superstructure. Il entendait que l’égalité soit aussi sociale, que les richesses soient redistribuées, que les Noirs, et les groupes violentés par l’histoire capitaliste, ne soient plus de citoyens de second rang, condamnés définitivement à reproduire et à revivre les mêmes violences du chômage, des quartiers pauvres, du harcèlement policier, des salaires indignes et des écoles pourries.

Karfa Sira DialloVoir en ligne : l’article sur le blog Médiapart de Karfa Siar Diallo