Macron et le Juif Süss ?

Premier jour: rappel des épisodes précédents

« Une affiche nazie offre un exemple parlant de cette façon de voir. Elle montre l’Allemagne — symbolisée par un ouvrier fort et honnête — menacée à l’Ouest par un John Bull gras et ploutocratique et à l’Est par un commissaire bolchevique brutal et barbare. Cependant, ces deux forces ennemies ne sont que des marionnettes. Surplombant le globe et tenant les fils des marionnettes dans ses mains, le Juif épie (…). L’antisémitisme moderne se caractérise par le fait qu’il considère les juifs comme la force secrète cachée derrière ces frères ennemis « apparents » que sont le capitalisme ploutocratique et le socialisme » écrivait Moishe Postone en 1986 à propos des affiches de propagande des années 1930-40…

90 ans plus tard le vieux fantasme du Juif riche et puissant qui manipule la banque, l’industrie (les « Big-Pharma » !) et bien sûr contrôle le pouvoir est toujours d’actualité. Herpès qui réapparait à la moindre difficulté comme en ce moment ou récemment pendant la révolte populaire des Gilets jaunes: on a pu lire ici et là des slogans clairement antisémites que les médias ont amplement mis en avant pour discréditer ce mouvement. Utiliser quelques exemples inacceptables pour jeter l’opprobre sur un mouvement, une bonne vieille méthode qui évite de les écouter et – mieux – étouffer leurs cris de colère…

Ainsi, fin 2019, on a pu voir une affiche reprenant tous ces clichés pour représenter notre président en marionnette. Celui qui tire les ficelles se cache mais on voit sa manche (sur laquelle est écrit Rothschild); il ne peut pas non plus cacher son grand nez « sémite » qui dépasse (je fais allusion à la description antisémite alors qu’elle n’a aucune réalité anatomique, d’où les guillemets). Et pour compléter l’anachronisme, notre président porte un brassard rouge orné d’une faucille et d’un marteau. Exemple extrême et tellement absurde ! Je jette l’affiche mais je garde pouvoir, argent, manipulation et « nez sémite ».

Alors, quand un camarade m’a montré la couverture du dernier Siné Mensuel, je suis tombé de haut… Plus que ça : des certitudes s’écroulaient !

Cette représentation d’E. Macron m’a immédiatement choqué : nez « sémite », dent carnassière, doigts crochus et bagouse en évidence pour bien montrer qu’on a du fric … Sans oublier la couronne, symbole de pouvoir et le « hin hin » lourd de menaces (celles du méchant dans les films de série B): tous les codes de l’iconographie antisémite traditionnelle (ceux qui auraient vécu sur une autre planète ces deux derniers siècles peuvent consulter l’article consacré à l’antisémitisme dans Wikipédia ). Mais, contrairement à l’affiche, notre président n’est plus manipulé : c’est lui qui commande, c’est donc pour cela qu’il est caricaturé en Juif.

L’ambiguïté de l’affiche de 2019, un Macron sournois mais manipulé quand même, a cédé la place à un Juif, le Juif tel que les antisémites se complaisent à le décrire : sale gueule si reconnaissable et qui transpire son caractère : chafouin, âpre au gain, redoutable car du côté des importants. Macron est devenu le marionnettiste, une canaille…

Et en plus, comme un vrai Juif, il transforme le « quoi qu’il en coûte » présidentiel en « quoi qu’il vous en coûte » ! Ce n’est plus cet argent virtuel dans lequel notre président piochait les milliards qui ont permis au pays de tenir pendant cette pandémie mais notre argent à nous, on n’est plus dans le virtuel, on est dans la vision antisémite de base : le Juif puissant, fourbe et insatiable qui vient vous prendre votre argent ! Quel progrès par rapport à l’affiche ridicule de 2019 !

(Petite parenthèse :  » les milliards qui ont permis au pays de tenir », c’est évidemment la vision que le gouvernement présente au bon peuple. Certains Français ont tenu plus aisément que d’autre en bénéficiant desdits milliards pendant que, dans le même temps, un million d’autres Français passait sous le seuil de pauvreté).

Qu’est-ce qui a pris Jean Solé – un artiste reconnu par ses pairs ; plus de 50 ans de dessin, ami de Gotlib avec qui il a fondé Fluide glacial ? Quelqu’un qui m’a fait rire avec les aventures de Super Dupont, parodie du Français à béret, chauvin et raciste… Impensable que Solé ait pu tremper ses pinceaux dans une telle fange !

Et en plus il s’agit de la couverture du journal créé par Siné après avoir été chassé d’un Charlie Hebdo en déliquescence… soi-disant pour antisémitisme (Charlie sera d’ailleurs condamné à verser 90 000€ à Siné pour le préjudice causé). Siné Mensuel, le journal de mes héros : Christophe Alévêque, Isabelle Alonso, Delfeil de Ton, François Morel, Arthur Nesnidal, Patrick Pelloux, Yannis Youlountas Serge Quadruppani, Charline Vanhoenacker et tant d’autres dont surtout Michel Warschawski.

Choqué, doublement choqué j’ai immédiatement écrit à Siné Mensuel pour dire ma stupeur et mon indignation. J’ai aussi téléphoné au journal, y laissant un message irrité.

Deuxième journée: la réponse

Un camarade me fait suivre un article où on retrouve tous les charognards habituels s’empressant à déchiqueter le mensuel blessé… Un autre m’envoie le blog de Castagne qui me force à réfléchir sur mon interprétation du dessin : Solé aurait-il fait un dessin « antisémite » à l’insu de son plein gré ?

La réponse me viendra de la directrice de Siné Mensuel qui se donne la peine de répondre à mes interpellations elle-même. L’histoire est simple : tout est parti de la décision du gouvernement a de poursuivre sa réforme de l’assurance chômage (traduire: des nouvelles mesures qui vont entraîner la baisse de 20% des allocations de la moitié des chômeurs). C’est une mesure injuste, choquante qui va ajouter encore plus de nouveaux pauvres. C’est certainement la première de celles destinées à rembourser les milliards distribués si généreusement aux entreprises, aux petits patrons…

Siné Mensuel a donc voulu dénoncer ce nouveau coup du « président des riches » en modifiant son « quoi qu’il en coûte » en « quoi qu’il vous en coûte ! » et en l’illustrant d’un Macron en roi de France : couronne, bagouse, nez bourbon… (Merci Siné Mensuel de ce rappel amusant: les rois de la dernière dynastie, les Bourbon, avaient un nez « sémite » !)

Elle m’a aussi expliqué la difficulté technique à caricaturer Emmanuel Macron (contrairement à ses prédécesseurs) : en dehors de son nez pointu, de ses dents et de son front, le dessinateur ne dispose d’aucun élément caractéristique qui pourrait être amplifié.

C’est à cette tâche que s’est attaqué Solé, caricaturer un Macron muni de quelques attributs royaux. Et pas autre chose. « On n’a vu que l’intention de Solé, pas pensé un seul instant à une interprétation… On n’a pas vu venir ce qu’il allait déclencher » a ajouté celle qui dirige Siné Mensuel.

Ce que ce dessin a déclenché c’est « une attaque politique franchement dégueulasse » a expliqué le journal sur sa page Facebook. Siné Mensuel obligé de se justifier !

Donc notre président n’était pas devenu le Juif Süss ?

Il y avait un Macron royal là où je ne vois qu’une une caricature antisémite… Le doute au sujet de Siné Mensuel et de Solé n’est pas permis. Le doute n’était pas permis dès le début ! D’ailleurs un des premiers soutiens au journal et à son dessinateur est venu de Jérusalem, car Michel Warschawski connait intimement ceux qui font ce mensuel.

C’est donc ma sensibilité à toute expression du racisme (de tous les racismes, pas du seul antisémitisme) qui m’aurait fait douter ?

C’est sans doute la première leçon à retenir : faire confiance à ses amis. Le dessin était ambigu, « merdique », pour reprendre l’expression d’un camarade mais il n’y a pas eu d’acte antisémite, ni volontaire, ni inconscient. C’est ma lecture du dessin qui est responsable de cette méprise ! Seule la horde qui guette la moindre occasion d’abattre un journal libre ne reconnaitra jamais sa méprise. Forcément !

Deuxième leçon : garder les yeux ouverts (et vérifier) car il ne faut laisser passer aucune parole, aucun acte raciste quel qu’il soit sans réagir ! Ne rien lâcher. Sans cela c’est quoi la prochaine étape ?

Michel Ouaknine