J’ai eu l’honneur de connaître Alban Liechti et de l’avoir croisé à plusieurs reprises dans des activités antimilitaristes, notamment contre l’occupation israélienne du Territoire palestinien occupé.
Alban Liechti n’avait que 17 ans en 1952 lorsqu’il a manifesté contre la présence du général Ridgway, un officier américain en visite officiel à Paris qui s’est illustré dans la guerre de Corée, repoussant les forces communistes hors de Séoul. En effet, l’adolescent qu’était Alban était déjà membre de l’Union des jeunesses républicaines de France (UJRF), l’ancêtre des Jeunesses Communistes. Quand la guerre d’indépendance d’Algérie a éclaté en 1956, le jeune homme, a reçu sa convocation pour intégrer l’armée française et aller combattre en Algérie. En réponse il a pris sa plume pour écrire au Président de la République, René Coty, afin de lui dire « Je ne peux pas prendre les armes contre le peuple algérien en lutte pour son indépendance ». Il est le tout premier appelé français à refuser de faire la guerre dans cette ancienne colonie ; son geste a largement inspiré la célèbre chanson pacifiste de Boris Vian « Monsieur le Président ».
S’en est suivi quatre ans de solitude, incarcéré dans les prisons militaires pour son refus de combattre un peuple qui s’est soulevé contre la domination coloniale française. Alban n’a été officiellement libéré de ses obligations militaires que le 8 mars 1962, soit dix jours avant les Accords d’Evian qui ont mis fin à la guerre d’Algérie. Désormais adhérent du PCF, il a passé le reste de sa vie à militer contre le colonialisme, l’impérialisme et la guerre en général. Le tout en tant qu’ancien objecteur de conscience mais aussi en tant que communiste. Il est resté membre du PCF jusqu’à la fin de ses jours. Alban vient de nous quitter à l’âge de 89 ans.
Le mouvement pacifiste, anticolonialiste et anti-impérialiste doit beaucoup à ce militant infatigable qui a tant donné de sa personne pour s’opposer à la guerre. L’UJFP lui doit aussi beaucoup.
Pendant la 2ème Intifada, le 15 mai 2001, notre association n’avait que quelques dizaines d’adhérents dans ses rangs. Et pourtant nous avons loué une grande salle pour tenir une réunion publique à Paris en soutien aux objecteurs de conscience israéliens qui refusaient de porter les armes contre les civils palestiniens dans le Territoire palestinien occupé. La salle retenue pour cette soirée était bondée car les gens sont venus en grand nombre pour rencontrer l’invité vedette : Alban Liechti, un pionnier du refus, personnage des livres d’histoire, ce soir-là en chair en en os sous leurs yeux. Certes, il avait fait son geste courageux à une autre époque, mais cet homme avait suscité un vif intérêt pour les jeunes venus l’écouter ce jour-là. Après l’allocution d’Alban, nous avons projeté le film israélien « On tire et on pleure ». De nombreux participants ont adhéré à l’UJFP à la fin de la soirée, ce qui a permis à l’association de prendre son essor.
Quelques semaines après cette soirée mémorable, des militants de l’UJFP ont lancé un nouveau collectif, SICO (« Solidaires des Israéliens Contre l’Occupation »). C’était bien Alban Liechti qui était le père spirituel de cette initiative. Nos deux structures, UJFP et SICO, ont organisé tout au long de la 2ème Intifada plusieurs tournées en France avec des Israéliens antisionistes et anticolonialistes, dont de nombreux objecteurs de conscience.
À l’âge de 17 ans, puis de 21 ans, il fallait beaucoup de cran, de solides convictions et un caractère d’acier pour dire « non » à l’état-major comme l’a fait Alban, puis de subir quatre ans derrière les barreaux dans les prisons coloniales françaises en Algérie, puis dans les prisons en métropole. Alban a inspiré une génération de jeunes Français qui ont appris par son exemple à dire « non » à la guerre. L’UJFP, les objecteurs de conscience israéliens et le peuple palestinien doivent beaucoup à Alban pour l’exemple qu’il nous a donné.
Les obsèques d’Alban Liechti auront lieu le 4 septembre à 15h30 au cimetière Le Parc 2, rue Frédéric-Chopin, 78197 Trappes. Ce soir-là l’UJFP organise une réunion publique à Paris avec deux militants juifs américains, membres de Jewish Voice for Peace (Voix Juives pour la Paix). Alban serait content qu’on reprenne le flambeau le jour de ses obsèques, un adieu digne pour un pacifiste de conviction.
Richard Wagman