L’intifada du désespoir : que font les anticolonialistes israéliens ?

Cet article donne le point de vue de Richard Wagman, Président d’honneur de l’UJFP, sur les origines de l’actuelle irruption de violence en Israël et dans les Territoires palestiniens. Le texte fait également part des actions des anticolonialistes israéliens dans ce contexte difficile.

Le monde assiste inquiet à cette nouvelle flambée de violence entre Israéliens et Palestiniens, pendant que le Premier ministre Benyamin Netanyahou explique tranquillement qu’elle provient de la haine contre les Juifs. Tout ce que l’on peut comprendre de telles « explications » est que les dirigeants israéliens ne savent pas ce qui se passe dans leur propre pays, ni dans les territoires occupés. Alors d’où vient cette nouvelle effusion de sang ?

Depuis l’opération « Bordure protectrice » de l’été 2014, qui s’est soldée par plus de 2000 morts palestiniens, Gaza est tombée dans l’oubli quasi général et on a fait croire à une certaine « accalmie » dans ce territoire palestinien enclavé. Pourtant, plus d’un an après le cessez-le-feu, l’aviation israélienne a bombardé Gaza à 725 reprises (29 fois en riposte à des tirs de roquettes palestiniennes et 696 fois sans raison apparente). Ces chiffres proviennent de l’ONU. Aux destructions ainsi occasionnées, s’ajoute la menace faite par Israël de détruire 13 000 maisons et bâtiments palestiniens en Cisjordanie. C’est le nombre d’immeubles sous le coup d’un ordre de démolition, toujours selon les chiffres de l’ONU datant de septembre. La vague de destructions s’étend au territoire israélien même, puisque le 2 juillet 2015 le village bédouin d’Al-Araqib dans le Néguev, a été détruit… pour le 86ème fois ! Voilà quelques éléments qui permettent de comprendre la récente flambée de violence. Mais rassurez-vous, Israël ne se contente pas de détruire. Au contraire, il a aussi des projets de construction. Pour les Palestiniens jetés à la rue ? Non, pour les colons israéliens. Le 29 juillet Netanyahou a ordonné la construction immédiate de 300 logements dans les colonies illégales de Cisjordanie, avec la planification de plus de 500 logements supplémentaires pour des colons israéliens à Jérusalem-Est.

Loin de se contenter de bombarder les Palestiniens, Israël s’en prend aussi à leurs lieux saints. Le 26 juillet, à l’occasion de Tisha Beav, une fête juive qui commémore la destruction du temple de Jérusalem par les Romains en l’an 70 de l’ère chrétienne, l’État hébreu a autorisé des juifs intégristes à s’approcher de la mosquée Al-Aqsa, troisième lieu saint de l’islam et emplacement supposé du temple de Salomon détruit il y a deux millénaires. Comme politique explosive, Israël ne peut pas mieux faire, car la gestion des lieux saints est assurée par les autorités religieuses, seules compétentes pour décider qui peuvent s’y rendre. Des groupes de juifs fanatiques ne cachent pas leur intention de détruire Al-Aqsa pour y reconstruire le temple antique ! Ces juifs messianiques ne furent pas les seuls à défier la communauté musulmane. Plusieurs députés de droite et des ministres israéliens en ont fait autant, paradant sur l’Esplanade des Mosquées sous forte escorte policière. Ensuite, à la faveur d’une autre fête religieuse, Roch Hashana (le nouvel an juif), des fanatiques ont de nouveau investi ce sanctuaire le 14 septembre, provocant des manifestations dans les ruelles de la vieille ville. Les manifestants ont été dispersés à coup de matraques par la police israélienne. Tzipi Hotovely, ministre adjointe (Likoud) des Affaires étrangères, a publiquement réclamé la « liberté de culte » sur l’Esplanade des Mosquées, donnant un blanc seing à ces groupes messianiques juifs, les encourageant dans leurs incursions incendiaires. Qui dit mieux pour attiser la méfiance et la colère des Palestiniens ?

Le 31 juillet 2015, d’autres colons sont passés à l’acte. Ils ont incendié une maison palestinienne en Cisjordanie occupée, brûlant vif un bébé d’un an et causant la mort de ses parents, qui ont succombé plus tard à leurs blessures. Cette fois, Netanyahou a prononcé les mots qui conviennent, dénonçant ce crime comme « un acte de terrorisme ». Sauf qu’à ce jour les auteurs n’ont pas encore été arrêtés, malgré l’efficacité redoutable des services de renseignements israéliens. Un tel crime non élucidé laisse transparaître les véritables intentions du pouvoir à sévir contre le terrorisme, selon qu’il soit de source israélienne ou palestinienne.

Notons que la première agression au couteau n’avait pas eu lieu fin septembre mais fin juillet. Le 30 juillet 2015, une adolescente israélienne a été poignardée à Jérusalem et elle est morte de ses blessures trois jours plus tard. Cette attaque à l’arme blanche ne fut pas commise par un Palestinien mais par un juif ultra orthodoxe qui voulait s’en prendre à la Gay Pride à laquelle sa jeune victime participait. Cinq autres participants à la Gay Pride ont été blessés par le même agresseur. Cette attaque meurtrière à l’arme blanche a provoqué une manifestation d’indignation en Israël.

Avant même les attaques à l’arme blanche, la gauche anticolonialiste israélienne a commencé à se mobiliser au cours de l’été 2015. Outre la manifestation début août contre le meurtre à l’arme blanche de la participante à la Gay Pride, une partie de la gauche israélienne est descendue dans la rue le 29 juin 2015. C’était à l’occasion de l’arraisonnement des bateaux de la Flottille de la Liberté III au large de Gaza par la marine israélienne. Le 1er août, les militants pacifistes ont manifesté après l’assassinat du bébé palestinien Ali Dawabecheh et ses parents. Même pour La Paix Maintenant, une association de la gauche sioniste, « les agressions de la part des colons sont devenues une véritable épidémie » due à « l’indulgence du gouvernement ». Le 8 septembre, la Coalition des Femmes pour la Paix a organisé à Jérusalem une projection du film « The Lab » du cinéaste israélien Yotam Feldman, qui dénonce l’industrie israélienne d’armements. La séance fut suivie d’un débat sur les armes animé par un avocat et une des responsables de cette coalition féministe.

Le 26 septembre 2015, à l’occasion de la fête musulmane de Id al-Adha, un groupe de volontaires de Ta’ayush (association israélienne dont le nom – en langue arabe – signifie « Vivre ensemble ») a apporté son aide à un village palestinien de Cisjordanie. Malgré l’opposition des soldats israéliens, les militants ont réussi à aménager un tronçon de route afin d’améliorer un tant soit peu la vie des villageois. À la fin de la journée, ils ont rendu visite au village, dont les habitants ont érigé une petite stèle à la mémoire d’Ali Dawabecheh, le bébé palestinien brûlé vif quelques semaines auparavant. Loin des caméras de télévision et des préoccupations des grands de ce monde, la multiplication de gestes de ce genre aide à resserrer les liens entre les civils palestiniens et les pacifistes israéliens qui, tous, n’aspirent qu’à une chose : la fin de l’occupation.

Puis, fin septembre 2015, éclata ce que certains médias ont appelé « l’intifada des couteaux ». En date du 12 octobre 2015, le bilan s’élevait à 28 morts : quatre Israéliens et 24 Palestiniens. Les Palestiniens ont également compté dans leur rang plus de 2 000 blessés et plus de 450 arrestations. Côté israélien, une seule personne a été arrêtée pour faits d’armes pendant cette même période.

Et si tout cela a été provoqué par une « haine des Juifs » fantasmée par Netanyahou, ce dernier croit avoir trouvé la recette pour y mettre fin. Le 5 octobre il a donné carte blanche à la police et à l’armée, annonçant qu’il n’impose plus « aucune limite aux activités des forces de sécurité ». De plus, il a incité ses concitoyens à s’armer et à faire feu sur quiconque menace un Juif, ce qui explique les nombreux morts et blessés palestiniens, touchés par des balles en caoutchouc ou des balles réelles.

La Liste Arabe Unie, le troisième groupe parlementaire de la Knesset, a protesté vigoureusement, avec quelques gestes forts de ses élus, parmi lesquels la députée Haneen Zoabi (Balad) ou encore Ayman Odeh (Hadash). Outre l’organisation de nombreuses manifestations, Hadash a joué un rôle de premier plan dans le déroulement d’une grève générale le 13 octobre dans les villes et villages arabes d’Israël. S’il n’est pas surprenant que les Palestiniens de l’intérieur (citoyens d’Israël) montent au créneau pour dénoncer la répression de l’armée, il faut dire que Hadash – le front de masse du Parti communiste israélien – est une formation judéo-arabe. La moitié de ses députés sont juifs, l’autre moitié arabes, et depuis toujours ce parti milite pour la complète égalité des droits des deux communautés.

Il faut dire qu’avec les attaques à l’arme blanche, une vraie psychose s’est emparée du pays, particulièrement à Jérusalem où la tension est à son comble et où tout le monde se méfie de tout le monde. Dans ces conditions ce n’est pas évident d’organiser des actions de protestation contre la police et contre l’armée. Et pourtant, elles ont lieu. Le 9 octobre, Gush Shalom (le Bloc de la Paix) a animé un rassemblement à un carrefour central de Tel-Aviv contre l’occupation et contre l’escalade de la violence. Comme on pouvait s’y attendre, cette action n’a pas entraîné une mobilisation de masse, mais elle a eu le mérite d’exister dans un contexte difficile. Le lendemain, les Combattants pour la Paix (des anciens soldats israéliens et résistants palestiniens qui ont déposé les armes) ont participé à la récolte d’olives dans les vergers de Dyar Istiya, un village de Cisjordanie menacé par les milices d’extrême droite israéliennes Tag Mechir (« le prix à payer »), qui tirent souvent sur les paysans palestiniens, ce qu’ils hésitent à faire quand des volontaires israéliens se trouvent parmi eux. Les autorités israéliennes menacent de déraciner les vergers en question.

Il va de soi que les associations israéliennes des droits humains dénoncent cette spirale de violences. À titre d’exemple, le 13 octobre B’Tselem (le Centre israélien d’information sur la violation des droits dans les Territoires occupés) a déclaré que « des responsables gouvernementaux israéliens ont explicitement appelé leurs concitoyens à ‘tirer pour tuer’. Des centaines de Palestiniens ont été blessés et plusieurs tués dans des manifestations. B’Tselem réitère sa condamnation des attaques contre les civils. »

Et dans l’horreur de ces violences répétées, Zokrot (association israélienne dédiée à la mémoire des villages palestiniens disparus dans la Nakba) continue ses travaux, persuadée qu’assumer la mémoire du passé contribue à assurer un avenir apaisé pour tous. Ainsi, il maintient sa programmation pour la fin de l’année, où l’association publiera son rapport sur l’expropriation des terres bédouines dans le Néguev. Une conférence publique aura lieu dans ce cadre à Beer-Sheva le 10 décembre, avec la participation des Bédouins (minorité arabe d’Israël) et des militants juifs, avec la collaboration du « Forum de coexistence juive-arabe dans le Néguev ». Quand la violence fait rage, la non-violence et les gestes de solidarité continuent leur chemin, difficilement mais inexorablement, car c’est de ce côté-là que se trouve un avenir meilleur pour le pays et pour tous ses habitants.

Richard Wagman