Liban-Palestine : lettre ouverte au CRIF et au Congrès juif européen

Le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) et le Congrès juif européen ont publié une annonce payante dans Libération le 20 juillet avec plusieurs associations juives, y compris certaines qui se veulent de gauche, laïques et pacifistes, comme par exemple le Cercle Bernard Lazare et le Hachomer Hatsaïr. Dès l’intitulé, les signataires annoncent clairement la couleur « Le Hezbollah est une menace pour la paix » pour conclure sur la phrase : « Nous réaffirmons notre solidarité avec le peuple israélien ». En ma qualité de porte-parole d’une association juive, laïque, de gauche et pacifiste qui n’a pas signé cette lettre ouverte (en l’occurrence l’Union juive française pour la paix), j’aimerais y répondre.

Les signataires de cette lettre ouverte affirment qu’Israël « mène une action militaire proportionnée » à la menace du Hezbollah. Le commando du Hezbollah qui a pris deux soldats israéliens comme prisonniers de guerre le 12 juillet n’a fait ni morts, ni blessés parmi les civils lors de cette attaque. Quant au commando palestinien qui a pris un soldat israélien comme prisonnier de guerre le 25 juin, il a perdu deux combattants lors de cette attaque, tout en faisant deux victimes dans les rangs de Tsahal. Mais encore une fois, aucune victime civile n’a été déplorée. Quant à l’armée et au gouvernement israélien, au lieu de s’asseoir à la table des négociations pour aboutir à un échange de prisonniers (près de 10 000 Palestiniens sont actuellement détenus dans les prisons en Israël), ils n’ont rien trouvé de mieux, pour répondre à cette situation, que de déclencher une guerre contre leurs voisins arabes à Gaza et au Liban. Bilan de l’offensive israélienne : plus de 450 morts civiles jusqu’à ce jour.

Le CRIF et ses cosignataires affirment qu’ « Israël exerce son droit de légitime défense ». Certes, tout Etat (y compris Israël) a le droit de se défendre et une riposte armée dirigée contre des milices palestiniennes et libanaises à l’origine de ces attaques aurait été conforme aux règles de la guerre telles que définies par les Conventions de Genève. Une telle réaction aurait certainement suscité des prises de position divergentes selon les opinions des uns et des autres, du moins aurait-elle été conforme aux normes internationales qui régissent la conduite des forces belligérantes en temps de conflit. Mais au lieu de respecter ces règles, Israël a préféré bombarder des aéroports internationaux, des ponts, des autoroutes, des ports de la marine marchande, des centrales électriques, des infrastructures industrielles, des bâtiments gouvernementaux et des agglomérations densément peuplées, tant à Gaza qu’au Liban. Là-dessus, la loi internationale est formelle : Israël n’a pas le droit d’agir ainsi. Il serait par contre inexact de prétendre que l’armée israélienne n’a procédé à aucune attaque contre des cibles militaires ; car à part des accrochages avec la résistance palestinienne et libanaise lors de cette offensive, Tsahal s’est fait un devoir de bombarder une base… de la FINUL (Force intérimaire des Nations Unies au Liban), afin de la cantonner dans ses casernes pendant l’avancée des tanks israéliens, ce qui a provoqué l’exode de plus de 100 000 réfugiés libanais. Ainsi, Israël a sciemment violé toutes les règles du droit international en la matière.

Mais le CRIF et ses cosignataires ne sont pas à une contradiction près. Ils enjoignent au Liban, et seulement à lui, de respecter une résolution de l’ONU, en l’occurrence la 1559, qui prévoit le désarmement du Hezbollah. Nous nous réjouissons de constater l’intérêt soudain du CRIF et du Congrès juif européen pour les résolutions de l’ONU. Et nous soutiendrions éventuellement un tel appel de leur part, s’il était question d’appliquer l’ensemble des résolutions des Nations Unis sur le Proche-Orient. Dont les résolutions 194 (droit au retour des réfugiés), 242 (évacuation des territoires occupés), sans parler de l’arrêt de la Cour internationale de justice, instance judiciaire de l’ONU (démantèlement du Mur sur les terres palestiniennes). Mais cette évocation fort sélective du droit international par les partisans déclarés de la politique israélienne est suspecte, c’est le moins qu’on puisse dire.

Outre les règles de droit établies par les instances de l’ONU, le CRIF et ses cosignataires abordent le terrain politique. Sur ce plan, ils soulèvent la question du bombardement de Haïfa (sans parler de celui de Gaza, de Beyrouth ou de Tripoli, pourtant situé loin du foyer de conflit). Le bombardement des objectifs civils dans toutes ces villes est inadmissible et l’Union juive française pour la paix (UJFP) le dénonce. Les bombes qui sont tombées sur Haïfa, Tibériade et Nazareth (qui ont fait une quinzaine de morts civiles) sont la réponse morbide du Hezbollah au pilonnage israélien des villes libanaises (qui a fait plus de 350 morts civiles). Et la résolution de ce conflit meurtrier se trouve peut-être dans la suite logique d’un passage de la lettre ouverte du CRIF, la seule phrase sensée de ce texte : « Nous déplorons la mort de toutes les victimes innocentes de part et d’autre des frontières. »

L’Union juive française pour la paix (UJFP) déplore, elle aussi, ces victimes innocentes. Pour éviter qu’il y en ait d’autres, le CRIF et ses cosignataires feraient mieux de soutenir les revendications avancées par les Libanais, les Palestiniens, les Israéliens pacifistes et leurs amis français de toutes origines : arrêt immédiat des bombardements et recours à une médiation internationale afin d’aboutir à un échange de prisonniers. Et comme des milliers de pacifistes israéliens viennent de le réclamer lors de manifestations à Tel-Aviv et à Jérusalem : retrait israélien des territoires de 67 et fin de l’occupation. De cela, le CRIF et ses cosignataires ne soufflent pas mot dans leur lettre ouverte. Avec la réaffirmation incantatoire de leur « solidarité avec le peuple israélien », les auteurs de la lettre auraient pu, dans ces circonstances tragiques, avoir ne serait-ce qu’un mot pour les peuples palestinien et libanais.

Quant à l’avenir, si le peuple israélien aspire à la paix, il va falloir qu’il exige de ses dirigeants une attitude nouvelle. Car Israël ne cessera d’infliger la guerre à ses voisins, et de la subir à son tour, tant qu’il refusera de devenir un Etat s’intégrant dans la réalité proche-orientale, assurant les mêmes droits à tous ses habitants et nouant des relations constructives, d’égal à égal, avec les peuples qui l’entourent.

Richard WAGMAN
Président d’honneur

    Tous les dossiers