L’explosion de la création palestinienne

Par Olivia Elias, 20 août 2015

L’explosion de la création palestinienne est née des bombardements, des ruines, de la répression et de la triple interdiction à laquelle se trouve confrontés les artistes de Palestine : interdiction de séjour ou de voyage, de récit et de mémoire.

La grande expo, organisée il y a quelques années par l’IMA, avait donné un aperçu de la vitalité de la création palestinienne. L’on avait pu y découvrir les œuvres d’artistes très talentueux dont plusieurs appartiennent à la diaspora éparpillée sur les quatre continents. Depuis leur nombre a considérablement augmenté. Et l’on assiste, aujourd’hui, à une véritable explosion de créativité dans tous les domaines artistiques, aussi bien en Palestine occupée qu’à l’extérieur, dans les genres « traditionnels » comme d’autres qui le sont moins. Le concours Palestine In & Out organisé récemment à Paris a confirmé ce que l’on pressentait. Oui, la jeune création palestinienne existe. Oui, la relève des aînés dont les œuvres figurent dans les galeries et les musées les plus prestigieux existe.

Gaza ne reste pas à l’écart du mouvement, l’un des lauréats de Palestine In & Out est le photographe Mahmoud Al-Kurd, 22 ans, qui n’a pu recevoir en mains propres son prix (depuis 2014, aucun artiste de la Bande n’a obtenu une autorisation de sortie). Autre exemple : l’organisation du festival Red Carpet, qui s’est tenu en même temps que celui de Cannes – avec quelques différences notables : tapis déroulé au milieu des ruines et population invitée au lieu et place de stars glamour. Il faut aussi mentionner les jeunes acrobates de Parkour qui multiplient les sauts extrêmes au milieu des décombres pour tenter d’apercevoir ce qu’il y au-delà de leur ghetto.

Un phénomène paradoxal, en apparence seulement

Certes, les artistes palestiniens sont confrontés à une multitude d’obstacles : faiblesse des moyens personnels et des structures de soutien, fragmentation, enfermement. Face à une telle situation, ils n’ont en réalité que le choix entre se résigner et plonger dans la dépression ou puiser dans leurs ressources profondes et trouver des modes d’expression qui disent leurs rêves, leurs espoirs, leurs souffrances. L’explosion de la création palestinienne est née des bombardements, des ruines, de la répression et de la triple interdiction qui frappe les artistes : interdiction de séjour ou de voyage, de récit et de mémoire.

Thèmes centraux : espace et temps, nature, solidarité

Mus par un sentiment d’urgence et une envie folle de s’exprimer, les artistes de Palestine relèvent le défi en exploitant tous les registres à leur disposition (drame, comédie, science-fiction, absurde…) et toutes les techniques (calligraphie, animation, manga, art figuratif et abstrait…) et en s’inspirant des grands mythes comme des super héros des comics américains. Ils mettent en œuvre ces ressources pour dire le rapport particulier qu’ils entretiennent à leur lieu d’origine, à l’espace, au temps ainsi qu’à la mémoire, thèmes récurrents de leur travail.

Outre l’amour, la souffrance, les difficultés de la vie quotidienne, figure bien sûr la nature, thème absolument central dans leurs œuvres comme dans la vie de tous les Palestiniens. La nature conçue au sens large : éléments naturels, jardins, plantes/fruits, oiseaux/animaux. L’amour de la terre natale, de la Palestine, se confond avec l’amour de la « mère nature » et ce n’est pas le seul lien commun qui rapproche la Tribu des Absents des Indiens d’Amérique.

Autre thème central qu’il convient d’évoquer : celui de la solidarité avec tous les humiliés, les opprimés, les sans terre et les sans droits. Par leurs œuvres, les artistes de Palestine résistent à l’ensauvagement du monde. Elles nous aident, elles aident tous les peuples à tenir bon, à sauvegarder la beauté et à cultiver la vie envers et contre tout.

Je pense aux frères Tarzan et Arab Nasser dont le court métrage, Condom Lead, a été primé à Cannes, en 2013. Avec peu de moyens (budget de 2 000 dollars, 18 heures de tournage, trois jours de montage) et un usage très parcimonieux des mots, ils racontent la difficulté de vivre une histoire d’amour dans un contexte de guerre. Leur premier long métrage, « Dégage » qui se passe dans un institut de beauté, présenté à Cannes en juin dernier, a été remarqué par la critique.

Je pense à Nidaa Badwan,vidéaste de 28 ans. Depuis novembre 2013, elle vit recluse dans 9 m² à Gaza. « Ses autoportraits lui demandent des semaines de préparation. Elle pose, dans un clair-obscur, assise devant sa machine à écrire. Sur son lit bariolé, face à son ordinateur. Dans la position du lotus, la tête tournée vers le plafond, les yeux fermés, comme en extase… Un projet baptisé “100 jours de solitude” en hommage au roman de Gabriel García Márquez qu’elle a relu durant les premières semaines de son confinement… » (Nouvel observateur, 11 mai 2015).

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Je pense à Amer Shomali, auteur des « 18 Fugitives », un premier film formidable, mélange de documentaire et de dessin d’animation, présenté en juin dernier dans le cadre du festival Ciné Palestine. Il y raconte la résistance de la population de Beit Sahour lors de la première Intifada avec, pour fil conducteur, les aventures d’un troupeau de 18 vaches que les habitants avaient achetées pour assurer leur autosuffisance en lait et que l’armée israélienne a traqué pendant des années. Motif ? Elles menaçaient la sécurité d’Israël. Les 18 fugitives ou la résistance par le rire. « On ne peut contrôler l’esprit de quelqu’un qui rit d’une situation aussi difficile soit-elle», tel est le credo d’Amer Shomali.

Je pense au danseur Sharaf DarZaid qui a créé, avec son confrère camerounais, Serge Tsakap, la pièce « deGrés of Grey » dans laquelle tous deux explorent avec humour leurs similitudes et leurs différences en donnant à voir l’isolement palestinien.

A Larissa Mansour, vidéaste au talent reconnu, qui s’inspire de la science-fiction et des comics américains pour montrer l’absurdité de la situation et l’impasse politique actuelle. Dans l’une de ses vidéos, l’on voit une femme cosmonaute débarquer sur la lune et y planter le drapeau de Palestine.

A Mahmoud El Kurdi, déjà cité. Dans l’une des photos de sa série primée en juin dernier, une fillette revêtue d’une robe de princesse monte une à une les marches menant au Pays des merveilles. Dans une autre, elle délivre les oiseaux prisonniers d’une cage esquissée à traits légers sur la roche.

A tous les peintres que le vidéaste franco-israélien, Eitan Altman, s’efforce de faire connaître : Nabil Anani, Fouad Agbaria, Abed Abdi, Mohamed Abusal. Au plasticien Taysir Batniji qui se propose d’interpeller à travers « le paradoxe entre l’apparence, ce qui nous est familier, et son contenu ». Les annonces de l’agence immobilière fictive, qu’il a conçue suite à l’offensive meurtrière Plomb durci, rassemblent ainsi toutes les informations habituelles (superficie, nombre de pièces…). Mais les appartements proposés sont en ruines et les murs criblés de balles.

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Art et politique

Enfin, il est un thème qui ne manque pas de venir à l’esprit quand on parle d’artistes, et tout particulièrement d’artistes de Palestine. Il s’agit du rapport entre l’art et la politique que chacun résout à sa manière. Certains affectent très officiellement une finalité politique à leurs œuvres. Larissa Sansour la revendique très clairement. « Il est difficile de séparer l’art de son contexte politique ou social direct. L’art n’a jamais opéré dans le vide… mon intérêt pour la Palestine est né de mon arrivée ici et du fait que j’y ai fait l’expérience en première ligne d’une des plus grandes injustices au monde ». Une opinion partagée par Amer Shomali comme en témoigne le choix de son sujet filmographique.

D’autres, au message moins frontal, laissent leurs œuvres et leurs personnages parler. Il y a aussi des artistes dont le travail ne renvoie, à première vue, à aucune finalité politique. C’est le cas, par exemple, de Vladimir Tamari, peintre de Palestine qui vit et travaille au Japon, pays dont l’influence culturelle marque ses aquarelles. De son côté, Mahmoud Darwich se voulait « Poète troyen » en solidarité avec tous les humiliés, les opprimés.

Engagé ou non, le travail des créateurs de Palestine doit être jugé à l’aune des critères communs à l’appréciation de toute œuvre d’art : authenticité, profondeur, maîtrise des moyens, personnalité. De fait, les artistes de Palestine, et parmi eux de nombreuses femmes, relèvent le défi de belle manière. Les œuvres de Larissa Mansour et de ses collègues peintres et plasticiens se retrouvent dans les plus grands musées du monde. Des cinéastes et des photographes remportent les premiers prix de concours parmi les plus prestigieux. Dans tous les domaines, Ils donnent à entendre la voix de la Palestine et témoigne de la résistance de ce peuple dont l’emblème est, l’olivier, symbole d’endurance millénaire.

Poète, membre de la diaspora palestinienne ; auteur de : « Je suis de cette bande de sable », mai 2013, épuisé et « L’espoir pour seule protection », éditions alfAbarre, Paris, février 2015.

Quelques liens à propos d’artistes cités:

Gaza Parkour Team / Despite the Pain, There is Hope

Gaza – Parkour, les Palestiniens volants

Cie Tiewe Art – « deGrés of Grey » avec Serge Tsakap et Sharaf DarZaïd

Larissa Sansour, A Space Exodus,

Taysir Batniji Le monde n’est pas arrivé
Site de Taysir Batniji