Quiconque a fréquenté le peuple palestinien, quiconque a reçu de lui des poèmes, des dessins, des chansons, des appels à la solidarité et à la justice, peut témoigner de sa force inaltérable de résistance et de vie.
Les parias, les exclus, les relégués, ceux qu’on s’acharne à vouloir transformer en animaux rampants, sont comme ça. Comme en furent capables au long des siècles les juifs de la Diaspora, comme les détenus dans les prisons du monde, comme les jeunes « des quartiers » de banlieue, ostracisés à qui mieux-mieux. Ceux qu’on s’acharne à punir, à humilier, à « casser », à défigurer, sont comme ça. Même si parfois, ils s’égarent en cherchant dans une ultime violence, une voie de passage. Leur volonté de résister à l’adversité persiste, en dépit de l’obstination à les réduire en sous-hommes !
Gaza est devenue un champ de ruines avec destruction de tout lieu de vie et de protection-maisons, édifices culturels et historiques, écoles, hôpitaux… Avec massacres de civils, famine, « génocide en cours », déportations. En Cisjordanie, on assassine, on expulse, on invente de nouveaux pogroms, sous le regard nonchalant ou bienveillant de l’armée. On met les récalcitrants, et même des humanitaires, en prison.
Rien n’y fait, rien n’y fera : les Palestiniens gardent leur dignité. Traumatisés à l’extrême, rendus hagards sous les bombardements et par des traitements odieux, voire sadiques, ils sont en bonne part désespérés. Qui ne le serait pas sous un pareil régime de terreur ? Pourtant, adultes comme enfants, soignants, journalistes, enseignants comme simples civils, continuent à faire entendre une parole vraie. Avec sagacité, humour et poésie, hérités d’une longue tradition.
Des soignants internationaux, de retour de Gaza, ont déclaré qu’ils n’avaient pas entendu de paroles de haine ni de délire de vengeance. Ce que dit également Ali Abunimah, journaliste palestino-américain : « Malgré les efforts incessants des sionistes pour les impliquer, les Juif.ves ne sont pas collectivement coupables des crimes génocidaires d’Israël contre les Palestinien.nes. S’opposer à l’antisémitisme signifie refuser catégoriquement l’affirmation du sionisme selon laquelle ses atrocités sont commises au nom des Juif.ves du monde entier » ».
L’infâme et fausse équation « antisionisme = antisémitisme » en prend un coup, n’en déplaise à tous les baroudeurs, les bateleurs du verbe qui sévissent ici dans nos contrées prospères. Des prétendus « juifs de savoir », lourdement médiatisés, des pseudo représentants du peuple ou de futurs candidats, juifs ou non, qui se complaisent dans l’imposture, la calomnie, voire le négationnisme historique- la Nakba n’existerait pas ! Ici, oui, dans nos contrées d’abondance où l’on se targue de vérités, où l’on refuse les mots « résistance, colonialisme, apartheid », et sans crainte de représailles puisque tout est de la faute des « arabes » et du Hamas. N’a-t-on pas entendu, à maintes reprises, sur nos chaînes de télévision, des va-t-en guerre et supporters de Netanyahou, dire, comme lui : « Je me fiche du droit international ! » ? Qui, de manière outrageuse, importe le conflit ?
On reste ainsi dans l’incapacité de jauger ce que représente, dans toute sa complexité, le Hamas. On le confond volontairement avec des mouvances djihadistes qui existent certes, bel et bien, et qui ont commis des crimes de guerre contre des civils (les réels, pas ceux fantasmés des 40 bébés brûlés, décapités). Et l’on entretient l’incapacité de comprendre ce que signifie le 7 octobre, après 75 ans d’occupation coloniale.
On évite surtout de poser la question principale : une fois leurs voix confisquées, leurs propositions de solutions pacifiques anéanties, leurs dirigeants assassinés, emprisonnés, cela pendant des décennies, que reste-t-il aux Palestiniens? Accepter une « Autorité » corrompue, qui collabore avec les oppresseurs ? Rejoindre le désert du Néguev, pour survivre sous des tentes comme d’éternels réfugiés ? Vivre à l’ombre des décombres avec des enfants traumatisés, mutilés, orphelins, handicapés à vie ? Au nom de la « sécurité » de la société israélienne, devenue sourde, aveugle, autiste ? Une nation qui, à 88 %, déclare être d’accord pour les massacres et la destruction de Gaza, considérés comme un mal « nécessaire ». À quand un reportage, digne de ce nom, qui fasse état de l’existence de « pacifistes » israéliens, luttant contre un fait colonial avec son chapelet de ségrégations, refusant d’aller sous les drapeaux, quitte à finir en prison, comme les refuzniks ? Des pacifistes, dont la conscience refuse le rouleau compresseur du nationalisme, du militarisme, que l’on qualifie de traîtres ou de fous. Opposés depuis longtemps à une politique sioniste éhontée, devenue sordide, ils préservent, mêmes minoritaires, l’humanisme juif en voie de quasi disparition dans l’État hébreu.
Alors, on se prend à rêver qu’un jour tous les baratineurs se taisent et que certains d’entre eux soient jugés pour complicité de crimes contre l’humanité. Les dispositions juridiques prises contre l’antisémitisme, n’ont-elles pas montré les limites de notre belle et chère liberté d’expression, lorsque vies et dignité sont en question ? L’incitation publique à la haine raciale est punie. Pourquoi laisser impunis ceux qui, au titre de victime éternelle, soutiennent aujourd’hui une politique de destruction et de mort ?
Nous croulons ici sous la honte, l’impuissance, la colère, le dégoût. Nous ne souffrons pas seulement de voir se dérouler sous nos yeux une tragédie, se déployer des actes fascistes.. en notre nom ! Nous subissons la pub médiatique de guerre, pardon la propagande, menée tambour battant au sein des grands médias français qui se consacre au dolorisme des « victimes du Hamas » et de leurs familles. Avec interviews de frêles jeunes filles ex otages, aux lèvres botoxées, ou de rescapés du« pique nique sur un volcan », l‘indécente rave party, à deux pas de bases militaires et des barbelés ceinturant la bande de Gaza.
Ne serions-nous pas conspués, marqués au fer rouge, menacés au téléphone et sur les réseaux sociaux, s’il nous prenait l’envie de penser au film de Jonathan Gläzer, « la zone d’intérêt » ? Un film qui montre à quel point on devient schizoïde, imperméable, lorsqu’on décide d’ignorer ou de se détourner de la réalité. Luxe, calme et presque volupté d’un côté, et de l’autre, extermination, sadisme en chaîne et solution finale. Tandis qu’attendent des projets immobiliers de résidence de luxe sur les plages de Gaza et que d’anciens colons rêvent, photos en main, de rebâtir une belle maison… comme avant !
Mais, nous sommes au Proche-Orient, avec moins de froideur et de détachement gestionnaire qu’en Allemagne. Nous sommes en terre israélo palestinienne, où l’accueil de l’autre, la curiosité, la soif de culture et d’émancipation avaient droit de cité. Un territoire, porteur d’une ancienne judéité, d’une mixité ethnique et confessionnelle, à l’ombre de Jérusalem, ville trois fois sacrée. Certains prophètes bibliques (pas tous, il est vrai), la voulait ville emblème, ouverte aux autres nations, quasi internationaliste. Elle est devenue un concentré d’avidités, un pôle de nationalisme fanatisé, conduisant inexorablement au fascisme ou à son consentement discret.…
Oui, comme dirait la mère Michel, alias monsieur Michu, nous vivons une drôle d’époque. Une époque pas amusante du tout, bien étrange et pleins de mauvais sujets, de délinquants, de chenapans qui hantent, non plus les villages et les bourgs à coups de fric frac, mais à coups de bombes là-bas, et de chasse aux sorcières et aux migrants, ici…
En attendant un hypothétique réveil des consciences (sans quoi pas d’ère messianique ni de retour sur la Terre promise, selon la Torah), l’hubris sioniste, la folie meurtrière, se poursuit sous nos yeux, devant nos esprits désemparés. Ce qui fait dire à juste titre à Joseph Andras1, que « La Terre a désormais les Palestiniens dans sa chair ». Devant la force de résistance palestinienne, devant ses capacités à conserver la beauté d’un geste de vie, nous pouvons, ici, avoir trois fois honte : assister avec indifférence ou impuissance à des crimes contre l’humanité, continuer à vaquer à nos petits problèmes de « privilégiés » et s’imaginer que le massacre d’un peuple, que les tortures infligées à des enfants, ne pèseront pas sur nos destins.
Pour autant, la volonté des conquérants, rêvant, comme Attila, de ne plus laisser pousser un brin d’herbe à Gaza, se heurte et se heurtera à ce qu’ils veulent ignorer, mais qu’ils ne pourront anéantir : l’esprit de résistance et de vie en Palestine.
- site « Frustrations », 3 avril 2024[↩]