Installé en Cisjordanie avec son épouse pour trois mois, l’amiral Laurent Mérer, ancien préfet maritime de l’Atlantique aujourd’hui en retraite, s’insurge contre l’abomination de ce conflit.
Après avoir commandé des navires et des régions maritimes, qu’est-ce qui vous a donné envie de vous engager dans une mission personnelle, en Palestine, avec votre épouse ?
C’est un engagement pour la paix. Nous cherchions à faire quelque chose de pragmatique, utile et sur le terrain. Le Defap, service protestant des missions étrangères, nous a proposé ce programme international du conseil œcuménique des églises pour la Palestine. Il a été créé au début des années 2000, après la deuxième Intifada.
Vous sentiez-vous, auparavant, concernés par le sort des Palestiniens ?
Pas particulièrement. Pour nous, ce sujet faisait partie du bruit de fond de la politique internationale. Je n’en savais finalement pas grand-chose. Ce qui nous a séduits c’est que ce programme répondait concrètement à une demande des Églises chrétiennes palestiniennes.
Depuis deux mois que vous êtes sur place, vous découvrez l’horreur…
Ce qui se passe ici est révoltant. C’est ni plus ni moins un peuple qui vole la terre d’un autre peuple et dénie son existence. Ces colonies qui se répandent comme le cancer sont totalement illégales. N’importe quel satrape d’Afrique ou d’Asie qui se comporterait ainsi serait traîné devant la Cour pénale internationale. On tire sur des gamins et 200 m plus loin, la vie continue. C’est l’horreur ! Et on a envie de le crier.
Pourquoi, dans ce cas, la cause palestinienne ne mobilise-t-elle pas plus ?
Ce conflit dure depuis 1967. C’est terrible mais on a fini par s’y habituer. Et puis en France, la cause palestinienne a été accaparée par des mouvements d’extrême gauche qui n’ont pas forcément de crédibilité auprès du grand public. Par ailleurs, il y a en face l’État d’Israël qui est un peuple malin, intelligent, bosseur et déterminé. Les Israéliens sont extrêmement habiles dans la propagande.
Vous dites qu’ils font passer les Palestiniens pour des terroristes alors qu’ils ne sont que des résistants…
Exactement. Lorsque nous étions occupés par les soldats allemands en 1940, ceux qui leur tiraient dessus étaient considérés comme des héros. C’étaient les résistants. Les Palestiniens sont des résistants qu’Israël fait passer pour des terroristes. Et cela marche très fort car dans l’esprit européen, terroriste = musulman = Daech. Or nous sommes dans un pays occupé depuis cinquante ans.
En quoi consiste votre mission au quotidien ?
Moi, je suis à Hébron qui est un endroit sensible. Nous facilitons l’accès des enfants aux écoles à proximité des colonies, les passages aux check-points (points de contrôle) … Ma femme, elle, est à Jérusalem. Sa mission est plutôt concentrée sur les lieux de culte puisque les Israéliens entravent l’accès des fidèles aux mosquées et aux églises. Elle travaille aussi dans une zone appelée le grand Jérusalem où se trouvent des bédouins expulsés de leurs pâturages. Israël leur mène une vie totalement impossible pour les décourager.
Il y a aussi les fréquentes démolitions de maisons.
Pour construire, les Palestiniens doivent demander l’autorisation à Israël qui refuse dans la majorité des cas. Ils construisent à leurs risques et périls. Si la maison est repérée, elle est immédiatement rasée ! Il y a aussi les démolitions punitives. J’en ai vécu une contre un jeune qui a été accusé, sans encore être jugé, de tentative d’agression. Une nuit, trois cents soldats ont encerclé l’habitation de sa famille et ils ont tout cassé avec des masses. Sinon, ils peuvent aussi obstruer une maison le temps d’un procès. C’est cela, la justice ici.
Discutez-vous avec ces soldats ?
Bien sûr, je discute avec eux. C’est important. Mais il faut bien comprendre que ce sont des gamins de 18-19 ans qui ne savent pas toujours très bien ce qu’ils font là. Leur niveau de réflexion par rapport à leur engagement et leur mission n’est pas toujours très élevé. Beaucoup sont franco-israéliens. J’en ai rencontré un qui a grandi à Belleville, à Paris. Tous, garçons et filles, sont armés jusqu’aux dents. S’ils tirent aussi facilement sur les autres enfants, notamment lorsqu’ils se font caillasser, c’est surtout parce qu’ils ont peur.
Il est difficile d’imaginer que ces pratiques sont celles d’un pays démocratique.
C’est ce que nous vivons tous les jours. Et on ne comprend pas que nos pays occidentaux soient aussi complaisants à l’égard de pratiques dont nous ne pourrions même pas imaginer qu’elles se passent chez nous. Or, ces exactions sont menées par un État qui se dit démocratique. C’est totalement incompréhensible.
Ce qui est incompréhensible c’est qu’en cinquante ans, ce conflit n’a jamais trouvé d’issue ?
Tout le monde est un peu complice. Les pays arabes alentour n’ont jamais soutenu les Palestiniens parce qu’ils jouent leur propre agenda. Quant à la communauté internationale, elle a trop peur d’Israël et de ses relais si puissants en Europe et aux ÉtatsUnis. Dire la moindre chose, c’est risquer d’être taxé d’antisémitisme. Les Israéliens jouent sur du velours avec ça. Mais cela ne veut pas dire que tous approuvent. L’autre jour, j’ai lu un article d’un journaliste israélien qui disait : « Chers compatriotes, pendant que vous dormez, on tue des gosses. Moi, citoyen israélien, je suis complice. Vous êtes complices. Et nous serons redevables devant l’Histoire. »
On dit souvent qu’il s’agit d’un conflit religieux. Mais au nom de quel Dieu pourrait-il être justifié ?
C’est une querelle de territoires, pas de religions. Et puis il ne faut pas oublier qu’il y a des chrétiens ici, même si beaucoup sont partis. Pour Israël, les chrétiens sont gênants parce qu’ils empêchent que le conflit puisse passer pour une querelle juifs/musulmans, qui serait plus vendable à l’opinion internationale. Or il faut dire les choses telles qu’elles sont. Israël a métastasé la Palestine.
Vous qui avez pourtant été engagé sur de nombreux théâtres extérieurs, on a le sentiment que cette mission est la plus difficile que vous ayez vécue ?
Je n’avais jamais eu de contacts si directs avec des combattants. Ici, j’ai été une fois dans la ligne de mire. Cela ne m’était jamais arrivé. Mais surtout, je n’avais jamais vu des hommes et des femmes traités comme des bêtes. Lorsqu’on le vit, on n’est plus pareil après. Comment ce peuple, qui a vécu une abomination comme la Shoah, peut-il faire cela ?
Recueilli par Christel MARTEEL.
Article originel publié dans le journal Ouest-France du 24 avril 2016