Israël a réussi à faire de 50 ans de résistance palestinienne contre l’occupation une petite entreprise, et vend maintenant le concept d’état policier au monde entier
Chaque fois qu’un attentat terroriste se produit, comme celui de la semaine dernière à Barcelone, les politiciens israéliens et les “experts” en sécurité critiquent la naïveté européenne à la télévision. Si seulement ils comprenaient le terrorisme comme nous le comprenons et prenaient les mesures préventives que nous prenons, disent-ils, ils subiraient bien moins d’attentats. Le plus tristement célèbre des commentaires à ce sujet fut celui du Ministre israélien des renseignements, Yisrael Katz, après l’attentat de Bruxelles en Mars 2016, dans lequel 34 personnes ont perdu la vie.
Plutôt que de présenter ses condoléances au nom de gouvernement israélien, il réprimanda les Belges de la manière la plus paternaliste qui soit. “Si en Belgique ils continuent à manger leur chocolat, à profiter de la vie, à se présenter comme de grands libéraux et démocrates et à ne pas considérer qu’une partie des Musulmans qui sont là-bas organisent des actes terroristes,” déclara-t-il, “ils ne seront pas capables de se battre contre eux,.”
Les Belges réagirent avec colère, et soutinrent la position de la plupart des gouvernements européens : nous allons continuer à être vigilants et à prendre les précautions nécessaires, mais nous n’allons pas renoncer à nos libertés et à notre ouverture politique pour devenir des copies d’Israël. Parce qu’ils comprennent que le gouvernement de Netanyahu propage quelque chose de bien plus insidieux que de simples précautions – bien plus encore que des armes, de la surveillance, des systèmes de sécurité et des modèles de contrôle de population qui sont le gagne-pain des exportations israéliennes. Ce qu’Israël prône auprès des Européens – ainsi qu’auprès des Américains, des Canadiens, des Indiens, des Mexicains, des Australiens et qui que ce soit d’autre qui les écouterait – n’est rien d’autre qu’un tout nouveau concept d’état, un état sécuritaire.
Qu’est-ce qu’un état sécuritaire ? En substance, c’est un état qui place la sécurité au-dessus de toute autre chose, bien évidemment au-dessus de la démocratie, de l’état de droit et des droits humains, tous considérés comme des “luxes de libéraux” dans un monde noyé dans le terrorisme. Israël se présente, rien que ça, comme modèle aux pays du futur? Vous, Européens et autres, ne devriez pas nous critiquer, disent Katz et Netanyahu, vous devriez nous imiter. Car regardez ce que nous avons fait. Nous avons créé une démocratie dynamique de la Méditerranée au Jourdain, qui offre à ses citoyens une économie florissante et la sécurité individuelle – même si la moitié de la population de ce pays sont des terroristes (c.-à-d. les non-citoyens palestiniens vivant dans des enclaves isolées du pays). Si nous parvenons à faire cela, imaginez ce que nous pouvons offrir à ceux d’entre vous menacés d’attentats terroristes ?
Grâce à un remarquable travail d’image, Israël a réussi à faire de 50 ans de résistance palestinienne à l’occupation, une petite entreprise. En la qualifiant de “terrorisme”, il n’a pas seulement délégitimé la lutte palestinienne mais il a aussi transformé les territoires occupés en un laboratoire de lutte contre l’insurrection et de contrôle de populations, pierres angulaires à la fois des guerres extérieures et de la répression intérieure. Il a transformé les techniques de contrôle et les systèmes de surveillance qui les accompagnent en produits commercialisables. Pas surprenant, comme Netanyahu nous le rappelle sans cesse, que “le monde” adore Israël. De la Chine à l’Arabie Saoudite, de l’Inde au Mexique, de l’Erythrée au Kazakhstan, Israël fournit les moyens qui permettent aux régimes répressifs de contrôler leurs populations récalcitrantes.
La grande puissance militaire d’Israël est bien documentée. Elle s’étend dans plus de 130 pays et a rapporté 6,5 milliards de dollars de ventes en 2016. Moins connues, mais plus corrosives pour les droits civiques, sont les exportations d’Israël en terme de sécurité. Trois exemples:
Israël pousse les agences de sécurité et les forces de polices étrangères à faire du lobby en faveur de pratiques d’état sécuritaire dans leur propre pays. Il se moque de la réticence des démocraties occidentales à utiliser le profilage ethnique et racial, comme le font la sécurité et la police israéliennes à l’aéroport international de Ben-Gurion et à travers le pays. Dans des contextes particuliers, comme les aéroports, le profilage peut en effet être efficace – Ben-Gurion est certainement un des aéroports les plus sûrs au monde – mais au prix de l’humiliation et du retard de ceux ciblés par le profilage. Quand cela est appliqué plus largement dans la société, cependant, le profilage perd de son efficacité et se transforme presque invariablement en une méthode légalisée d’intimidation contre toute une population qu’un gouvernement cherche à contrôler.
La police nationale israélienne organise des dizaines de programmes d’entrainement et de conférences avec les forces de police à travers le monde, en insistant non pas sur les techniques de police nationale mais plutôt sur “la lutte contre l’insurrection interne” et la pacification des populations difficiles. Le Centre International d’Echanges sur l’Application du Droit International de Géorgie aux Etats-Unis affirme que 24 000 policiers américains ont été formés par leurs homologues israéliens. Contrairement à d’autres pays occidentaux qui érigent un mur entre leur armée, qui mène des opérations à l’étranger, et leurs agences de polices et de sécurité internes, chargées d’assurer la sécurité mais aussi les droits civiques de leurs citoyens, Israël n’a pas de tel obstacle interne. Les FDI [note]Forces de Défenses Israéliennes (note de la traductrice)]] et la police sont une seule et même unité, avec des forces paramilitaires – le Shin Beit, la Police des Frontières, Homefront Command, Yasam et autres – les soudant davantage. Donc la distinction en Israël entre citoyens avec des droits civiques et non-citoyens “suspects” et personnes-cibles s’efface, et c’est une distinction que la police israélienne tente aussi de gommer dans ses formations aux polices étrangères.
Israël est l’un des leaders mondiaux pour la sécurisation de villes, de grands évènements, et de zones “ingouvernables”. Il existe un lien direct entre le verrouillage des quartiers, villages et camps de réfugiés palestiniens et la commercialisation de telles méthodes aux polices locales afin de créer des “zones de sécurité” aseptisées et des “sécurisation de périmètres” autour de centres financiers, quartiers gouvernementaux, ambassades, salles où le G-8 et l’OTAN tiennent leurs sommets, plateformes pétrolières, centres de conférences dans des environnements “instables” du tiers-monde, destinations touristiques, centres commerciaux, aéroports et ports, sites de grands évènements et domiciles et itinéraires de personnes riches. Par conséquent Israël est impliqué dans le mur frontalier de Trump qui est surnommé la “frontière Palestine-Mexique.”
Là-bas la société israélienne Magna BSP, qui fournit les systèmes de surveillance qui entourent Gaza, s’est associée avec des sociétés étatsuniennes afin d’entrer dans le marché lucratif de la “sécurité des frontières”. Les systèmes NICE, dont les techniciens sont graduated of the DF’s 8200 surveillance unit . Privacy International a enquêté sur la manière dont les gouvernements autocratiques du Tadjikistan, Kirghizstan, Turkménistan, Ouzbékistan et Kazakhstan parvenaient à surveiller les militants des droits humains, les journalistes et autres citoyens à l’intérieur et à l’extérieur de leurs pays, révélant les détails les plus intimes de leur vie privée. « Les plus impliquées,” a conclu Human Rights Watch, “sont les multinationales qui ont un bureau en Israël – les systèmes NICE et Verint.”
Dans sa forme ultime, l’état sécuritaire vendu par Netanyahu et Katz n’est autre qu’une forme d’état policier dont la population est facilement manipulée par une obsession pour la sécurité. Le modèle d’Israël est odieux parce qu’il marche ; la preuve en est la pacification des Palestiniens. Cela semble être en effet un argument de vente puissant. Le problème est qu’il fait de la population de ce pays des Palestiniens sans droits. On pourrait nous faire croire que l’état sécuritaire peut se réconcilier avec la démocratie – après tout, Israël se vend comme “la seule démocratie au Moyen-Orient.” Mais seuls quelques privilégiés dans le monde jouiront des protections démocratiques de l’état sécuritaire, comme les Juifs israéliens. Les masses, ceux qui résistent à la répression et à l’exclusion du système capitaliste, ceux qui luttent pour une véritable démocratie, sont condamnés à être des Palestiniens. L’israélisation des gouvernements, des armées et des forces de sécurité signifie la palestinisation de la plupart du reste d’entre nous.
Jeff Halper est un anthropologiste israélien, directeur de Israel Committee Against House Demolitions (ICAHD) et auteur de War Against the People: Israel, the Palestinians and Global Pacification (London, Pluto Books, 2015)
Article originel en anglais paru sur le site du journal Haaretz le 20 août 2017
Par Jeff Halper. Publié en traduction française, le 23 août, sur le site de l’agence Média Palestine.