Lettre ouverte de Gaza à Obama

Haidar Eid est un commentateur politique indépendant et professeur au Département de Littérature anglaise à l’Université Al-Aqsa à Gaza.

Monsieur le Président,

Vous ne lirez probablement pas cette lettre étant donné votre emploi du temps chargé et l’énorme masse de messages que vous recevez de la part de présidents, rois, princes, cheikhs et premiers ministres. Qu’est-ce qu’un professeur palestinien de Gaza, après tout, qui a le culot d’écrire une lettre ouverte au président des Etats Unis d’Amérique ? Ce qui a déclenché cette lettre est une photo de votre excellence à table avec l’intellectuel palestinien défunt Edwart Said.

La rencontre a eu lieu, bien sûr, avant 2004, c’est-à-dire avant que vous ayez subi un processus de métamorphose qui, selon moi, est sans précédent dans l’histoire. Vous voir avec Edward Said, je dois en convenir, m’a surpris. Said, un véritable intellectuel public, doit vous avoir dit quelque chose sur la souffrance du peuple palestinien.

Sur la photo, vous et votre femme semblez l’écouter attentivement, et avec admiration. Mais la question demeure : avez-vous vraiment compris sa défense éloquente et passionnée des droits des habitants indigènes de Palestine ? A en juger par vos récentes volte-face politiques, j’en doute. C’est précisément l’incongruité entre la photographie et ces revirements qui motive cette lettre.

Monsieur le Président,

Le monde entier a fêté votre élection comme premier président afro-américain des Etats Unis. Pas moi. Ni les habitants du camp de concentration dans lequel je vis. Votre visite de sympathie à Sderot – une ville israélienne qui était le village de Nadj avant 1948, lorsque sa population a subi un nettoyage ethnique – trois ans après votre première visite à un kibboutz dans le nord d’Israël pour soutenir ses habitants et après votre promesse de vous engager pour la sécurité de l’Etat d’Israël et de son « droit » à avoir Jérusalem unifiée comme capitale du peuple juif – pour ne donner que quelques exemples – indiquaient clairement où était votre cœur.

Une autre raison pour l’écriture de cette lettre est le choc devant l’indifférence et l’arrogance avec laquelle la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton a méprisé les inquiétudes palestiniennes sur les colonies illégales pour juifs seulement d’Israël en Cisjordanie. Il y a seulement quelques semaines, vous avez fait une déclaration admirable selon laquelle toute la colonisation juive devait cesser et vous avez clairement dit que cela incluait l’expansion des colonies existantes, comme la construction de nouvelles colonies.

Cependant, lorsque Netanyahu a fait savoir qu’il n’avait aucunement l’intention d’arrêter la construction des colonies, vous avez raté une occasion historique de marquer le coup : pas de milliards et pas d’armes pour Israël tant que cette condition ne serait pas remplie. Aujourd’hui, Clinton a la tâche herculéenne de faire comme si votre position sur les colonies juives n’avait pas changé, alors qu’il est clair que vous avez choisi de ne pas utiliser le très réel pouvoir à votre disposition pour contraindre la politique israélienne.

Environ six mois après votre élection, vous vous êtes adressé aux mondes arabe et islamique, lors d’un discours au Caire, que certains ont trouvé impressionnant. Je l’ai trouvé impressionnant sur la forme, mais pas sur le fond parce que vos actions n’ont pas concordé avec votre rhétorique. Pourquoi n’ai-je pas gobé le nouveau langage de la nouvelle administration américaine ? Parce que pendant que vous faisiez votre discours, nous enterrions mon voisin, un patient en phase terminale qui avait eu besoin d’un traitement dans un hôpital étranger puisque, grâce au siège imposé par votre propre administration et par Israël sur la Bande de Gaza, les installations qui lui auraient sauvé la vie ne sont pas disponibles à Gaza. Comme plus de 400 malades en phase terminale à Gaza, mon voisin a perdu la vie. En dépit des belles paroles de paix en arabe, « salaam aleikum », vous avez montré, de manière aussi claire que l’eau de roche, que le point de référence de toute négociation dans le conflit israélo-palestinien est la sécurité d’Israël. En faisant cela, Monsieur le Président, vous avez de fait marginalisé toute la question de la Palestine, et vous avez malheureusement préparé le terrain à de nouvelles attaques israéliennes contre une Gaza affamée, une entité qui, grâce à vos liens « indéfectibles » avec Israël, a été transformée en plus grand camp de concentration sur terre.

Votre incapacité à soutenir le rapport Goldstone, votre indifférence, pour ne pas dire votre contribution, à la souffrance palestinienne et au processus de « politicide » contre la population palestinienne de Gaza est, pour dire le moins, insondable, venant d’un homme qui a écouté avec autant d’ardeur Edward Said. Vos conseillers ont dû vous parler de la pénurie de médicaments, de nourriture et de carburant dans le camp de concentration où je vis. Des patients qui ont besoin de dialyse et autres traitements médicaux urgents meurent tous les jours. La majorité de nos enfants, dont beaucoup ont le même âge que vos deux belles filles, sont gravement sous-alimentés.

Vous devez avoir parcouru le résumé du rapport Goldstone détaillant l’horreur infligée à 1,5 million de civils pendant 22 jours, une horreur causée par des F16, des hélicoptères Apache et des bombes au phosphore fabriquées dans les usines américaines. Des centaines d’enfants ont été brûlés à mort par des bombes au phosphore ; des femmes enceintes ont été brutalement visées dans ce dont les soldats israéliens se vantaient sur leurs t-shirts : « Une balle, deux morts ». Et pourtant, pas un seul mot de sympathie, Monsieur le Président !

Edward Said avait ceci à dire sur sa première visite à Gaza : « C’est l’endroit le plus terrifiant où j’ai jamais été… C’est un endroit épouvantablement triste à cause du désespoir et de la misère dans lesquels les gens vivent. Je n’étais pas préparé aux camps qui sont bien pires que tout ce que j’ai vu en Afrique du Sud. » C’était en 1993, Monsieur le Président, avant que les conditions de vie ne se soient dramatiquement détériorées. Gaza est maintenant, comme l’association pour les droits de l’homme israélienne B’Tselem l’a décrit, « la plus grande prison sur terre. »

Monsieur Obama,

Contrairement à votre prédécesseur, vous semblez être un homme intelligent. Vous devez avoir réalisé que la solution de deux Etats a été rendue impossible par la colonisation israélienne de la Cisjordanie, par la guerre contre Gaza, par la construction du mur d’apartheid, par l’expansion du soi-disant « Grand Jérusalem », et par l’augmentation du nombre de colons juifs en Cisjordanie. Vous devez aussi avoir réalisé que six millions de réfugiés, dont la plupart vivent dans des conditions misérables, attendent que des dirigeants courageux et visionnaires, concernés par la véritable démocratie, les droits de l’homme et le droit international, appliquent la résolution 194 des Nations Unies. Et pourtant, vous et votre secrétaire d’Etat, comme chaque président US depuis 1967, avez décidé de soutenir Israël en créant les conditions qui rendent la solution de deux Etats impossible, irréaliste et injuste.

Etiez-vous un partisan du système de bantoustans en Afrique du Sud sous le régime d’apartheid ? Etes-vous opposé à l’égalité des droits et à la transformation d’Israël/Palestine en un Etat pour tous ses citoyens ? La solution de deux Etats signifie la bantoustanisation de la Palestine, une solution qu’à notre connaissance, vous n’avez jamais soutenue pour l’Afrique du Sud.

Etes-vous, Monsieur le Président, opposé à la démocratie citoyenne, qui est la demande de la majorité de la société civile palestinienne et des organisations de la base ? C’est pour cela que vos modèles, Martin Luther King Jr et Steve Biko, sont morts. Nelson Mandela a-t-il eu tort de passer 27 ans de sa vie à la poursuite de la justice en demandant l’égalité pour le peuple indigène d’Afrique du Sud ? Vous rendez-vous compte que ce que vous soutenez au Moyen-Orient est une solution raciste par excellence ? Une solution basée sur le nationalisme ethnique. Votre secrétaire d’Etat et envoyée au Moyen-Orient se tient sans honte, radieuse, aux côtés du Ministre israélien des Affaires Etrangères, Avigdor Lieberman, qui non seulement défend ouvertement le nettoyage ethnique des Palestiniens, mais appelle également à un nouveau génocide à Gaza. Vous rendez-vous compte, Monsieur le Président, que ce fasciste hitlérien pourrait devenir le prochain premier ministre d’Israël, grâce à la complaisance et au soutien de votre administration ?

Notre seule exigence immédiate est que votre administration s’assure qu’Israël remplisse ses obligations en termes de droit international. Est-ce trop demander ?

Monsieur le Président Barack Hussein Obama,
Nous, le peuple palestinien, en avons marre !
Sincèrement,

Professeur Haidar Eid
Gaza, Palestine

Source : Maan News
Traduction : MR pour ISM