Le 8 juin 2021
Monsieur le Ministre,
Nous avons pris connaissance des propos que vous avez tenus sur la situation en Palestine / Israël le 23 mai 2021 au Figaro. Nous retenons en particulier deux éléments, et celui-ci pour commencer :
« Pour la première fois, on a pu constater une conflictualité dans les localités israéliennes (…) Les communautés se sont affrontées ».
C’est apparemment la « conflictualité dans les localités israéliennes » qui vous a fait réagir et vous avez raison de vous en inquiéter, le sort réservé par l’État israélien à ses citoyens palestiniens relevant de la discrimination en fonction de la nationalité. En effet cette discrimination est écrite dans la “Loi sur l’État Nation” adoptée le 19 juillet 2018 par le parlement israélien, loi qui définit clairement deux catégories de citoyens ne jouissant pas des mêmes droits civiques en fonction de la nationalité. Vous n’ignorez pas qu’Israël a décidé que ses citoyens d’origine palestinienne seraient de nationalité « arabe » pour la plupart, et ceci de manière héréditaire. Comment s’étonner que les enfants des citoyens israéliens de nationalité palestinienne aient le vif sentiment de recevoir l’apartheid en héritage, et de s’en indigner vivement ?
La discrimination en fonction de la nationalité est fermement condamnée en France, et ironiquement utilisée contre nous pour nos appels au boycott de l’apartheid israélien. N’appelant pas au boycott des personnes qu’elles soient israéliennes ou autre, mais des organisations responsables ou complices de la politique discriminatoire d’Israël, la loi nous a donné raison.
Vous avez par ailleurs déclaré ceci : « Le risque d’apartheid est fort si on continue à aller dans une logique à un État ou du statu quo »
Selon vous, et pour reprendre vos propres termes, combien de temps faudra-t-il continuer à aller dans une logique à un Etat pour que le “risque fort d’apartheid” que vous évoquez devienne réalité ? Les 70 dernières années vécues de fait dans une “logique à un État” ne sont-elles pas suffisantes ? Nous nous étonnons par ailleurs que vous voyiez dans l’avancée permanente des intérêts israéliens en Palestine un « statut quo ».
Nous vous confirmons que le risque d’apartheid en Israël très très élevé. Israël n’a certes pas encore été condamné pour crime d’apartheid par une juridiction compétente, mais son régime d’apartheid a déjà été à maintes reprises documenté, analysé au regard de la définition internationale de crime d’apartheid, et clairement démontré. Citons chronologiquement le Tribunal Russel pour la Palestine en 2009, le rapport de Richard Falk et Virginia Tilley pour l’ONU en 2017, le rapport de Human Rights Watch intitulé “ Un seuil franchi – Les autorités israéliennes et les crimes d’apartheid et de persécution” publié ce mois d’avril 2021. Vous conviendrez j’espère que ces différentes organisations internationales ne peuvent être suspectées antisémitisme, de soutenir le terrorisme ou d’être des repaires d’islamo-gauchistes. Au risque de vous inquiéter davantage, nous tenons à vous préciser que le sort réservé aux autres composantes du peuple palestinien n’est pas meilleure et certainement pire que celui réservé aux Palestiniens d’Israël, que ce soit en Cisjordanie, à Jérusalem, à Gaza, dans le Golan syrien occupé ou encore dans les camps de réfugiés au Liban, en Syrie, en Jordanie et ailleurs.
Vous utilisez l’expression « logique à un État » qui correspond effectivement à la situation sur le terrain. La réalité juridique est autre : le 5 février 2021, dans le cadre de l’instruction de la plainte de l’Autorité Palestinienne pour crime de guerre, la Cour Pénale Internationale a jugé que la Palestine est un État avec souveraineté sur la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem Est. Vous constatez une « logique à un État » et vous savez certainement que deux États existent, même si l’un est virtuel et que l’autre exerce une domination absolue à son endroit. Cette situation ne semble pas vous émouvoir.
Dans ces circonstances nous voulons donc vous poser trois questions :
- Pourquoi la diplomatie française a-t-elle des relations privilégiées avec Israël et ne cesse-t-elle de rehausser le niveau de ses relations avec lui dans tous les domaines, alors que l’État palestinien n’est pas considéré et ne bénéficie que de timides aumônes ?
- Devons-nous considérer votre déclaration sur le « risque fort d’apartheid », accusation extrêmement grave envers un pays ami, comme un tournant de la diplomatie française envers Israël ?
- Le risque d’apartheid étant fort et démontré, ne pensez-vous pas que des sanctions contre Israël doivent être réfléchies et appliquées sans attendre ?
En espérant que vous confortiez votre position sans vous laisser intimider par les propos indignés de Benyamin Netanyahou, alors premier ministre israélien, nous vous prions de croire, Monsieur le Ministre, à notre absolue sincérité.
La Campagne BDS France.