A l’attention de Madame la Ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem
A Paris,
Le 16 février 2015
Madame la Ministre,
Le Collectif pour une paix juste et durable entre Israéliens et Palestiniens qui rassemble une cinquantaine d’organisations, partis et syndicats, est très préoccupé par la mise sur le site Eduscol du Ministère du livre « 100 mots pour se comprendre contre le racisme et l’antisémitisme », édité par la LICRA, organisation avec laquelle vous venez de signer le renouvellement d’une convention pour l’intervention dans les établissements et dans la formation des personnels de votre Ministère.
En effet, si la plupart des entrées ne justifie pas de réaction de notre part, plusieurs correspondent à notre domaine d’intervention et sont gravement sujettes à caution.
Ainsi il y a beaucoup à dire des opinions exprimées et des silences observés.
1. C’est au premier chef la question soulevée du sionisme et de l’antisionisme [note]Rappelons s’il en était besoin que pour les signataires de cette lettre, l’antisionisme, critique politique du sionisme, n’a bien sûr rien à voir avec l’utilisation frauduleuse de ce terme par les antisémites obligés d’avancer masqués pour échapper à la loi]]. Alors que le sionisme est bien présenté comme une option politique, l’antisionisme est présenté, tant dans l’article sur l’antisémitisme que dans l’article sionisme/antisionisme, comme l’expression de l’antisémitisme, l’expression de « l’hostilité aux Juifs ».
Dans l’article Antisémitisme, Marc Knobel laisse la conclusion à Léon Poliakov : « cette agitation qui dure depuis trois millénaires, qui fut par exemple « anti mosaïque » dans l’Antiquité, « antijudaïque » chez les chrétiens et devint « antisioniste » au vingtième siècle, (…) »
Dans l’article Sionisme/Antisionisme, Mano Siri et Antoine Spire concluent « (…) l’antisionisme recouvre à présent la déligitimation de l’Etat d’Israël et l’hostilité aux Juifs ».
Dans leur introduction, Antoine Spire et Mano Siri nous disent que « les définitions se complètent et se contredisent éventuellement », mais aucun autre article ne viendra infirmer ce point de vue.
2. C’est également le cas pour l’article Israël signé par Frédéric Encel, le seul pays bénéficiant d’une entrée spécifique, pour lequel on ne trouvera aucune information sur les résolutions de l’ONU non respectées, rien sur la colonisation, rien sur le Mur, rien sur Gaza. Mais il suffit de lire que Israël est « seule authentique démocratie du Moyen Orient », que « Israël a toujours eu deux langues officielles – hébreu et arabe » ou que ce pays « quant au racisme (…) celui-ci tombe sous le coup de la Loi » pour voir que l’auteur va au-delà de l’opinion, jusqu’au déni de réalité.
Absence de toute référence aux discriminations, absence de référence à l’effacement systématique de l’arabe dans la sphère publique, absence de mention de nombreuses déclarations explicitement racistes contre les Arabes palestiniens, proférées notamment par des parlementaires membres de partis présents dans le gouvernement, etc.
Là encore, nulle contribution ne vient contredire Frédéric Encel.
Nous arrêterons là les citations. Même si ces assertions ne sont pas l’essentiel de l’ouvrage, elles en éclairent d’une certaine façon toute la démarche.
Or présenter un tel livre comme une référence nous semble gravement contradictoire avec l’idée de fonder un enseignement laïque des valeurs démocratiques sur des faits objectifs vérifiés.
Il ne s’agit pas dans les exemples que nous vous donnons d’une question de « deux poids deux mesures » ou de concurrence mémorielle. Il s’agit sous couvert de lutte contre l’antisémitisme d’un parti pris de travestissement de la réalité. Le contenu de ce livre ne peut que créer la suspicion sur les interventions de la LICRA dans les établissements et dans la formation des personnels, comme le prévoit le renouvellement de la convention entre cette association et votre Ministère. Il sera légitimement vécu par beaucoup comme une provocation.
Dramatiquement, ces « erreurs » du livre de la LICRA font système avec les « erreurs » constatées dans les manuels scolaires en vigueur, comme le montre l’étude menée sous l’égide de trois organisations membres de notre Collectif (AFPS, CICUP, FSU) – cf. le livre Israël/Palestine, le conflit dans les manuels scolaires paru en septembre dernier (Editions Syllepse).
Le Collectif espère que vous comprendrez notre émotion et que vous accepterez de nous recevoir sur ce sujet dans les prochains jours.
Nous vous prions d’agréer, Madame la Ministre, l’expression de notre indéfectible attachement à un enseignement public de qualité qui respecte les faits historiques et évite les partis pris.
Signataires membres du Collectif pour une Paix Juste et Durable entre Israéliens et Palestiniens :
Agir Contre le Colonialisme Aujourd’hui (ACCA) – AFD International – Alternative Libertaire (AL) – Américains contre la guerre (AAW) – Association des Travailleurs Maghrébins de France (ATMF) – Association des Tunisiens en France (ATF) – Association France Palestine Solidarité (AFPS) – Association Nationale des Elus Communistes et Républicains (ANECR) – Association pour la Taxation des Transactions financières et pour l’Action Citoyenne (ATTAC) – Association pour les Jumelages entre les camps de réfugiés Palestiniens et les villes Françaises (AJPF) – Association Républicaine des Anciens Combattants (ARAC) – Association Universitaire pour le Respect du Droit International en Palestine (AURDIP) – Campagne Civile Internationale pour la Protection du Peuple Palestinien (CCIPPP) – Cedetim / IPAM – Collectif des Musulmans de France (CMF) – Collectif Faty Koumba : Association des Libertés, Droits de l’Homme et non-violence – Collectif interuniversitaire pour la coopération avec les Universités Palestiniennes (CICUP) – Collectif Judéo-Arabe et Citoyen pour la Palestine (CJACP) – Collectif Paix Palestine Israël (CPPI Saint-Denis) – Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient (CVPR PO) – Comité Justice et Paix en Palestine et au Proche-Orient du 5e arrt (CJPP5) – Droit-Solidarité – Ensemble – Europe Ecologie les Verts (EELV) – Fédération des Tunisiens pour une Citoyenneté des deux Rives (FTCR) – Fédération Syndicale Unitaire (FSU) – Forum Palestine Citoyenneté – Gauche Unitaire (GU) – Génération Palestine – La Courneuve-Palestine – le Mouvement de la Paix – les Femmes en noir – Ligue Internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté, section française de la Women’s International League for Peace and Freedom (WILPF) (LIFPL) – Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples (MRAP) – Mouvement Jeunes Communistes de France (MJCF) – Mouvement Politique d’Emancipation populaire (M’PEP) – Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) – Organisation de Femmes Egalité – Parti Communiste des Ouvriers de France (PCOF) – Parti Communiste Français (PCF) – Parti de Gauche (PG) – Participation et Spiritualité Musulmanes (PSM) – Socialistes pour la Paix – Sortir du colonialisme – Union des Travailleurs Immigrés Tunisiens (UTIT) – Union Générale des Etudiants de Palestine (GUPS-France) – Union Juive Française pour la Paix (UJFP) – Union Nationale des Etudiants de France (UNEF) – Union syndicale Solidaires
NB – Nous constatons que ce jour l’annonce de la signature du renouvellement de la convention de votre Ministère avec la LICRA est toujours sur le site du Ministère, mais que l’inscription du livre sur Eduscol n’y est plus annoncée, et que sur le site Eduscol le livre est toujours annoncé, mais n’est plus accessible. Mais ceci ne change rien au contenu de notre interpellation.