Mesdames et messieurs les parlementaires, chers collègues, chers amis,
Si vous recevez cette lettre c’est qu’Israël a décidé de poursuivre sa démarche de punition collective illégale et de provocation à l’encontre des prisonniers palestiniens plutôt que de répondre à leurs demandes légitimes. Cela veut dire que j’ai été encore une fois placé à l’isolement comme mes camarades grévistes de la faim. Pourtant on ne nous fera pas taire ni nous soumettre.
La grève de la faim est une action légitime et non violente pour protester, en tant que prisonniers, contre les violations de nos droits humains fondamentaux tels qu’ils sont garantis par le droit international.
Les prisonniers palestiniens sont certes aux mains de la puissance occupante, et c’est bien pour cela qu’ils sont protégés par le droit humanitaire international, mais ils ne sont pas impuissants. Nous nous sommes résolus à cette grève après des mois d’efforts pour faire entendre nos revendications légitimes. Ces exigences sont liées aux arrestations arbitraires de masse, à la torture et aux mauvais traitements, aux mesures punitives contre les prisonniers, à la négligence médicale délibérée, aux visites et au contact avec nos familles, tous ceux que nous aimons, et aussi à l’éducation. Il s’agit là des droits humains les plus élémentaires.
Chers collègues, chers amis,
Je salue la solidarité que vous manifestez avec vos collègues palestiniens emprisonnés et le soutien vigoureux de parlements de par le monde aux droits du peuple palestinien, y compris le droit à l’auto-détermination, à la fin de l’occupation et à l’établissement d’une paix juste et durable sur la base du droit international.
Je fus le premier parlementaire à être arrêté, en 2002. Depuis, Israël a arrêté 70 parlementaires – plus de la moitié du Conseil législatif, le parlement palestinien- et 13 d’entre eux restent détenus à ce jour. Ceci est une insulte aux parlementaires partout dans le monde, à la démocratie et aux droits de l’Homme partout dans le monde. C’est une insulte à la liberté et la justice et il faut y répondre. Le sort infligé aux parlementaires palestiniens reflète le sort du peuple qu’ils représentent. En 50 ans la puissance occupante, Israël, a arrêté des centaines de milliers de Palestiniens, ce qui équivaut à 40 % de la population masculine du Territoire palestinien occupé. 6500 croupissent aujourd’hui dans les prisons israéliennes. Aux yeux d’Israël nous sommes tous coupables et l’accusation non déclarée c’est notre désir de liberté, notre soif de liberté, notre sacrifice pour la liberté.
Les lois israéliennes autorisent le colonialisme, les punitions collectives, la discrimination et l’apartheid. Ceux qui votent en faveur de ces lois doivent être tenus pour responsables, il me semble. Certains députés israéliens ont recommandé que l’on nous arrête. Ils sont aujourd’hui à vos côtés alors que nous, nous ne le pouvons pas.
Quant aux tribunaux israéliens, ils font intégralement partie de l’occupation coloniale et militaire qui vise à annexer notre terre et à déraciner et déplacer encore une fois notre peuple. Dans les tribunaux militaires israéliens, le taux de condamnation des Palestiniens a varié entre 90% et 99% ces dernières années ! Je le redis : nous avons là un système d’apartheid judiciaire qui criminalise l’existence et la résistance des Palestiniens, tandis que les Israéliens qui commettent des crimes contre les Palestiniens demeurent impunis.
J’ai été condamné par l’un de ces tribunaux illégitimes. J’ai refusé de reconnaître ce tribunal, d’autant plus que je suis un élu du peuple occupé. Les tribunaux de la puissance occupante m’ont condamné pour terrorisme à 5 fois la perpétuité plus 40 ans, lors de ce procès que les observateurs internationaux ont unanimement dénoncé comme un tribunal spectacle. Pas un seul pays n’a accepté ce verdict. Au cours de l’histoire, dans le monde entier, cela a été le sort des dirigeants des luttes de libération nationale. Le procès de Rivona où Mandela fut condamné à la prison à vie ne le rendit pas moins légitime et son combat non plus. Il ne fit que délégitimer davantage le régime d’apartheid qui le poursuivait.
C’est pourquoi le compagnon de Mandela, l’icône anti apartheid Ahmed Kathrada, a lancé la « Campagne internationale pour la libération de Marwan Barghouthi et tous les prisonniers palestiniens », comme il avait lancé la « Campagne pour la libération de Mandela » avant de passer lui même 26 ans dans les prisons de l’apartheid.
C’est pour cela qu’il a lancé la campagne depuis la cellule de Nelson Mandela à Robben Island. C’est pour cela que 8 Prix Nobel, 120 gouvernements et des centaines de parlementaires, des dirigeants, des universitaires, des artistes, des intellectuels et des organisations de la société civile ont rejoint cette campagne. C’est pour cela que deux Prix Nobel, des parlements et des parlementaires m’ont nominé pour le prix Nobel de la paix, en soutien au combat pour la liberté du peuple palestinien.
Les prisonniers palestiniens ont toujours eu à subir l’injustice et la violation de leurs droits. Mais ces dernières années les autorités d’occupation israéliennes les ont même privés des droits acquis lors de précédentes grèves de la faim. C’est une escalade punitive et les mesures inhumaines prises à l’encontre des prisonniers et leurs proches ne peuvent rester sans réponse. Nous avons décidé de lancer cette grève de la faim parce que nous n’avions pas d’autre choix. Les Palestiniens souffrent et font des sacrifices afin de pouvoir jouir des droits qui sont les leurs mais dont ils sont privés. Les prisonniers palestiniens ne font pas exception à la règle.
Nous avons appelé cette grève « Liberté et Dignité ». Ces mots résonnent jusqu’au cœur et dans les cœurs de notre nation qui se bat depuis 70 ans pour qu’ils adviennent. Ce sont des mots qui résonnent aussi dans le monde, car ils font partie de notre histoire universelle et du combat contre toutes les formes d’oppression et de servitude. Ce sont ces valeurs qui sont au cœur même de l’humanité et qui sont indispensables pour que la paix advienne. Aucune paix n’est possible entre l’oppresseur et l’opprimé car oppression et paix s’excluent l’une l’autre. Il n’existe pas de paix entre le prisonnier et son geôlier. Le chemin vers la paix, c’est la liberté.
J’en appelle à vous. Parlez pour ceux qu’Israël veut réduire au silence. Je vous demande d’apporter votre soutien à ceux qui sont jetés dans de lugubres cellules pour y être oubliés. Je vous demande d’ appuyer les demandes légitimes du mouvement des prisonniers palestiniens et de défendre le droit international. Je vous demande de soutenir la liberté et la dignité du peuple palestinien afin que la paix puisse prévaloir.
Certains pensent peut-être que c’est la fin de l’histoire et que je mourrai ici, dans ma cellule, en isolement. Mais je sais, même dans cette solitude qui m’est imposée, que nous ne sommes pas seuls. Je sais que des millions de Palestiniens et bien d’autres millions de gens dans le monde sont à nos côtés. Nous nous retrouverons bientôt, libres.
par Marwan Barghouthi, lundi 24 avril 2017.
Traduction Campagne française pour la libération de Marwan Barghouthi et de tous les prisonniers palestiniens