Lettre de l’UJFP aux députés : « Observations de l’Union Juive française pour la Paix concernant la proposition de résolution n° 1952 « visant à lutter contre l’antisémitisme » »

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Lettre envoyée le 14 juin 2019 aux députés.

Madame, Monsieur,

Nous vous écrivons au nom de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP). L’UJFP est une association juive qui combat la politique coloniale et d’apartheid commise par l’État d’Israël au nom des Juifs du monde entier et qui est mobilisée contre toutes les formes de racisme sans chercher à les hiérarchiser.

Vous avez certainement reçu la proposition de résolution n° 1952 « visant à lutter contre l’antisémitisme », et vous avez également reçu (ou allez recevoir) les interpellations inquiètes, que nous approuvons totalement, de nos amis de l’Association France Palestine Solidarité et de la Plateforme des ONG pour la Palestine.

Loin de nous l’idée de minimiser la gravité de la persistance de l’antisémitisme en France aujourd’hui. Mais la « proposition de résolution » qui prétend combattre l’antisémitisme, ne cherche en réalité qu’à protéger la politique coloniale et d’apartheid du régime israélien de toute critique, en assimilant tous les Juifs à cette politique et à ce régime, ce qui ne peut que favoriser l’antisémitisme.

En effet :

1. Nous pouvons déjà observer que malgré le souhait de ses instigateurs il ne s’agit pas d’un projet de loi, qui serait contraignant, mais d’une « proposition de résolution », qui constitue une simple recommandation. Et pour cause : un projet de loi restreint à la seule lutte contre l’antisémitisme serait certainement retoqué par le Conseil constitutionnel, parce qu’il serait discriminatoire. Il supposerait que l’antisémitisme est un racisme supérieur aux autres racismes, méritant un traitement spécial, et il serait alors pertinent de se demander pourquoi ne pas promouvoir un projet de loi distinct contre chaque forme de racisme. Les racismes anti-arabe, anti-roms, l’islamophobie, la négrophobie, etc, sévissent non moins fortement que l’antisémitisme, et sont même parfois encouragés (sans le dire) par des mesures ou des répressions étatiques.

2. Le texte commence par pointer que les actes antisémites auraient augmenté de 74% en 2018, comme pour signifier que le racisme en France aujourd’hui se caractérise essentiellement par une montée spectaculaire de l’antisémitisme, alors que la réalité est plus complexe. Plus bas il est souligné que porter une kippa revient à s’exposer à des injures ou agressions physiques, ce à quoi nous avons envie de répondre qu’il serait naturel de faire le même constat s’agissant des femmes voilées musulmanes ou supposées telles, qui sont confrontées à une ségrégation encouragée par de nombreux-ses « élu-e-s de la République ».

3. La suite du texte explique que l’antisémitisme d’aujourd’hui a changé, qu’il s’abrite derrière le masque de l’antisionisme. Il s’agit là d’une confusion grave, déjà commise par le Président Macron et les supporteurs d’Israël. S’il est vrai que des gens infréquentables ont toujours cherché à infiltrer toutes les causes, il ne faut pas confondre l’antisémitisme, qui est un délit, et l’antisionisme, qui est une position politique, née d’ailleurs parmi les Juifs.

4. Le texte continue ensuite par des contorsions destinées à expliquer qu’il est permis de critiquer la politique israélienne, mais pas « l’existence d’un État juif », ce qui revient à nier la caractérisation d’apartheid qui qualifie la politique de cet État, qui a lui-même officialisé cette politique en promulguant le 19 juillet 2018 une loi Etat-Nation du peuple juif excluant ouvertement le peuple autochtone palestinien ; et à faire croire que le mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS), dont la seule finalité est qu’Israël se conforme au droit international, aurait pour objectif la destruction de l’État d’Israël.

Plus de 30 associations juives (plus de 40 associations depuis la parution de cet article sur notre site) dont l’UJFP, ont condamné l’utilisation de la définition de l’antisémitisme de l’IHRA sur laquelle s’appuie la proposition de résolution et ont déclaré que le mouvement BDS relève de la liberté d’expression.

La prétendue volonté de combattre l’antisémitisme que déclare la proposition de résolution est purement hypocrite : l’État d’Israël n’a en effet que faire de la lutte contre l’antisémitisme quand cela lui est utile de s’allier avec des antisémites – par exemple Orban en Hongrie et divers autres mouvements nationalistes et racistes dans d’autres pays.

Nous vous transmettons en annexe des analyses complémentaires.

Pour toutes ces raisons, nous vous appelons à refuser la proposition de résolution quand elle sera présentée ou à retirer votre signature en tant que soutien de la résolution si vous l’aviez engagée.

Nous serions ravis de pouvoir en discuter de vive voix avec vous, si vous voulez bien nous recevoir.

Soyez assuré-e de nos sincères salutations,

La Commission Israël-Palestine, pour la Coordination nationale de l’UJFP