Lettre de Gaza de Salma 4 août 2014: « Khuzaa »

Chers amis,

Je vous ai déjà parlé de ce qu’on ressent, moi, ma famille, mes enfants et mes étudiants. Je ne vous ai pas encore parlé de mon ami, professeur à Gaza, qui habitait à Khuzaa, ce beau village transformé en ruines par les criminels israéliens. Il est résistant mais pas militaire : il lutte toujours contre le désespoir de ses étudiants, il lutte pour qu’ils apprennent à vivre, à bien vivre avec de bonnes valeurs qui servent à construire leur avenir. Cet homme sérieux qui sait rigoler, rire et faire rire aussi, très sérieux avec ses étudiants, sévère même, est respecté par tous ses étudiants, ses collèges voire par tous les gens qui le connaissent.

Cet homme qui parlait avec amour de son village, Khuzaa, m’a dit un jour qu’il n’allait jamais quitter sa maison tout près de la frontière quoi qu’il arrive. Il était sérieux et il est resté chez lui en 2008 et en 2012 lors des deux offensives sur Gaza en ces années. Cette fois-ci, il a été obligé d’évacuer avec sa famille, ses parents et ses frères de leur maison surtout qu’ils étaient tous à l’hôpital suite au lancement du gaz blanc par l’armée israélienne. Ils ont bien fait d’être sortis parce que l’intérieur de leur maison a été détruite !! Ils ont perdu autant de membres de leur famille, de ceux qui sont restés chez eux ou d’autres qui sont allés dans des quartiers dits plus sûrs !

Je pense fort à ses trois enfants plus âgés que mon fils : ces enfants qui comprennent mieux que mon fils qu’il y a de la mort autour d’eux et parfois tout près d’eux et qui ont vu plein de choses qu’un papa ou une maman ont du mal à expliquer à leurs enfants. Jamais, les parents ne veulent que l’idée même de la mort arrive dans les pensées ou dans les rêves de leurs enfants.

Cet homme très dynamique avait une voix forte, rassurante, confiante, radieuse et active, une voix montrant que c’est une personne qui aime vivre et qui veut profiter de chaque moment de sa vie pour se faire plaisir. Aujourd’hui, on ne peut reconnaitre facilement sa voix qui a perdu tous les qualificatifs précédents : sa voix est devenue complètement différente, triste, faible et perdue, on ne peut plus distinguer les aigus des graves.

Je n’ai pas eu le courage de regarder le film qu’avait montré Aljazeera sur Khuzaa, le village de mon ami.

Quand je regarde les images du quartier Shujaeya, à l’est de Gaza, du village de Khuzaa, à l’est de Khan-Younes, de Beit-Hanoun au nord de la bande de Gaza ou de Rafah au sud, et que je vois toutes ces destructions et tous ces morts et blessés, je me souviens de chaque mot qu’a utilisé mon grand-père pour décrire les massacres qu’ont commis les criminels israéliens contre notre peuple et nos villes et villages en 1948, et je me dis tant mieux pour mon grand-père qu’il soit mort avant de voir une nouvelle Nakba.

Une catastrophe environnementale peut arriver à Gaza si l’offensive israélienne n’arrête pas le plus vite possible à cause des poubelles des réfugiés dans les écoles de l’UNRWA et des cadavres qui restent des semaines sous les décombres.

Chers amis,

Comme je l’ai déjà dit, il est professeur. Si vous voulez lui écrire pour lui donner la force, l’espoir et le courage dont il a besoin, je pourrais lui transmettre tous vos messages.

Priez pour que mon fils puisse sortir demain. On parle d’une trêve de 72h qui doit commencer à 8h demain matin. J’espère, comme tous les Gazaouis, qu’Israël n’y mettra pas fin demain pour chercher un autre soldat dans un autre quartier.
Notre nuit pleine de destruction, de sang, de peur et d’attente accompagnés des bruits insupportables des drones a déjà commencé.

Salma AHMED ELAMASSIE
GAZA
le 4 août 2014