Chers amis,
Comme tous les habitants de Gaza, je déteste la nuit. La nuit, qui nous apportait stabilité et tranquillité, devient le temps des raids aléatoires, plus agressifs et plus intensifs.
Ce matin, un nouveau massacre a eu lieu dans une école de l’UNRWA abritant des réfugiés à Jabaliya. 17 morts et autant de blessés.
Jabaliya, ce nom qui fait battre mon cœur, lorsque je l’entends.
Je suis née et j’ai grandi dans le camp de Jabaliya, le camp le plus peuplé qui se situe au nord de la bande de Gaza, dans une grande maison partagée entre mes grands-parents, mon papa et ses 4 frères.
Mon cinquième oncle, qu’on n’a jamais vu, a fait ses études universitaires en Egypte et puis est parti en Libye pour y travailler. Il y est mort sans pouvoir rentrer à Gaza durant 25 ans.
Dans cette maison, je sens encore l’odeur de mon grand-père qui m’a élevée, tout près des oliviers et des citronniers, et m’a appris l’histoire de la Palestine.
C’est grâce à lui que je connais l’histoire et la géographie de la Palestine.
On ne les a pas appris à l’école car les manuels scolaires étaient égyptiens et parlaient alors de l’histoire de l’Egypte.
Dans cette maison, mes cousins, ma sœur, les voisins et moi, jouions le jeu auquel jouaient tous les enfants palestiniens durant la première Intifada : « Israéliens-Palestiniens »
Vous allez peut-être vous dire que c’est un jeu agressif ! Mais qu’attendez-vous d’enfants qui voyaient les soldats israéliens entrer et sortir de leurs maisons quand ils voulaient ?!! Certains voulaient jouer le rôle des soldats car ils étaient plus forts et puissants, d’autres prenaient le rôle des résistants, défendant leur patrie, ce qui était plus honorable.
Dans cette maison, on a vu plusieurs fois la peur dans les yeux de nos parents. Les soldats israéliens ne nous laissaient jamais tranquilles. Ils entraient même dans nos chambres sous prétexte de chercher des « saboteurs » ! Oui, des « saboteurs » dans le petit lit de mon cousin de quelques mois qu’ils ont porté et puis jeté par terre.
Un de mes cousins, en rentrant de l’école à l’âge de 13 ans, avait été blessé par les balles des soldats israéliens. Il nous avait dit après qu’il était en train de chasser des pigeons ! Une des balles est encore aujourd’hui dans son épine dorsale.
Vous ne connaissez pas Fares, mon cousin, son visage toujours souriant, ses blagues, sa douceur. Moi, je le connais bien !
Ce que je vous ai raconté est une petite partie de ce qui est gravé dans ma mémoire et celle de toute la génération de l’Intifada. En fait, je n’ai pas choisi de vous parler de ces jours amers, c’est ma mémoire qui m’a conduite vers ses pensées .
Notre conflit avec les criminels n’a pas commencé le 8 juillet 2014 ! Ça dure depuis 1948 quand l’état d’Israël a été créé sur nos territoires après avoir tué des milliers de palestiniens et évacué les autres.
J’ai toujours prié pour que l’enfance de mes enfants ne soit pas comme la nôtre et que leur avenir soit plus radieux que le nôtre. Je ne sais pas si ça va être le cas après avoir discuté avec mon fils qui a demandé à son papa de lui acheter un avion-jouet pour arrêter ces avions qui n’arrêtent pas de bombarder. Il veut arrêter ces méchants qui tuent les enfants et détruisent les maisons. Il ne sait pas qui sont-ils, mais ils veut les stopper !
Les massacres et les crimes israéliens continuent partout dans la bande de Gaza et par tous les moyens : une voiture de l’ONU a été bombardée hier tuant deux frères. Les écoles de l’UNRWA ne sont plus sûres après les bombardements d’une dizaine d’écoles, des maisons habitées ont été détruites par les roquettes de F16 et des familles entières ont été exterminées.
A Gaza, la peur habite tous les cœurs, partout : nulle part où s’abriter, aucun endroit n’est sûr, personne n’est protégé, et la mort devient le cauchemar de tous les Gazaouis, sinon, les blessures et sinon la destruction de la maison !
Aux amis qui connaissez Gaza, vous n’allez pas la reconnaitre !
Gaza est tout à fait différente aujourd’hui.
Priez pour que la paix et la sécurité couvrent le ciel, pour une seule fois depuis tant d’années.
Salma AHMED ELAMASSIE
Gaza
le 30 juillet 2014