Lettre de Gaza 20 juillet 2014

Chers amis,

Je n’arrive plus à écrire, pas parce que je n’ai rien à dire; au contraire, j’ai plein d’idées et des impressions ambigües, des sensations d’amour et de mort ; de haine et de vie ; d’espoir et de désespoir ; de courage et de peur.

Dans mon premier témoignage j’avais écrit : « L’amour de la Palestine nous fait aimer l’idée de mourir pour elle ». Un de mes étudiants, après avoir lu ce témoignage, m’a écrit pour me dire : « Tu te souviens quand tu nous as demandé de distinguer dans la diction entre la MORT et l’AMOUR, je t’ai dit que la mort est le résultat de l’amour, tu n’étais pas d’accord, mais aujourd’hui, c’est toi qui l’écris ! Alors c’est moi qui ai gagné. ». Je n’ai pas pu lui répondre !

En ces moments très difficiles, survivre devient le rêve de tous les Gazaouis encore vivants : j’ai dit à Omar, un étudiant qui habite à Rafah, au sud de la bande de Gaza, où les bombardements n’arrêtent pas, que j’aimais beaucoup lire ce qu’il écrivait sur Facebook, parce que tous ses posts sont drôles. Omar m’a répondu : je te dis ce que je ne peux pas dire aux autres. J’écris des choses drôles pour encourager mes amis journalistes, j’ai peur pour eux , surtout quand je n’ai de leurs nouvelles ! Cette guerre me rappelle mes deux chers amis que j’ai perdus en novembre 2012. Je rigole pour donner le courage que je n’ai pas aux autres que je dois rassurer pour qu’ils puissent continuer !!!!
La haine est un mot qui n’existe pas dans le dictionnaire palestinien. Ma sœur m’a dit l’autre jour: « Je n’ai jamais eu ce sentiment et je ne crois pas que je l’aurais un jour. ». Mais moi, je déteste tout ce qui est injuste ou inhumain. Je déteste le silence qui tue tout un peuple.
La plupart de gazaouis ont honte de la réaction des gouvernements arabes mais ils sont très sensibles à la solidarité qu’on leur exprime en Europe.

Quant à moi, j’avoue que ce qui me manque ces deux derniers jours, c’est le courage. Je n’arrive plus à m’empêcher de pleurer ou, au moins, à m’inquiéter pour tous ces gens que je connais et ceux que je ne connais pas. Je suis inquiète pour mon amour, Gaza, assise devant mon écran suivant les nouvelles des autres. Je suis devenue folle quand Incherah, Rola et Fatwa ont paniqué au moment du bombardement d’une résidence tout près de chez elles à Tal- elhawa. Elles, avec leurs familles et les voisins ne savaient pas quoi faire : rester chez elle était dangereux mais sortir n’était pas du tout facile surtout quand on n’a pas de voiture et elles n’allaient pas trouver un taxi à deux heures du matin. Omniya, Misk, Karina et Anoud m’ont dit qu’elles ont vu la mort de près : on a bombardé un bâtiment tout près de chez Misk et Omniya, un appartement dans le même bâtiment où Anoud habite et contrairement à ce qu’on raconte on ne les a pas prévenus.

J’ai commencé à écrire ce témoignage il y a déjà quelques jours mais, je n’ai pas pu continuer à cause de la mort des quatre enfants qui jouaient sur la plage de Gaza, tués du sang froid par les criminels, comme s’ils étaient incapables de savoir qu’il s’agissait d’enfants.
D’autres enfants de la même famille jouaient sur le toit de leur maison ont été pris pour cible.

Ces deux crimes ont été suivis par tant d’autres partout dans la bande de Gaza.

Israël tue des enfants partout comme s’ils n’avaient aucune valeur aux yeux de leurs mères. Je me permets dans ce témoignage de vous dire que plus de 83 enfants ont été tués et 755 enfants blessés. Dans mon premier témoignage, je vous ai dit que je n’allais pas vous donner des chiffres et que je n’allais pas parler des enfants ou des femmes sans parler des hommes.

Il est vrai qu’il y a des résistants qui sont au combat mais beaucoup restent chez eux en essayant de protéger leurs familles, ces pauvres trouvent la mort chez eux.

Ma cousine, Nour, 25 ans et mère de 3 filles, a perdu son mari de 28 ans lors d’un bombardement d’un taxi, il allait présenter ses condoléances à son ami qui venait de perdre ses enfants.

Je ne dors pas la nuit à cause des bombardements continus, mais aussi à cause de ces cauchemars qui ne quittent pas mes pensées : je suis maman de deux enfants, je pleure quand l’un d’eux tombe malade, l’idée de les perdre lors d’un bombardement me tue toutes les minutes. Ahmed, mon petit ne dort pas tellement il a peur. Son frère, Taysir, lui a dessiné l’autre jour une roquette, j’étais choquée, où a-t-il vu cet engin ? Il m’a dit qu’il a appris ce dessin de sa tante, caricaturiste. Mon fils croit que les roquettes tombent du ciel où se trouve le soleil, la lune et les étoiles et que c’est une bonne chose.

L’hôpital Alwafa, à l’est de Gaza, a été bombardé plusieurs fois. Les israéliens justifient tous leurs crimes sous prétexte que le Hamas se cache entre les civils, ce qui signifie qu’Israël n’a pas de scrupules à tuer les civils.

Qu’attend Israël, qui cible tous les Gazaouis par ses missiles venus du ciel, voire de notre ciel, de la mer, notre mer, des chars, leurs chars, du Hamas ou des palestiniens ? Que faire, applaudir comme ont fait les colons israéliens : regarder ces roquettes tomber sur les civils, les terrains et les maisons!

Vous ne pouvez pas imaginer que veut dire une maison pour un palestinien qui a travaillé toute sa vie pour en construire une pour ses enfants qu’il veut voir mariés et ayant des familles ! Ce Palestinien qui a été forcé de quitter sa maison en 1948 n’a plus peur de ces actes. Il n’a plus envie d’évacuer sa nouvelle maison qu’elle a construite après avoir perdu l’espoir de revenir à sa maison natale.

Dans mon prochain témoignage, je vous parle de l’opération terrestre.
Dans mes témoignages, je vous donne de vraies histoires et je parle de vraies personnes pour vous montrer ce qu’elles vivent dans chaque maison à Gaza.

Mahmoud Darwich dit, « sur cette terre, il y a ce qui mérite vie. »
Cher Darwich , sur cette terre, tout mérite la vie.. Mais pourquoi la mort ?

Salma AHMED ELAMASSIE

A Gaza

le 20 juillet 2014 avant le génocide de Shijaeya