Lettre à une juive de Paris
Madame, bonjour,
En passant par l’écrit j’espère nous permettre de dépasser votre « colère » (selon votre mot) qui, suite à la vue de mon sac sérigraphié « Boycott Israël Apartheid – Justice en Palestine », est allée jusqu’à vous rendre « folle » (votre mot) en découvrant que ma compagne juive et israélienne pense la même chose que moi de la politique coloniale, meurtrière et illégale israélienne. Dépasser votre colère pour nous permettre d’échanger autrement que sous le coup de votre émotion, de manière un tant soit peu distanciée.
Non pas qu’il s’agisse d’occulter que vous comme moi sommes aussi faitEs d’émotions, mais simplement de nous rappeler que nous ne sommes pas qu’être de réactivité, d’impulsivité soumis à des conditionnements divers et variés.
Avant tout sachez que l’anonymat de cette lettre tient au seul fait que la violence de vos propos (vous alliez jusqu’à soutenir la phrase barbare « Les arabes aux chambres à gaz » que je vous ai dit écrite sur un mur à al-Khalil – Hébron) m’amène évidemment à une certaine vigilance.
Si vous souhaitez pour autant entrer dans cet échange distancié cela ne vous sera pas difficile, ma quotidienneté me faisant facilement passer devant votre boutique.
Si malgré votre mortelle radicalité émotionnelle je vous écris cette lettre c’est que j’essaie de refuser la fuite en avant dans la barbarie. D’autant plus dans cette période historique où les cadres sécurisants/insécurisants se redéfinissent. La barbarie a suffisamment d’espace pour se déployer. J’essaie autant que possible de ne pas lui en offrir d’autres.
A votre déshumanisation des arabes/palestiniens je ne souhaite pas répondre par votre déshumanisation. Quand bien même je sais que le jour où je devrais choisir entre arrêter avec violence la barbarie que vous êtes prête à soutenir ou fermer les yeux ou fuir, je ferais tout mon possible pour arrêter votre barbarie. En essayant de le faire avec la moins barbare des violences possibles.
Je vous remercie de la conscience que vous avez de votre colère puisque dès que vous avez vu mon sac et que vous avez compris que je le porte avec conviction, vous avez dit préférer ne pas discuter le sujet. C’est sans doute cela qui me laisse espérer la possibilité d’échanger avec vous de manière distanciée.
J’ai tenté d’aller dans le sens de cet effort sur vous même en répondant non pas à votre réactivité sur ma dénonciation de la politique coloniale, meurtrière et illégale israélienne mais à votre remarque selon laquelle en achetant dans votre boutique je donne de l’argent à des juifs. Je pensais que vous fassiez un amalgame rapide sur lequel vous sauriez vite revenir.
Il est pour moi tellement évident que la campagne de Boycott-Désinvestissements-Sanctions (BDS) contre l’Etat d’Israël jusqu’à ce qu’il respecte le droit international n’a rien à voir avec les juifs mais seulement avec la politique coloniale, meurtrière et illégale israélienne, que je ne pensais pas que vous mélangiez les deux au point de finalement vous laisser porter par votre colère jusqu’à en devenir folle, malgré votre première conscience de cette colère.
Ainsi, dans le même mouvement que votre déshumanisation des arabes/palestiniens vous avez révélé votre essentialisation des JuifVEs en faisant de votre « sang » (votre mot) le porteur de votre identité d’humain opposée à ce qui serait une animalité arabe/palestinienne…! Jusqu’à ne pas savoir que l’Etat que vous soutenez se proclame démocratique (ce que, soit dit en passant, peut légitimement être remis en question au regard de sa réalité), c’est à dire officiellement non pas sanguin mais politique.
Il vous a alors été impossible, à moins d’en devenir « folle », de faire face à une autre réalité que la vôtre : qu’il est des juifVEs pour qui leur sang n’est rien d’autre que porteurs de l’oxygénisation de leur corps.
Il vous a alors aussi été impossible d’envisager que le « franchouillard » que vous m’avez dit être pourrait peut être lui aussi être juif : n’y a-t-il pas des juiVEs françaiSEs?
Ainsi, en faisant de votre sang juif le vecteur de votre identité et cette identité se révélant être un bouillonnement de colère vous menant à la folie, il est fort probable que cette lettre n’atteigne pas son objectif.
Mais auriez-vous préféré que moi aussi je m’en remette à un sang colérique m’amenant à soutenir l’extermination de l’Autre?
Vous vendez des produits artisanaux que je trouve d’une riche finesse. J’ai du mal à croire que vous trouviez un intérêt dans un monde conduisant à la destruction, dont celle de votre œuvre.
Evidemment, la réalité de l’Etat d’Israël ainsi que la réalité de la dénonciation de sa politique coloniale, meurtrière et illégale, font qu’il arrive que le mouvement BDS est bien évidemment lui aussi traversé par la barbarie de l’antisémitisme ; et beaucoup est fait, entre autres par l’Etat d’Israël et les gouvernements le soutenant, la France comprise, pour favoriser cela afin de la discréditer. Les acteurs et actrices à l’origine du mouvement BDS tant en Palestine qu’à travers le monde en sont bien conscientEs et la dénonciation tant verbale qu’en acte de cet antisémitisme fait pleinement partie de ce mouvement, comme vous le constaterez facilement en prenant le temps de l’étudier de plus près. C’est bien parce que nous ne voulons pas donner plus d’espace à la barbarie en général, de laquelle fait partie l’antisémitisme, sans en avoir pour autant l’exclusivité, que nous refusons de nous laisser porter par la déshumanisation et que nous mettons en avant l’idéal du droit ou, à défaut qu’il soit réalisable, l’idéal de la justice et de la paix fondée sur la reconnaissance de l’Autre. Il s’agit d’un combat quotidien qui ne souffre pas de laisser de la place aux discours et aux actes de déshumanisation.
Je vous invite à lire les mots « Boycott Israël Apartheid – Justice en Palestine » autrement. Tel que nous les mettons en œuvre à la demande de la grande majorité de la société civile palestinienne : la demande d’application du droit international. Et ce droit donne évidemment aux JuifVEs la possibilité de vivre en Palestine.
Evidemment vous pouvez faire le choix d’y lire une poudre aux yeux cachant une barbarie.
Il ne s’agit pas de faire confiance aveuglement dans l’humanisme de l’humanité. Il s’agit juste de reconnaître à l’Autre, lorsque nous le rencontrons au détour de notre quotidien, le droit à exister.
Alors que déjà nous savons bien que l’humanité ne cesse de produire de la barbarie, si en plus individuellement, dans ce qui relève de notre responsabilité quotidienne, nous renforçons cela, alors oui il n’y aura de place plus que pour le sang.
Il est clair qu’en vous écrivant cette lettre je me permets de vous demander de faire un effort sur vous-même.
J’ose espérer que vous le ferez car jusqu’à preuve du contraire la puissance est de votre côté bien plus que du notre. Vous avez donc bien plus de moyens que nous de transformer la situation afin de nous permettre à toutes et tous de vivre dans la justice et en paix.
Je vous remercie sincèrement de votre attention.