Lettre à Philippe Baptiste, Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche

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Le 10 avril 2025

Monsieur,

Le 4 novembre 1995 a été assassiné à Jérusalem le premier ministre israélien Yitzhak Rabin, à la suite d’une violente campagne haineuse soutenue par Ariel Sharon et Benjamin Netanyahou, campagne où il était présenté comme un nazi et même comme un SS.

Le 4 septembre 1997, la philologue israélienne Nurit Peled et son époux Rama Elhanan perdent leur fille Smadar Elhanan tuée dans un attentat kamikaze palestinien à l’âge de 14 ans. Nurit Peled-Elhanan interdit aux officiels israéliens, dont Benjamin Netanyahou, d’assister aux obsèques, et déclare alors « ne pas avoir cédé au désespoir mais prononcé un discours avec pour thème la responsabilité d’une politique qui refuse de reconnaître les droits de l’autre et fomente la haine et les conflits. »

À la fin de 2001 s’est constitué le Collectif « Trop, c’est Trop » à l’initiative de Madeleine Reberioux et Pierre Vidal-Naquet pour protester contre l’enfermement de Yasser Arafat à Ramallah et les coups portés par l’armée israélienne à l’Autorité palestinienne.

Le premier appel du collectif « Trop, c’est trop ! », signé aussi entre autres par l’historienne Michèle Perrot, le metteur en scène Bernard Sobel et le mathématicien Laurent Schwartz, publié en décembre 2001 et janvier 2002 dans Le Monde, protestait contre le fait que : « Les dirigeants palestiniens, Yasser Arafat en tête, qui serra naguère la main d’Itzhak Rabin, sont aujourd’hui cernés à Ramallah par des tanks israéliens. Les bombes pleuvent sur le territoire où vit encore une partie du peuple palestinien. Rien, nous disons bien, rien – y compris les attentats inacceptables commis par des kamikazes – ne peut justifier de tels actes. Le peuple palestinien a le droit de vivre libre. Il a droit à un État véritable. » Il a organisé sur ce thème des réunions publiques à Paris et publié plusieurs numéros d’un bulletin (reproduits sur ce site) auxquels nombre de personnalités ont contribué. Dans le premier, André Mandouze faisait le lien entre ses engagements passés au sein de Témoignage chrétien, dans la Résistance contre le nazisme et ses persécutions des Juifs, puis pour l’indépendance de l’Algérie, et son soutien présent à la cause des droits des Palestiniens. Des Israéliens opposés à la colonisation comme Amira Haas ou Zeev Sternhell y apportaient leur point de vue et une réunion avec notamment Stéphane Hessel et Jean Lacouture était annoncée.

J’ai lu cet article qui était en accord avec ce que je pensais, et je voyais parmi les signataires le mathématicien Laurent Schwartz dont j’avais suivi les cours à l’école polytechnique en 1967-1968.

J’ai repéré dans le texte la référence à la LDH ou Ligue des Droits de l’Homme et j’ai envoyé à la LDH un chèque de soutien en ajoutant que le voulais me joindre au Collectif « Trop c’est Trop » en formation. Madeleine Rebérioux, ancienne Présidente de la LDH, avait fondé le Collectif « Trop c’est Trop » en dehors de celle-ci, car la LDH n’arrivait pas à une position claire sur le conflit israélo-palestinien et craignait qu’on l’accuse d’antisémitisme. J’ai pris une part active dans les actions, rédaction d’un journal, réunions publiques, de ce Collectif dont ont fait partie Stéphane Hessel, Étienne Balibar, ou l’historien Gilles Manceron.

En 2004, j’ai participé à un séjour politique en Israël et Palestine organisé par FFIPP ou Faculty For Israeli Palestinian Peace, une organisation fondée par Eyad El Saraj, psychiatre de Gaza, et le mathématicien californien Arnon Hadar.  Au cours de mon séjour, j’ai rencontré brièvement Eyad El Sarraj à Jérusalem, qui me dit « I go back to Gaza, to hell! »

En 2007, dans le cadre de l’action BDS, Boycott-Désivestissement-Solidarité, j’ai écrit à Patrick Kron, PDG d’Alstom, pour dénoncer la participation de cette entreprise à la construction du Tramway de Jérusalem qui passerait en Territoire palestinien, ce qui est contraire au droit international. Je mettais en copie les sections syndicales FO, CGT et CFDT d’Alstom, ainsi que les confédérations FO, CGT et CFDT, et Stéphane Hessel. Quelques jours plus tard, Stephane Hessel voyant que je finissais la lecture du livre autobiographique « Mein Leben » de Marcel Reich-Ranicki, l’un des très rares survivants du ghetto de Varsovie pendant la seconde guerre mondiale, me fait la réflexion « Pierre Nicodème est un chic type ! ».

Vers 2015, constatant que le Collectif « Trop, c’est Trop » ne propose comme seule solution politique au conflit que la solution à deux États, alors que je pense que cette solution ne verra pas le jour, mais qu’elle est soutenue de manière hypocrite par les gouvernements occidentaux qui refusent toute pression sur Israël pour qu’elle n’advienne, je romps avec le Collectif « Trop, c’est Trop ». Je suis aujourd’hui persuadé, comme la députée européenne Rima Hassan dont je salue le courage, les qualités humaines et intellectuelles, que seule la mise en place d’un État démocratique et laïque couvrant l’ancien territoire de la Palestine Mandataire et l’application du droit au retour des réfugiés palestiniens peut apporter une paix durable.

L’attaque du 7 octobre 2023 où le Hamas et d’autres mouvements de Gaza se sont soulevés contre l’oppression de leur peuple par les Israéliens a donné lieu à une désinformation massive orchestrée par le gouvernement israélien et l’armée israélienne, telle femmes éventrées et bébés mis dans des fours ; désinformation qui a été reprise par une grande partie des médias et gouvernements occidentaux sans être par la suite démentie. Alain Gresh dans son livre récent « Palestine » démonte les mécanismes de cette désinformation, en particulier celle concernant le 7 octobre 2023, où des crimes de grande gravité ont été mis hors de leur contexte.

Israël a promulgué en 2018 la loi sur l’État-nation des juifs qui transformait un apartheid honteux en apartheid légal. Depuis le 7 octobre 2023, il mène une guerre génocidaire contre la population de Gaza, avec le soutien actif ou passif de la plupart des pays occidentaux, véritable naufrage moral et politique de ces états. Netanyahou et le gouvernement israélien prétendent faire leur politique criminelle au nom des juifs du Monde entier, identifiant l’antisionisme et l’antisémitisme. Emmanuel Macron a repris ce discours mensonger et odieux, tandis que dès 1948 Hannah Arendt et Albert Einstein avaient mis en garde sur l’évolution prévisible de l’état d’Israël vers un régime d’oppression violente.

Une loi est en cours d’examen au Parlement français sur la lutte contre l’antisémitisme dans les universités. Cette loi a été initialisée par l’UEJF ou Union des Étudiants Juifs Français et la LICRA, deux organisations qui, comme Aurore Bergé, sont des soutiens inconditionnels de Netanyahou et du gouvernement israélien. Vous avez pris part avec Aurore Bergé à l’élaboration de cette loi au Sénat. L’ancien député européen Alain Lipietz l’a dénoncée comme une proposition de loi scélérate qui, sous couvert de lutte contre l’antisémitisme, ne vise qu’à ajouter une couche de plus aux restrictions à la liberté et d’opinion et d’expression.

En 2013, vous m’avez fait obtenir la médaille d’honneur du CNRS en raison de mon engagement pour les droits des Palestiniens. Elle m’a été remise au LIPN de l’Université Paris 13 par Jean Mairesse, lors de la journée consacrée à mon départ en retraite, au nom de la Direction Générale du CNRS.

Ces jours-ci, Emmanuel Macron fait semblant de s’intéresser au sort des Palestiniens en allant à la frontière sud de Gaza, à la suite du meurtre de plusieurs membres d’un convoi médical palestinien et d’un mensonge particulièrement ignoble de l’armée israélienne ; dans le même temps, la répression des soutiens aux Palestiniens se poursuit en France et en Europe. Récemment une commission de l’Université de Strasbourg a demandé à l’unanimité la rupture de la collaboration de cette université avec l’université Reichman de Herzliya qui est complice des crimes israéliens ; vous avez alors menacé cette université de poursuites judiciaires, choisissant le camp du crime.

Dégoût et colère m’inspire la politique française vis-à-vis d’Israël et de la Palestine depuis 2007 et la présidence de Nicolas Sarkozy. Dégoût et colère m’inspire également la vôtre. La médaille d’honneur du CNRS étant maintenant liée à un ministère complice d’un génocide, je vous la retourne.

Cc/ CNRS ; diverses organisations et personnalités

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