Lettre à Monsieur Pascal Binczak Président de l’Université Paris 8

Permettez-moi de trouver tout à fait regrettable l’annulation du colloque organisé, les 27 et 28 février prochains, par des étudiants, membres du collectif Palestine Paris 8, dans les locaux de l’Université. Il est dommage que les services de l’Université aient cédé au chantage du CRIF et du BNCVA qui avait déjà utilisé les mêmes arguments fallacieux en 2011, alors qu’un colloque devait avoir lieu à l’ENS.

Le BNCVA, quant à lui, utilise la menace, les pressions et la désinformation « ce type de colloque procède de la pire propagande palestinienne qui depuis 11 ans, incite à la haine de l’Etat Juif, et pousse à l’acte antisémite, notamment dans ce département de Seine Saint Denis ». Il n’y a aucune incitation à la haine de l’Etat d’Israël, qui compte nombre de citoyens qui ne sont pas de religion juive; les actes antisémites ont largement diminué et particulièrement en Seine-Saint-Denis. Mais peu importe au BNCVA qui préfère démontrer, même sur la base de faux arguments, que toute personne qui critique l’Etat d’Israël est dangereuse, voire terroriste.

Il ne faudrait pas oublier que le Tribunal, il y a pratiquement un an, jour pour jour, a rappelé qu’interdire le colloque de l’ENS relevait d’« une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de réunion » et qu’en des termes particulièrement sévères, le jugement en référé a récusé l’argument d’un potentiel « trouble à l’ordre public » lié aux thèmes retenus et considéré que les requérants du collectif « pouvaient légitimement inscrire leur initiative dans la tradition de réunions de l’ENS ouvertes au public ».

S’interroger sur le concept d’apartheid est un acte qui revient bien aux membres de la communauté universitaire dont les étudiants font partie. Que les étudiants de votre université organisent la mise en réflexion à propos de ce concept est signe d’une maturité politique et citoyenne.

Il est légitime de s’interroger sur ce que signifie l’apartheid. La Convention contre l’apartheid érige l’apartheid en crime contre l’humanité car « les actes inhumains résultant des politiques et pratiques d’apartheid et autres politiques et pratiques semblables de ségrégation et de discrimination raciales » en crimes internationaux (art. 1). Elle définit en son article 2 le crime d’apartheid comme – « […]englob[ant] les politiques et pratiques semblables de ségrégation et de discrimination raciales, comme elles sont pratiquées en Afrique australe » – et « les actes inhumains […] commis en vue d’instituer ou d’entretenir la domination d’un groupe racial d’êtres humains sur n’importe quel autre groupe racial d’êtres humains et d’opprimer systématiquement celui-ci ».

Il y a bien matière à s’interroger, à échanger et à comprendre au vu des politiques menées par l’Etat d’Israël et constatées par de très nombreux observateurs, qui ne sont en rien des ennemis de cet Etat.

Cette démarche s’inscrit parfaitement dans les enjeux de construction de connaissances. Que ce colloque soit organisé dans l’enceinte de l’université est un signe d’ouverture sur le monde et correspond aux missions du monde éducatif. Il serait dès lors dommageable de l’annuler. Ne cédons pas aux pressions qui nous poussent vers l’obscurantisme au détriment de la confrontation avec la réalité qui suppose de chacun de nous une prise de responsabilité et un engagement solidaire.

Mireille Fanon Mendès France

Fondation Frantz Fanon

Membre du bureau national de l’UJFP