Lettre à François Busnel au sujet de son émission « La grande librairie » du 27 mars

france5

Bonjour Monsieur Busnel
Je vous écris au sujet de votre émission « La grande librairie » du mercredi 27 mars.

Passionnée de littérature, je vous regarde très régulièrement et j’apprécie en général la qualité des échanges et la très grande diversité des auteurs que vous invitez.
Pourtant cette émission m’a mise mal à l’aise. Il me semble que l’islamophobie n’a pas été dénoncée avec la même force que l’antisémitisme.

Votre introduction d’abord qui présente l’islamophobie comme une réponse aux attentats de Daesh. Or dans l’islamophobie, il y a une composante importante de racisme « anti-arabe » tout simplement et ce racisme-là n’a pas attendu les attentats en France et la guerre en Syrie pour se manifester. De même que l’antisémite ne demande pas à un Juif, ou supposé tel, s’il est pratiquant ou non avant de le haïr, tous les Arabes, ou supposés tels, musulmans ou athées sont en butte au racisme.

L’intervention de Delphine Horvilleur était claire et abordait la question de l’antisémitisme de manière originale mais il est regrettable qu’elle n’ait pas eu un mot, ne serait-ce de compassion, pour tous ceux qui souffrent de racisme dans ce pays. D’autant que le livre de Hela Ouardi ne traitait pas de ce sujet bien qu’elle ait été présenté comme représentante des musulmans. Je pense que c’est ce dernier point qui a « déséquilibré » cette émission. D’ailleurs Madame Ouardi l’a ressenti aussi, je pense, en ajoutant « in extremis » juste avant la fin que les guerres de religion avaient toujours existé et provoqué bien plus de morts que Daesh (même si un seul mort est un mort de trop et qu’on ne peut réduire Daesh à une guerre de religion)

Donc, nous avions d’un côté une brillante présentation d’un judaïsme plein de sagesse, la dénonciation à juste titre de l’antisémitisme et de ses horribles crimes perpétrés récemment. De l’autre côté, l’histoire sanglante de la naissance de l’islam et rien contre l’islamophobie. J’ai vu en cherchant votre adresse pour vous écrire que vous étiez né à Argenteuil. Avez-vous entendu parler d’Ali Ziri ?

Pourquoi ne rend-t-on jamais hommage aux victimes du racisme quand il concerne des arabes, des noirs ou des roms ?

Quant à Monsieur Comte-Sponville, est-ce de la confusion intellectuelle ou de l’entourloupe ? Demander aux musulmans de se poser la question de ce qui dans leur religion peut conduire à l’islamisme et justifier cette demande en prétendant poser la même question aux catholiques: « Qu’est-ce qui dans le catholicisme a conduit à l’inquisition » ? Alors que la question équivalente parce qu’ô combien d’actualité aurait été : « Qu’est-ce qui dans le catholicisme conduit à la pédophilie et aux viols de religieuses » (on ne parle même pas du non-partage des richesses exubérantes du Vatican, du silence abyssal du pape pendant la Shoah, ni du martyre des mères célibataires irlandaises et de leur bébés)

Idem pour le judaïsme : « Qu’est qui dans le judaïsme peut provoquer l’apartheid dans l’État Israélien, le massacre régulier des populations civiles palestiniennes, la prison à ciel ouvert de Gaza ? » Cette question-là n’a pas été posée du tout alors que l’on avait sur le plateau une représentante de cette religion.

Que pensez-vous que ce « deux poids, deux mesures » peut provoquer dans la tête de vos téléspectateurs musulmans/arabes ? Le sentiment de ne pas être traité sur un pied d’égalité. Cette inégalité de traitement fait des ravages. Toute sa vie mon père, Algérien, ouvrier syndicaliste, athée, très attaché aux « valeurs républicaines » de la France, marié à une Bretonne, a été confronté au racisme. J’ai écrit sur cette injustice que lui n’a jamais pu exprimer, n’a jamais voulu exprimer préférant l’ignorer, même quand le racisme lui sautait au visage tant ça ne collait pas avec son « rêve français ». Ça me fait mal de penser qu’une fois de plus, a pas pris cette injustice-là en compte. Ça me fait mal pour tous ceux qui y sont confrontés quotidiennement dans ce pays. Pour les enfants et les jeunes, en particulier, qui n’entendent parler du pays de leurs parents ou de leur religion que de façon négative.

Voilà ce que j’ai ressenti en regardant votre émission et je voulais vous le dire parce que je pense que ce n’est pas ce que vous recherchiez.

Peut-être pourriez-vous donner la parole dans une future « grande librairie » à un ou une auteurE qui a écrit sur la difficulté d’être arabe/ musulman en France et sur les crimes racistes perpétrés contre eux.

Merci de m’avoir lu.

Fabienne Malika