Shana tova 5780, bonne année 5780.
L’Union juive française pour la paix adresse ses meilleurs vœux pour l’année 5780 à tous les Juifs du monde. Que cette année soit, pour chacun et chacune, la plus douce possible, à l’image de la pomme trempée dans le miel que nous mangeons lors des séder.
Dans notre tradition, le « nouvel an juif » ne marque pas seulement la célébration de l’année qui commence. Il ouvre également une période particulière appelée les dix jours redoutables (hayamim hanoraïm) de questionnement et de repentir qui se clôt avec Yom Kippour, le jour du pardon.
À Rosh Hashana, l’introspection à laquelle nous sommes invités est tout à la fois individuelle et collective. Si le dessein de justice et de dignité qui anime la tradition juive doit pouvoir s’incarner en chacun et chacune d’entre nous, sa pleine effectivité se mesure à l’échelle collective des sociétés et du monde. La justice (tseddek) n’est pas qu’une injonction morale, elle est une parole et un projet politique. La prophétie d’Isaïe qui est lue à Tisha be-av rappelle ce sens fondamental du message de la tradition juive : « Quand vous étendez les mains, je détourne de vous mes regards ; dussiez-vous accumuler les prières, j’y resterais sourd : vos mains sont pleines de sang. Lavez-vous, purifiez-vous, écartez de mes yeux l’iniquité de vos actes, cessez de mal faire. Apprenez à bien agir, recherchez la justice ; rendez le bonheur à l’opprimé, faites droit à l’orphelin, défendez la cause de la veuve. » (Isaïe, 1:15,16,17). Les prophètes (Neviim), comme Isaïe, avertissent, témoignent et, pourrait-on rajouter, militent pour la justice et la dignité lorsque celle-ci vient à faire défaut. Ce faisant, ils éclairent d’une lumière particulière le message de la Torah qui nous dit : « Vous serez pour moi un royaume de prêtres et une nation sainte » (Exode, 19:6). La « sainteté » est alors comprise comme l’effort de rendre le monde meilleur. L’engagement est au cœur de ce que pourrait être une idée et une praxis juive de la justice.
La tradition juive elle-même est façonnée par les expériences historiques, sociales et politiques que les communautés juives ont traversé depuis plus de 2 000 ans. Rendre le monde plus juste a ainsi souvent été une question vitale pour les Juifs. La longue persistance de la condition minoritaire et précaire des communautés juives éparpillées de par le monde a contribué à imprimer cet impératif de justice dans la judéité, au-delà du judaïsme. Ainsi, il s’est exprimé aussi dans le langage de la modernité et de la sécularisation, animant l’engagement pour la révolution, le socialisme et l’émancipation de nombreux Juifs non-juifs, pour reprendre l’expression d’Isaac Deutscher, qui en était.
Changer le monde, lutter contre les injustices et les oppressions ou, autrement dit, faire de notre monde un monde « divin » : n’entend-on pas les versets d’ Isaïe lorsque du fond de sa cellule en Allemagne, la révolutionnaire communiste et Juive non-juive Rosa Luxembourg écrit : « Ce « silence sublime de l’immensité » où tant de cris se perdent, il éclate dans ma poitrine si fort qu’il ne saurait y avoir dans mon cœur un petit recoin spécial pour le ghetto ; je me sens chez moi dans le vaste monde partout où il y a des nuages, des oiseaux et des larmes. »
Que l’on soit croyant ou athée, pratiquant ou non, que l’on se définisse soi-même comme Juif ou que cette identité nous ait été léguée par les siècles passés, ces questionnements sont au centre de notre histoire collective. Fort de cette tradition, religieuse comme séculière, nous regardons le monde et nous nous engageons.
Cette année, la France a connu un mouvement social d’une forme et d’une ampleur nouvelle. Le mouvement des Gilets Jaunes est parvenu, au moins pour un temps, à refaire des classes populaires un acteur politique majeur, que l’on ne peut plus ignorer, à projeter la peur dans le camp adverse, chez tous ceux qui ont à perdre de voir l’ordre néo-libéral contesté. L’irruption des Gilets Jaunes a ébranlé tout l’édifice politique, jusqu’aux organisations du mouvement ouvrier et du mouvement social et démocratique. L’État a mobilisé un appareil de répression militaro-policier et judiciaire d’une terrible violence pour faire face à la révolte. L’Union juive française pour la paix salue les Gilets Jaunes et ceux qui les soutiennent dans leur combat contre la pauvreté, l’exploitation, l’indignité et contre la violence de l’État.
Cette année, 151 lycéens ont aussi fait l’expérience douloureuse du déploiement brutal de cette violence d’un État soucieux de maintenir l’ordre social, y compris dans sa dimension raciale. À Mantes-la-Jolie, les policiers leur ont imposé une humiliation publique et collective, digne de la colonisation ou des régimes les plus totalitaires.
Nous nous tenons aux côtés des familles des victimes de violence et des crimes policiers, avec celles et ceux qui luttent contre l’islamophobie, la négrophobie, la rromophobie, avec celles et ceux qui, s’engageant contre l’impérialisme français, rappellent à l’État que sa politique diplomatique et étrangère, la manière dont il agit sur le développement des pays du Sud, est une question nationale qui nous regarde en tant que citoyen. Des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants fuyant la misère et les guerres fabriquées par l’impérialisme sont morts noyés en Méditerranée ces derniers mois, rejetés par une Europe inhumaine et fermée, campée sur les « valeurs de l’Europe à défendre » pour « protéger le mode de vie européen » c’est l’intitulé du portefeuille du prochain Commissaire Européen Margaritis Schinas.
En Israël-Palestine, le gouvernement israélien poursuit sa politique coloniale, annexionniste et raciste envers les Palestiniens, avec l’aval des États-Unis : Gaza étouffe sous le blocus, la Cisjordanie rétrécit comme une peau de chagrin, Jérusalem Est est sauvagement démantelée avec ses destructions et ses expulsions de Palestiniens. Les Palestiniens d’Israël, citoyens de seconde zone, deviennent officiellement des étrangers dans leur patrie, par la loi dite de l’État nation du peuple juif de juillet 2018. Ni l’ONU, ni la CPI, ni l’Europe ne réagissent pour sanctionner Israël qui bafoue en permanence le droit international.
Par contre, aussi bien les États-Unis que l’Europe sanctionnent le mouvement de la société civile Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS), en cherchant à le criminaliser.
Malgré cette situation « de catastrophe annoncée », l’UJFP continue à se battre pour l’égalité des droits tant là-bas en Palestine qu’ici en France.
Le son du shofar, soufflé pour marquer le début de Rosh HaShanah, est un appel à l’éveil. Que, partout, les shofars sonnent, nous extirpent de notre torpeur et nous poussent à nous lever contre les injustices et pour la dignité de tou.te.s.
Shana tova – Hatima tova
Bonne année à toutes et à tous,
La Coordination nationale de l’UJFP, le 1er octobre 2019